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25762 janvier 2014 – M.K. Bhadrakumar rapportait, le 9 juillet 2013, une anecdote significative sur la façon dont la nouvelle présidente sud-coréenne, rencontrant le nouveau président chinois à la fin juin, lui proposa de signifier au Japon qu’il devrait désormais compter sur une proximité entre la Corée du Sud et la Chine avant d’envisager quelque pression que ce soit pour affirmer sa présence dans la zone du continent asiatique. Voici l’anecdote :
«Park ignored a traditional visit to Japan for a new ROK leader and headed for Beijing instead. Indeed, China-ROK ties are growing by leaps and bounds, especially business ties, and the North Korea problem gives a sense of immediacy.
»Nonetheless, the haystack was about ROK-China-Japan triangle. The needle, in the event, turned out to be a sharp one. At a private conversation over lunch in Beijing, Park made an extraordinary proposal to Xi: How about China erecting a memorial for the South Korean hero An Jung-geun in the city of Harbin in Heilongjiang province? Au is none other than the Korean nationalist who assassinated Japan’s first prime minister Ito Hirobumi on 26 October 1909 while he was on a visit to Harbin which was under Japanese occupation. Park added that Au is “a historical figure respected by the peoples of South Korea and China.”
»To be sure, history is revisiting with a vengeance...»
Quant à cette dernière phrase citée, plutôt que l’affirmation du “retour d’une histoire vengeresse...”, nous proposerions l’idée du “retour du symbole”, – et cela, dans le but de faire de la politique, ou plutôt de se substituer à l’acte politique devenu presque impossible parce qu’inaudible et quasi-incompréhensible du fait des interférences monstrueuses de la communication, pour “faire de la politique”. Il nous apparaît évident que l’érection d’une statue à la gloire de An Jung-geun n’a rien à voir avec le malheureux An, et tout avec l’affirmation de la proximité nouvelle de la Corée du Sud et de la Chine contre le Japon. C’est bien de cette façon que l’entend madame Park, et que l’entend monsieur Xi. Ici, nous ne parlons pas en termes de géopolitique, mais en termes de la communication qui domine tout avec ses effets sur la psychologie, et là-dedans, l’aspect le plus singulier et le plus explosif de la communication qui est le maniement du symbole.
Nous voulons ainsi en venir à cette année nouvelle 2014, qui sera nécessairement significative à cet égard, parce que centenaire de 1914, et que ce chiffre du temps calculé de notre civilisation (1914) représente une formidable rupture, la précipitation d’un cataclysme, d’une catastrophe sans précédent. Cela est si fortement dans nos esprits et dans le sous-bassement de nos esprits qu’on nomme “inconscient” que vous n’avez qu’à dire “c’est 1914” pour qualifier un événement par cette analogie, et tout le monde comprend sans plus de précision nécessaire. Le procédé est largement utilisé ces derniers temps pour nous signifier ce sentiment diffus mais si puissant de la potentialité catastrophique de l’époque que nous vivons.
• Par exemple, et pour remonter jusqu’au printemps 2012 où la Russie connaissait les premières attaques massives et dénoncées publiquement de l’“agression douce” (voir le 14 mars 2012) du bloc BAO, nous avions signalé les prévisions de l’expert venu du FSB et proche du ministère des affaires étrangères Igor Panarine, le 23 avril 2012. Sans que l’allusion à la Grande Guerre soit directement exprimée, la prévision datée, qui reste d’actualité et toujours énigmatique, conduisait évidemment à l’analogie par le biais du centenaire.
»... Dans une précédente chronique, immédiatement après l’élection [de Poutine à la présidence], [Panarine] développait déjà ce thème, cette fois en donnant une précision datée dont il ne s’est pas expliqué et qui reste, à notre estimation, tout à fait énigmatique : une menace contre Poutine d’ici août 2014 (le seul aspect particulier de cette date, qui n’est pas nécessairement une coïncidence comme on en conviendra aisément, est qu’il s’agit du centième anniversaire du déclenchement de la Grande Guerre, qui est le conflit par excellence détonateur de la phase actuelle de la modernité dans le prolongement observé aujourd’hui de sa crise ultime). [...] “The new objective of the media campaign against Russia, including the rally on March 10, is to undermine Putin’s legitimacy and force him to resign, with the ultimate goal of destroying Russian statehood. The nearest deadline is supposedly August 2014.”»
• Dans la tourmente d’une crise européenne de plus au printemps 2013 (l’affaire des banques chypriote avec l’intervention résolument brutale de l’UE sous la poussée allemande), des dirigeants européens ne craignirent pas d’évoquer l’analogie de 1914. C’est une attitude psychologique remarquable pour ces dirigeants européens élevés selon les enseignements du catéchisme-UE selon lequel “leur” Europe a accompli le miracle de supprimer toute possibilité de guerre en Europe. Pour ce cas, il s’agit du Premier ministre luxembourgeois d’alors, Jean-Claude Juncker, le 12 mars 2013 (les références datées sont données dans le texte initial).
«Le fait de ce que nous nommons “tournant de crise” (voir le 11 mars 2013), en référence à divers événements européens, notamment en Italie (voir le 9 mars 2013), ou à des analyses comme celle de George Friedman (voir le 11 mars 2013), constitue un puissant élément amenant chez les dirigeants européens un trouble profond, et des jugements à mesure. C’est le cas du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien président de l’Eurogroupe et Premier ministre dans son pays, dans une interview au Spiegel, dont EUObserver donne une analyse succincte le 11 mars 2013. [...] La principale trouvaille de cette interview est que Juncker, très inquiet de la situation, découvre que les “démons dormants de la guerre” peuvent à tout moment se réveiller en Europe. Il considère que cette situation de 2013 ressemble à s’y méprendre à celle de 1913, ainsi 2013 avant 2014 comme 1913 se plaçait assez logiquement avant 1914 … On connaît la suite et l’on comprend l’analogie, fortement marquée à la fois d’un symbolisme assez primaire et de ce qui serait presque un brin de superstition...»
• Lors d’une des diverses séquences paroxystiques de la crise syrienne, nombreuses jusqu’en septembre 2013, celle de fin mai-début juin lors d’une des non moins nombreuses “attaques chimiques” vraies ou fausses et toujours manipulées, Justin Raimondo avait publié un article qui est un bon exemple de cette appréciation analogique des situations. Il y comparait le Moyen-Orient d’aujourd’hui aux Balkans de 1913-1914 (le 2 juin 2013).
«In its broad outlines, we face a similar situation today. The Balkans of the new millennium is undoubtedly the Middle East, and here it is that, once again, a country imbued with a religiously-inspired vision of a “Greater” version of itself is pushing an expansionist policy, having roughly doubled its size since its inception as an independent nation. Inspired by an ideological vision that seeks to recreate a glorious past kingdom, and driven by the religious fanaticism of a militant ultra-nationalist movement, the state of Israel is the Serbia of our time – the epicenter and catalyst of the coming conflict... [...] In short, the Middle East is a tinderbox, even more explosive than the Balkans of 1914 – and 2014 may mark the beginning of yet another hundred-year cycle of global conflict...»
... Et ainsi de suite, pourrions-nous écrire. La référence de la Grande Guerre est aujourd’hui omniprésente, alors qu’elle l’était peu hier, – disons, dans la première période de cette époque post-9/11, dans ces années 2001-2007 incluant les épisodes type-“retenez-moi ou je fais un malheur” contre l’Iran. Dans cette période, c’était plutôt le tryptique Munich-Hitler-1939 qui était sollicité. Cette évolution n’est pas fortuite : en 2001-2007 triomphait (avec une décadence marquée au plus l’on avance dans la période) la rhétorique triomphante-pressante des neocons, type-il faut attaquer partout parce que «we are the empire now... When we act, we create our own reality…» (virtualisme, voir le 27 octobre 2012) ; l’analogie-“tendance” c’était “Saddam c'est Hitler”, “Ahmadinejad c'est Hitler”, etc., selon l’argument du “si vous ne me soutenez pas vous être un sacré fucking munichois-1938”... Aujourd’hui, – c’est-à-dire depuis 2008, la chute des banques et la constitution du bloc BAO, – nous en sommes partout réduits aux déroutes incompréhensibles et inexplicables, aux vitupérations alimentant le désordre le plus complet, aux absurdités et contresens assumés d’une politique extérieure du susdit bloc BAO réduite aux acquêts de l’affectivité. Alors la référence à un grand carnage comme issue de la crise présente se fait vers ce qui est perçu comme une immense guerre absurde, sans aucun sens, etc., – la Grande Guerre telle que la dessine l’historiographie conformiste, qu’elle soit de droite ou de gauche d’ailleurs mais pourvu qu’elle soit historiographie-Système.
On sait que cette appréciation de la Grande Guerre n’est pas du tout notre conception. Au contraire, pour nous la Grande Guerre est bien plus significative dans son horreur et son carnage que 1939-1945, et cela singulièrement pour notre Grande Crise actuelle ; la Grande Guerre, c’est une catastrophe hors de tout classement intéressé de l’idéologie, et qui a ainsi absolument un sens extrêmement puissant. Notre aveuglement systématique est de ne pas voir ce sens et de ne retenir que la catastrophe ; comme si le fait d’être “une catastrophe hors de tout classement intéressé de l’idéologie”, dans notre époque, impliquait une absence de sens, – jugement bien dans l’esprit moderniste évidemment, avec l’habitude qui est aussi une nécessité de la tournure de cet esprit de la manipulation par le biais de l’idéologisation. Au contraire, la catastrophe de 14-18 dévoile pleinement et logiquement le sens catastrophique de la modernité, elle dévoile le Système, dans sa logique dd&e. On observe que c’est à partir de 14-18 ou autour de 14-18 que se développent les principaux attributs de la Grande Crise qui s’exprime aujourd’hui sans aucun frein : le capitalisme néo puis hyperlibéral, déjà “vibrant” dans les années 1920 comme effet direct de la Grande Guerre, l’américanisation du monde par le commerce et la “réclame” (la communication dans ses premières manifestations dans son rôle de vecteur direct de l’“économie de force” [selon Arnaud Dandieu et Robert Aron] de type expansionniste globalisant), la perversion de l’art mise en route vers son accomplissement d’une perversion totale et totalitaire de la situation actuelle dite de l’“art contemporain”, l’explosion du cinématographe et de la communication de l’idéologie de l’entertainment comme outil créateur de virtualisme et ainsi de suite ... (Sans parler de toutes les avancées technologiques, – le progrès certes, qui est la cause fondamentale de la monstruosité de la Grande Guerre, – qui, à partir d’elle, va prendre une ampleur formidable.)
On sait donc que la Grande Guerre est, pour nous, tout autre chose que l’appréciation courante. Nos lecteurs sont habitués à notre thèse, dont les références ne manquent pas sur ce site. Pour synthétiser cette appréciation d’une façon qui nous semble à la fois condensée et acceptable, puisque c’est nous-mêmes qui l’avons rédigé dans le sens d’une exposition rapide et compréhensible, nous citons un extrait du “quatrième de couverture” de La Grâce de l’Histoire où, à partir de l’identification de «la séquence historique conduisant à cette crise, à partir de la rupture de la fin du XVIIIème siècle, marquée par trois événements fondamentaux : la Révolution américaniste (guerre d’Indépendance des USA), la Révolution française et la révolution du choix de la thermodynamique engendrant le développement industriel et technologique», nous développons cette approche de la Grande Guerre. Nous pensons qu’ainsi est mieux fixé, d’une part l’importance que nous lui accordons dans son temps et dans le processus de la modernité ; d’autre part et surtout dans notre conscience profonde que nous en avons aujourd’hui, dans le cœur de la crise d’effondrement du Système (l’“inconscient métahistorique” dirait un freudien réformé sans craindre la contradiction entre ce qui est bas et ce qui est haut) :
«Dans la dynamique de cette séquence historique, qui est identifiée comme le moteur fondamental conduisant à la crise actuelle, la Grande Guerre de 1914-1918 occupe une place centrale, à la fois comme un pivot de la dynamique en question et comme une “réplique sismique en amont” de notre crise, annonciatrice de cette crise. Il s’agit d’une approche [...] de la Grande Guerre qui vaut essentiellement par l’identification des causes souterraines cachées, d’une très grande puissance, courant depuis le début du XIXème siècle (d’ailleurs se poursuivant après la Grande Guerre). Dans cette conception qui ne fait qu’une part très réduite à la politique, la Grande Guerre est une événement majeur de civilisation caractérisée pas une catastrophe technologique engendrant des destructions et des pertes épouvantables. Il ne s’agit en aucun cas d’un accident et d’une aberration, mais bien d’une poussée paroxystique d’une civilisation en crise, que nous retrouvons dans notre époque présente, sous d’autres formes.»
On comprend l’intérêt que nous portons à l’événement que sera 2014 dans le sens du symbolisme, et à cause essentiellement de ses effets sur la psychologie. 2014 est l’année où le souvenir de la Grande Guerre étend son ombre sur notre époque, et cela jusqu’en 2018 si l’on accepte la comptabilité commémorative dont nos dirigeants-Système sont si friands à défaut de peser sur la politique de leur époque.
Nous avions esquissé, dans notre Carnet de bord de La Grâce de l’Histoire du 27 août 2013, notre appréciation de l’importance de la Grande Guerre comme référence pour la situation actuelle, singulièrement pour cette année 2014. Nous allons reprendre diverses parties de ce travail en les élargissant, en les hiérarchisant, en les renforçant, en les organisant autrement, enfin en les “actualisant” si l’on veut, directement par rapport à l’actualité métahistorique de ce tout-début de 2014. Cette actualité est effectivement métahistorique, justifiant d’autant qu’on se réfère à 14-18 et à la Grande Guerre dans l’interprétation que nous lui donnons.
Dans le texte référencé, nous accordions une dimension politique à cette référence de la Grande Guerre. Cette référence doit être encore plus nettement identifiée comme négative d’une part, du domaine plutôt du politico-militaire d’autre part. En effet, la référence politique (une crise, aujourd’hui, pourrait conduire à une situation de type 1914, avec un conflit de cette sorte) se heurte aussitôt à l’obstacle de la dimension militaire, absolument impératif pace qu’infranchissable. Ici nous pouvons simplement citer le texte référencé du La Grâce de l’Histoire du 27 août 2013 :
«[...L]a comparaison avec 1914 et la possibilité d’une guerre mondiale se heurtent à des obstacles techniques et humains considérables, sinon infranchissables. Nous n’avons plus la capacité militaire et sociale d’envisager de tels conflits, l’option guerrière se ramenant à une alternative entre d’une part des guerres asymétriques, parcellaires, réunies sous le signe bien connu de la guerre de 4ème génération [G4G], et l’option d’une guerre de destruction et d’annihilation totales avec l’emploi du nucléaire très probable. Les grandes guerres conventionnelles, avec mobilisation massive, sont hors de nos capacités. Sans parler des questions de cohésion sociale et des divers aspects sociétaux, des capacités budgétaires en temps de crise, etc., on rappellera l’exemple pour nous significatif d’un rapport de simulation fait dans le cadre des évaluations de l’US Army, en 2007, portant sur le cas d’une invasion terrestre de l’Iran : un corps de bataille de plus d’un million d’hommes était jugé nécessaire, avec un temps de mobilisation et de préparation jusqu’à une capacité opérationnelle acceptable, de 18 à 24 mois. Quand on pense que la mobilisation d’une armée russe de plusieurs millions d’hommes en nécessitant six à sept semaines pour la Russie en 1914 était considérée comme un handicap presque fatal par rapport aux autres pays entrant en guerre...»
Ainsi sommes-nous conduit à apprécier l’importance politique de cette référence à 1914 et à la Grande Guerre, effectivement d’un point de vue négatif, ratant son exploitation d’être une sorte de repoussoir qu’elle aurait dans le chef de ceux qui avancent cette importance. Repoussoir de quoi, en vérité ? La réponse est évidente : repoussoir d’une situation présente caractérisée par une impasse totale, voire totalitaire, interdisant la pensée, interdisant d’évoquer la possibilité d’alternative, moins encore de réformes même radicales. Nous sommes enfermés dans la crise totale, dans le sens d’une crise totalitaire, une sorte de prison de la pensée interdisant rien d’autre que cette crise totalitaire à l’image du Système dont elle caractérise l’état ; et ainsi, les directions politiques-Système, malgré tout ce qu’elles en ont, malgré leur triple et quadruple langage, leurs narrative et “bulles” diverses, qui en sont les premières victimes et les prisonniers inconditionnels, et qui sont écrasées sous ce poids. De ce point de vue, la référence de 1914 avec la guerre-qui-va-avec, malgré l’horreur qui accompagne cette évocation, agirait ou aurait agi paradoxalement comme une référence de sauvegarde, presque comme un soulagement inconscient, comme la preuve que “malgré tout, quelque chose de différent (que cet emprisonnement sans fin dans la crise) peut arriver”. Il y a, évidemment, pour ces esprits faibles affectés d’un inconscient (une sous-conscience, une conscience d’en-dessous) affaibli à mesure, ce que nous nommions la «vague croyance qu’une guerre au bout d’une crise insoluble peut permettre la résolution de cette crise». (Et nous précisions dans le texte référencé que cette idée «d’un fatalisme nihiliste et sanguinaire» mêle le “vague” et la “croyance” parce que la référence politique est non seulement absolument contestable pour l’avenir ainsi espéré, – «la Grande Guerre [...] a, selon l’historiographie classique, créé bien plus de problèmes qu’elle n’en a résolu», – mais qu’elle est en plus absurde puisque cette même Grande Guerre enfante presque directement notre crise actuelle, alors que sa répétition devrait, selon ces mêmes inconscients affaiblis, nous en sortir...)
On comprend évidemment que tout cela nous a conduit au domaine psychologique, qui est sans aucun doute d’une dimension bien plus importante que le dimension politique ratée pour cette évocation de l’influence symbolique du centenaire de la Grande Guerre. De ce point de vue, notre conviction est qu’il ne fait aucun doute que le système de la communication sera fortement sollicité, et répondra à mesure, par cet événement du centenaire. Nous ne parlons évidemment pas directement des célébrations officielles, qui seront totalement chargées d’un lourd conformisme, qui insisteront sur les éléments habituels de la guerre insensée (dénuée de sens) et de la “guerre civile européenne”, qui constitueront implicitement et explicitement un plaidoyer constant pour “leur Europe”. Cette narrative aura autant de substance que les habituelles manifestations de communication du Système pour les concepts de cette sorte. Mais justement, en un sens, ce vide des commémorations officielles, montrant ainsi leur effet indirect de communication sur les psychologies, mettra en évidence les conditions de la crise actuelle, établissant d’autant plus un lien entre 1914 dans le sens d’un spasme paroxystique du Système que nous privilégions, et la situation crisique paroxystique du temps présent, qui en est pour nous le spasme ultime. (Par exemple et pour le terre-à-terre, le souvenir de 1914 constituera, pour la France qui supporta l’essentiel des combats, une mise en évidence indirecte et inconsciente mais puissante par analogie contradictoire de l’affaiblissement catastrophique de la situation pérenne de la nation française aujourd’hui. Ainsi sera établie d’autant la différence des situations françaises devant deux manifestations de la même crise du Système, rendant d’autant plus pressante et dévastatrice la réalisation, consciente ou pas qu’importe, de la situation française actuelle et sa connexion directe avec l’influence catastrophique du Système.)
Par conséquent, plutôt que de nous référer à l’effet direct du souvenir de la Grande Guerre, à son aspect historique pur, sinon historiographique, avec les habituelles polémiques usées autant que les thèmes consacrés et tout cela faussaire (pacifisme, nationalisme, absence de sens, absurdité de cette guerre, mutineries, etc.), nous parlons d’un autre effet, le seul qui vaille et qui nous importe. Il s’agit de l’effet de l’excitation permanente qui affectera la psychologie dans le sens certes du souvenir de ce conflit, mais de ce conflit perçu confusément mais puissamment comme terrible, cruel, immense, bouleversant, d’une certaine façon incompréhensible selon l’aveu même de l’historiographie-Système, tout cela au contraire immensément compréhensible et évident si l’on choisit le point de vue métahistorique ; tout cela, certes, qui forme, par des voies et moyens différents, un portrait acceptable dans le miroir de l'analogie de l’immense crise que nous subissons aujourd’hui, entre l'incompréhensible venu de la plus grande bassesse de la pensée-Système, et le si puissamment compréhensible sinon éclairant comme un éclair de vérité, venu de la pensée métahistorique.
C’est ici l’effet qui compte puisqu’il s’agit de psychologie, et nullement la signification commune et insupportable de grossièreté et de bassesse qui, nous le répétons, sera en général conforme à la “ligne officielle” de ces pauvres êtres qui font profession (la foi un peu usée du charbonnier) de servir à quelque chose dans la direction du monde. Cet effet sera celui d’une tension permanente et, surtout, d’une tension identifiée au travers d’une référence incontestable et connue de tous. En un sens, dans notre époque chaotique, secouée de crises et même structurée selon les seules crise (infrastructure crisique), le référence de la grande Guerre, toute effrayante qu’elle soit, tendrait curieusement ou d’une façon révélatrice à offrir la perspective d’un certain sens... Justement, ce sens pourrait se révéler être adaptable à notre propre crise, révélant ainsi d’une façon identifiable la puissance de cette crise, sa monstruosité, etc., mais aussi son inéluctabilité et, finalement, sa nécessité profonde et salvatrice.
Encore n’est-ce là qu’un aspect de la chose, – qui est en fait une hypothèse psychologique de notre part. Un autre aspect apparaît, plus important encore, qui est la création de l’unité sublime et si grande métahistoriquement d’une référence si féconde ; il s’agit donc d’une unité de l’objet de la pensée par la perception psychologique indirecte ; il s’agit donc de cette évolution commune nécessairement vertueuse des esprits vers l’unité, allant en sens contraire de la déstructuration et de la dissolution. De cette façon, on pourrait concevoir que la référence 1914/Grande Guerre, d’ailleurs promise à se prolonger pour notre psychologie avec la logique du fait centenaire selon une perspective jusqu’en 2018, contribuerait peut-être décisivement à la réalisation d’une unification, puis de l’unité de la perception de la crise actuelle. En ce sens, 1914 répercuté par 2014 pourrait être effectivement une sorte de miroir qui nous serait tendu, où nous pourrions identifier notre crise et sa signification au travers de la perception, consciente ou inconsciente, de ce que fut réellement (selon notre conception) la Grande Guerre. A travers cette référence, nos psychologies seraient conduites à accepter d’une démarche commune le fait de la Grande Crise actuelle effectivement comme le fait de la crise d’effondrement du Système.
Notre conviction à cet égard, – nous avons déjà développé cette idée, – est que le “négationnisme” exercé dans nombre d’esprits à l’encontre de l’ampleur eschatologique et catastrophique de la crise actuelle constitue un des principaux obstacles à l’opérationnalisation de la phase finale de cette événement. (Sur ce “négationnisme”, voir notamment le 3 janvier 2012 et le 20 février 2012.) Ce “négationnisme” est parfois véhément, agressif, ou bien sans aucune prise à l’argument contraire, presque insaisissable, mais il est généralement vulnérable aux tensions extraordinaires que subit notre psychologie. A propos de cette année 1914, de son cortège de références et de rappels d'une mémoire sollicitée jusqu'à la possibilité de se transcender ; à propos de sa fournée de commémorations et de discours si insipides qu’ils conduisent à croire qu’ils dissimulent autre chose de fondamental ; à propos de cette “grande ombre” de 14-18 à un siècle de distance, qui concerne un rappel constant pour 2014 mais aussi jusqu’en 2018, nous faisons l’hypothèse d’un poids secret qui va désormais peser sur nos psychologies, et un poids évidemment dans le sens que nous disons qui est celui de la Grande Guerre perçue comme «un événement majeur de civilisation caractérisée pas une catastrophe technologique… […] une poussée paroxystique d’une civilisation en crise, que nous retrouvons dans notre époque présente, sous d’autres formes.» Ce poids constitue une pression collective qui n’a besoin d’aucune identification officielle, d’aucune catégorisation courante, qui est l’effet d’une de ces forces extrahumaines auxquelles nous faisons souvent référence, influençant et changeant les psychologies dans le sens de l’acquiescement et de la compréhension de notre situation, de l’identification de cette Grande Crise, enfin de la nécessité vitale, quasiment de survie de cette crise d’effondrement du Système.
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