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32430 mars 2007 — Le moins qu’on puisse dire est que la situation washingtonienne est contrastée. Le Congrès vient de vivre une semaine agitée et ce n’est pas fini. Jim Lobe écrivait hier : «Washington appeared Wednesday to be moving rapidly toward a major confrontation between the White House and Democrats in Congress.» La chose était confirmée dans la journée par un vote du Sénat, 51 voix contre 47, d’un projet de loi qui, après un compromis avec celui qu’a voté la Chambre vendredi dernier, aboutira sur le bureau du président Bush pour être sanctionné par un veto.
L’agence Associated Press nous en informait en ces termes notamment :
«A defiant, Democratic-controlled Senate approved legislation Thursday calling for the withdrawal of U.S. combat troops from Iraq within a year, propelling Congress closer to an epic, wartime veto confrontation with President Bush.
»The 51-47 vote was largely along party lines, and like House passage of a separate, more sweeping challenge to the administration's war policies a week ago, fell far short of the two-thirds margin needed to overturn the president's threatened veto. It came not long after Bush and House Republicans made a show of unity at the White House.»
Très curieusement sur les faits mais assez logiquement dans l’esprit, les démocrates se sont engagés à reculons dans une confrontation qu’ils ne voulaient pas vraiment, qui risque d’être sanglante. D’autre part et, en un sens pour alimenter cette analyse, les républicains, pense-t-on, vont se regrouper derrière un président Bush plus résolu que jamais, pour contenir la poussée démocrate. Est-ce bien sûr ?
Lobe : «“In half a century, I have not seen a president so isolated from his own party in Congress – not Jimmy Carter, not even Richard Nixon as he faced impeachment,” wrote veteran right-wing columnist Robert Novak earlier this week.
»That assessment was echoed by an astonishing ‘Insiders Poll’ of 84 key Republican activists and organizers conducted last week by the influential National Journal. A whopping 84 percent of respondents described the Bush administration as a net “liability” for the party, more than half said it was a “major liability.”»
Quel est le conflit ? La loi que le Congrès doit présenter à la signature du président, pour autoriser le transfert de $124 milliards (somme de référence) qui représentent une “facture exceptionnelle” (il y en a 2 à 3 par an) pour poursuivre l’effort de guerre en Irak. Cette loi contient diverses conditions, dont celle d’imposer une date pour commencer le retrait des forces US d’Irak. La chronologie et les modalités varient selon le texte de la Chambre et celui du Sénat. On trouvera un compromis. Peu importe la lettre (les dates du retrait), l’esprit est ici l’essentiel. Il s’agit d’imposer une limite de contrainte pour la guerre. GW a déjà fait savoir que c’est pour lui inacceptable, — point final.
Pendant que le Sénat votait, le président recevait à la Maison-Blanche le groupe républicain de la Chambre et annonçait clairement ses intentions. (Ici, nous avons l’image de l’apparence nécessaire. Le fait extraordinaire est que ce show d’unité déterminé des parlementaires derrière le président, — mais sous la contrainte du Président, on le comprend, — se fait sur le cimier des arrière-pensées pleinement exposées par les enquêtes citées par Lobe.)
Pendant que le Sénat votait, selon AP : «Several blocks away, the commander in chief stood with Republican House members and told reporters they were united. “We expect there to be no strings on our commanders and that we expect the Congress to be wise about how they spend the people's money,” he said.
»In private, Bush was at least as emphatic, according to participants at a closed-door session in the White House East Room with the GOP rank and file. “He said he will veto a bill that comes to his desk with too many strings attached or too much spending,” said one official in attendance, speaking on condition of anonymity because the meeting was closed to the press.»
Voici donc la scène “mise en scène”. La comédie a déjà commencé. La question qui se pose aussitôt est de savoir s’il y a une possibilité, pour ne pas parler de “chance”, qu’elle se transforme en tragédie.
Un appendice, tout de même, avant de tenter de donner un commentaire. Il concerne la position du sénateur républicain Hagel, dont on sait l’importance politique. Hagel a pris une position très ferme contre l’intention de Bush de mettre un veto à l’action du Congrès, selon une logique qui, selon Steve C. Clemons (sur son site The Washington Note, le 25 mars), pourrait impliquer un appel à une procédure de destitution en cas de veto.
«“I think Congress is going to play a role now like we've not played before,” said Sen. Chuck Hagel, a critic of Bush's Iraq policy from his own Republican Party.
»Bush's weekend radio address in which he threatened to veto emergency spending legislation for the Iraq war if it included a timetable for withdrawing troops was “astounding to me — saying to the Congress, in effect, you don't belong in this, I'm in charge of Iraq,” Hagel of Nebraska said.
»Hagel went on to say:
»“I am opposed to the president's further escalation of American military involvement. We are undermining our interests in the Middle East, we are undermining our military, we're undermining the confidence of people around the world in what we're doing,” Hagel said on ABC's ‘This Week’ program.
“We have clearly a situation where the president has lost the confidence of the American people in his war effort,” he said. “It is now time, going into the fifth year of that effort, for the Congress to step forward and be part of setting some boundaries and some conditions as to our involvement.
»Senator Hagel is taking a dangerous step in challenging the White House in this way — and is probably calculating that his presidential opportunity will rise or fall on Iraq and America's mismanaged engagement in the Middle East.
»It's a bold gamble, and Dems and moderate Republicans need to take note of the political space Hagel is creating.»
La situation est effectivement étrange. Cette montée de la tension vers un affrontement entre le président et le Congrès se passe sans que personne ne l’ait vraiment voulue. Le président s’arrangeait d’un Congrès pas trop exigeant, le Congrès de ne pas être trop exigeant. Le vote de la Chambre, vendredi, d’un projet de loi où se trouve une disposition ordonnant le début du retrait d’Irak, s’est fait sans aucune préméditation d’affrontement. Au contraire, certains commentateurs, comme John V. Walsh (sur CounterPunch, le 26 mars), ont pu justement et logiquement dénoncer ce vote comme une façon pour les démocrates d’éviter de remplir le devoir qu’ils doivent à leurs électeurs. Les démocrates marquent une opposition qui est symbolique puisqu’on sait qu’elle ne compromet pas la “bonne marche” (!) de la guerre (GW mettra un veto qui ne pourra être annulé par le Congrès), pour avoir cet argument auprès de l’électorat, alors que le Congrès pourrait effectivement intervenir d’une façon plus efficace par d’autres voies et moyens.
Le plus intéressant est donc cette évolution qui se fait hors de tout réel contrôle de quiconque, — ce qui est désormais la caractéristique essentielle de notre temps historique. On peut parler à nouveau d’une mécanique historique qui, depuis le 11 septembre, ne cesse d’affaiblir et de compromettre le système politique de l’américanisme. Les trois derniers mois depuis la mise en place du nouveau Congrès à majorité démocrate montrent que les démocrates n’ont pas plus de capacité de contrôle que n’en avaient les républicains. La médiocrité et l’irresponsabilité sont également et démocratiquement partagées. Le problème est que cette impuissance des hommes et des femmes en place laisse le système à lui-même, et le système confronté à sa tendance historique à la décadence et à la désagrégation. Par conséquent, la situation est marquée par le désordre et la fuite en avant ; non seulement le processus est-il incontrôlable, mais également les tensions internes qui s’affirment.
Il n’est évidemment pas assuré, loin de là, que le veto de Bush règle le problème. Ce commentaire de AP montre au contraire que les démocrates pourraient être conduits à des mesures intermédiaires de contrôle, de blocage, etc :
«If anything, it is more likely that House and Senate Democrats will have trouble in forging a compromise among themselves than that they will flinch from a confrontation with the White House. Mindful of the need to assure a flow of funds, Rep. John Murtha (news, bio, voting record), D-Pa., said Congress may consider passing monthlong spending bills while it challenges Bush over his war policy.
»There is a strong reluctance among the rank and file to approve money for the war without attaching conditions to force a change in policy, and lawmakers said that situation portended a House-Senate compromise that would include provisions Bush has rejected.
»“I don't think the leadership will give in. I don't think they can give in,” said Rep. Jim Moran, D-Va. “We have very strong feelings among members. And the real strong pushback would come from voters.”»
Du côté des républicains, la situation n’est pas moins incertaine. Bush est absolument déterminé et plus que jamais persuadé à la fois de la justesse de la cause et de sa position de leader républicain, et il compte bien sur le soutien massif des républicains dans cette affaire de veto (il faudrait deux tiers des voix pour annuler son veto, soit un important apport d’élus républicains dans le camp des opposants). Les élus républicains eux-mêmes, on mesure leur ambiguïté avec leur regroupement “pour l’apparence” et leur attitude cachée d’une extraordinaire hostilité à la politique Bush, qui va peser de plus en plus dans le contexte évidemment électoral.
La situation est à la fois explosive et radicale, et les forces qui s’affrontent sont toutes incertaines et divisées derrière les résolutions d’apparence. Au caractère incontrôlable de la situation, on ajoutera donc celui de l’insaisissabilité : non seulement on ne la maîtrise pas mais on ne la comprend pas. On comprend alors, au contraire, que nous privilégions une approche “historique” des événements, avec la possibilité que les gardiens du système (l’establishment, démocrates et républicains confondus) soient brutalement débordés, ici ou là, sur la gauche ou sur la droite, selon une voie constitutionnelle ou l’autre, etc. Certains, à l’intérieur même du système mais plus lucides que les autres, en admettent la possibilité (Hagel et son évocation implicite d’une procédure de destitution).
Effectivement, tout est possible, y compris que la comédie se transforme brusquement en tragédie.