De 9/11 à Covid-19, God on Our Side

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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De 9/11 à Covid-19, God on Our Side

1er avril 2020 – Le Washington Post annonçait hier à que les décès dus à la pandémie Covid-19 aux USA avait frappé 3 170 personnes. ZeroHedge.com présentait la nouvelle de la sorte :

« Mise à jour (1100ET) : La nouvelle épidémie de coronavirus aux États-Unis a franchi une nouvelle étape importante : le nombre de victimes a dépassé celui du 11 septembre.
» Selon le Washington Post, le nombre de décès s'élevait à 3 170 à 11 heures du matin, ce 31 mars 2020. Lors de l’attaques du World Trade Center, 2 977 personnes avaient été tuées, ce qui en faisait l’attaque la plus meurtrière sur le sol américain depuis Pearl Harbor. »

On notera bien entendu que la comparaison entre 9/11 et Covid-19 implique que les deux événements sont implicitement, et je dirais même inconsciemment”, considérés comme de même nature. Par conséquent, il apparaît évident, comme allant de soi et allant sans dire, que la pandémie est “implicitement, et je dirais même inconsciemment”, vécue comme “une attaque” lancée par un “ennemi” contre les Etats-Unis.

C’est une idée qui est fort répandue dans la perception américaniste, selon laquelle Covid-19 est une agression ennemie contre les USA. La fortune de l’interprétation d’une “attaque chinoise” est toute faite, notamment avec les surnoms un temps adoptés par Trump lui-même, de “virus chinois”, sinon de “virus Wuhan”. J’ai été arrêté plus loin, dans le même texte qui est en fait la synthèse quotidienne de la pandémie de ZeroHedge.com, par la nouvelle suivante (présentation et tweet d’un nommé Hu Xijin) :

« Enfin, Pékin a un message pour les politiciens américains impétueux qui attendent de la Chine qu'elle paie une sanction quelconque pour avoir libéré cette monstruosité médicale sur le monde.
» Hu Xijin : “La Chine doit-elle compenser les pertes des Etats-Unis dans la pandémie ? 1. Cela n'a aucune base juridique. 2. La Chine n'est plus aujourd'hui un pays que les États-Unis peuvent délibérément contraindre et faire chanter. Quelques politiciens américains feraient mieux d'arrêter de rêver.” »

Cette interprétation tout à fait extraordinaire semble complètement évidente à certains hommes politiques US autant qu’aux rédacteurs du site ZeroHedge.com dont la tonalité antichinoise dans ses analyses et commentaires sur Covid-19 est d’une exceptionnelle agressivité. On notera pour autant qu’il n’est même pas fait allusion à la thèse complotiste d’un virus (anti-US) fabriqué par les Chinois, et volontairement répandu par eux en commençant son “attaque” anti-US en décimant la Chine elle-même ; ou bien du même virus fabriqué par les Chinois dans un but anti-US, mais accidentellement diffusé à Wuhan.

Non, je ne perçois pas la chose de cette façon (complot spécifique), mais bien comme le réflexe d’une psychologie américaniste conditionnée par la perception, d’une puissance extraordinaire jusqu’au conditionnement de la vertu même, du simulacre a-historique d’une Amérique exceptionnaliste, guettée depuis son origine par ses très nombreux “ennemis” jaloux et envieux, qui veulent sa destruction. Depuis quelques années, l’“ennemi” chinois fait l’affaire, en concurrence avec l’“ennemi” russe, et quelques autres “ennemis” de rencontre, plus ou moins sérieux (Iran, parfois l’UE, etc.). Bien entendu, Covid-19, apparu à Wuhan, Chine, ne peut être qu’un acte d’agression perpétré par l’“ennemi” chinois, en passe du coup à devenir l’“Ennemi” tout court. (Qu’il ait la peau jaune en plus, ce n’est après tout pas plus mal pour le repérage de la chose, – tout racisme mis à part, bien entendu, puisque l’Amérique est dispensée de cette tare.)

Le Covid-19 qui frappe l’Amérique n’a rien à voir avec celui qui dévaste le reste du monde. Il est à part, il est spécial, il est “anti-américain” (Un-American). Il est le résultat d’une machination du Mal, bien entendu contre le Bien que représente l’Amérique. On ne combat pas le Mal avec des masques, du savon et des “gestes-barrière”, mais avec l’anathème, l’exorcisme, la “Main Invisible” et éventuellement l’US Navy quand elle n’est pas elle-même agressée par l’“ennemi” (voir le USS Theodore Roosevelt). D’où, je suppose, une des explications de la lenteur, des erreurs, des hésitations, du chaos, etc., qui  caractérisent la réponse des USA face à la pandémie. Trump l’a finalement prise au sérieux mais il continue à attendre sinon à exiger un “miracle”, comme il l’avait annoncé plusieurs fois, qui stoppera cette agression du Mal. (“Thats a deal”, entre l'Amérique et Dieu, dans cet ordre.)

D’une certaine façon, toutes ces remarques semblent manquer de sérieux ou être bien accessoires ; moi-même, en les faisant, suis en partie sensible à cet aspect semble-t-il accessoire, sinon dérisoire. Et pourtant, non... Je crois vraiment qu’il existe un fond extrêmement puissant de croyance, venue de l’origine, qui exonère l’Amérique de tout accident de nature dans son destin, – la nature, par nature, ne peut être hostile à l’Amérique qui est la nature régénérée du monde, puisque Nouveau-Monde. Cette croyance nécessite, dans son interprétation de tous les avatars humains ou naturels que subit cette entité exceptionnelle et voulue par Dieu, l’existence d’un “ennemi” envoyé par le Mal.

Pour cette raison générale de sa conviction qu’Elle est quelque chose voulue par Dieu et caractérisée par une certaine divinité de soi qui la distingue et la protège, et par conséquent comptant sur le “miracle” naturel à sa distinction plutôt que sur les lits d’hôpitaux, l’Amérique aura, me semble-t-il, bien du mal à lutter terrestrement contre Covid-19. Ainsi donnera-t-elle peut-être raison à Lincoln, si sa façon de lutter contre la pandémie la conduit à ne pas en avoir raison sans d’irréparables dommages qu’elle se causerait à elle-même, jusqu’à un effondrement ou un éclatement qui serait un suicide de l’entité originelle.

Refrain : « Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant . »

(A moins, certes, que Dieu ne respecte le deal.)