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4613Macron, pourrait-on dire, c’est tout-“com’”, – nous-mêmes voulant signifier par là que toutes ses entreprises sont marquées d’abord, sinon essentiellement, et parfois même exclusivement par le seul souci de la communication. Il faut donc juger “ses entreprises” en ayant à l’esprit cette préoccupation qui les dévalorise radicalement mais leur donne une certaine “existence” dans une époque totalement nimbée dans le simulacre de la communication. A Biarritz (G7) comme à Brégançon, quelques jours plus tôt (Poutine), Macron a fait de la com’ pour lui-même mais un “lui-même” qui prétendrait agir d’une façon altruiste, si l’on veut dans le but d’entraîner l’Europe à le suivre, donc à accoucher d’une “politique européenne” dans divers dossiers importants. On peut également juger que l’altruiste a une idée derrière la tête qui est, puisqu’il apparaîtrait comme l’inspirateur d’une telle “politique européenne”, dont il s’imposerait dès lors comme le concepteur, dont il profiterait pour maintenir et renforcer sa stature de président français, de se constituer en une sorte de “faisant fonction de président européen”.
Mais laissons ces chimères empanachées de grands mots sans le moindre remède ; rien dans tout cela, par rapport au personnage-Macron, n’est grandiose ni très intéressant, et d’ailleurs ce n’est pas ce qui nous intéresse. Nous laissons Macron à ses manœuvres et autres, mais nous continuons à suivre celui qui est, quoiqu’on veuille et même si on le déplore grandement, le président de la France ; c’est-à-dire d’un pays qu’on a coutume, encore aujourd’hui et malgré tant d’événements contrariants et décourageants, de juger “grand” et “qui compte en Europe”. La France compte d’autant plus par élimination, parce qu’elle reste la seule des “trois grands” européens :
Parce que le Royaume-Unis est en plein Brexitet qu’il est nécessairement hors du jeu européen, en plus de son extrême fragilisation intérieure,de la sidérante déstructuration de son système politique et social qui fut pendant plusieurs siècles l’objet justifié de tant d’admiration ;
Parce que l’Allemagne est en pleine décadence de la fonction impériale européenne qu’on lui avait octroyée un peu vite (on s’est toujours fait des illusions sur l’Allemagne de l’après-guerre, y compris avec la réunification) ; en décadence à cause de son affaiblissement économique et surtout d’une grave crise de sa direction politique à l’heure où Merkel s’efface à une vitesse surprenante, toujours chancelière mais rapetissant à vue d’œil, et cette direction politique constamment humiliée par les rebuffades des USA et impuissante à y répondre d’une façon crédible.
A Brégançon, Macron a tenté de jeter les bases d’un rapprochement de la Russie vers l’Europe, selon des arguments connus et évidents. On peut avoir des doutes sur la réussite de l’entreprise, notamment à cause du grand vide caractérisant toute entreprise de “politique européenne”, mais là n’est pas vraiment la question. A Biarritz, Macron a tenté un “gros coup” avec les Iraniens, qui s’est avéré, du point de vue collectif, du point du vue du G7 où se trouvent les USA, un coup particulièrement raté ; personne n’a vraiment suivi, comme il fallait s’y attendre, les Allemands ont été glacials, Trump à peine poli et alternant les “oui peut-être” et les “non c’est beaucoup trop tôt”. “Coup raté”, certes ; mais là encore, “là n’est pas vraiment la question”...
En vérité, la France n’est pas écartée, ni snobée, ni mise à l’écart ; la France est seule, ce qui est différent, les autres ne faisant rien ou bien faisant n’importe quoi (Trump) selon l’humeur et le temps qu’il fait, – et Trump, plutôt de mauvaise humeur à cet égard, parce qu’on voudrait le priver de son joujou iranien sur lequel il exerce sa capacité de nuisance sanctionneuse. Par conséquent, la France peut évoluer (dans un sens spatial, sur le devant de la scène), nul ne l’en empêchera ; simplement, nul ne viendra se joindre à elle, et encore moins quoi que ce soit qui ressemble à une “politique européenne”. D’une certaine façon, on pourrait objectivement et cyniquement observer que ce pourrait être une chance pour la France, malgré Macron et ses hoquets-hochets européens.
L’idée est, dans le cas de Poutine et de la Russie, exposée par exemple par le rédacteur en chef de Politique MagazinePhilippe Mesnard, qui parle assez joliment de “l’intelligence inattendue” de Macron (« Brégançon ou l'intelligence inattendue d'Emmanuel Macron ») … Quoique nous aurions plutôt dit “l’intelligence par inadvertance d’Emmanuel Macron”, si nous nous comprenons bien.
Mesnard écrit, en conclusion de son article :
« Vladimir Poutine est venu à Brégançon rencontrer un président français qui, depuis son élection, est un partisan convaincu de l’Union européenne, à qui il n’arrive pourtant jamais à imposer ses vues et encore moins ses volontés ; un président qui admoneste régulièrement la Russie sur les droits de l’homme en feignant d'ignorer que la manière dont la France a réprimé les Gilets jaunes a scandalisé le monde ; un président qui a joué à être fort en étant insultant ; un président qui, au Moyen-Orient, joue un jeu que personne ne comprend, sauf à considérer que nous sommes les valets des Américains ; un président qui fixe des caps, trace des lignes rouges et prétend faire renaître l’Europe tout en guidant la Russie vers son destin alors même qu’il efface la France, à Marrakech ou à Aix-la-Chapelle, et renie son histoire.
» Vladimir Poutine est venu rencontrer un président français dévoré d’ambition et qui se sert de la France comme d'un marchepied. Mais peut-être cette rencontre est-elle effectivement une chance pour la France. Macron veut se poser, une fois de plus, en sauveur de l’Europe. Sa diplomatie se résume à croire que la politique de Trump et le Brexit lui donnent de l’oxygène. Il voit dans la Russie de Poutine, qu’il a contribué à isoler, une opportunité de se mettre en scène. Qu’il la saisisse et peut-être la France pourra-t-elle en bénéficier. Si la France, rassemblant les débris de sa crédibilité diplomatique, se rappelant qu’elle est la seule armée européenne qui vaille, se souvenant de son rang et de l’audience qui fut la sienne, réussit à imposer la Russie à l’Union européenne et aux États-Unis, elle aura réussi à regagner la place qu’elle avait perdue. »
La même logique peut être employée pour l’Iran, avec la France continuant à parler avec ce pays, au nom de l’Europe certes et de toutes les façons partie prenante au traité JCPOA, mais en tant que nation française bien connue pour beaucoup de raisons solidement évidentes... En effet, cela est d’autant plus évident pour ce cas que les principaux architectes européens du JCPOA, qui ont effectivement joué un rôle important, telle la Haute Représentante de l’UE Frederica Mogherini, quittent leurs postes dans quelques semaines : non seulement il n’y a pas de “politique européenne”, mais là où il y en eut une esquisse [l’Iran et le JCPOA], les acteurs de cette performance disparaissent de la scène... Le vide est complet.
On ne demande pas à Macron de réussir des choses formidables, de résoudre des crises. C’est impossible aujourd’hui, tout simplement et affreusement dit, comme est impossible toute action structurée et cohérente dans le “tourbillon crisique” qui emporte l’Europe, le monde et la civilisation. Dans cette “époque étrange” de la médiocrité affirmée comme la vertu centrale d’une ontologie-simulacre, des forces infiniment supérieures aux nôtres, sont aujourd’hui en action et nulle interférence sur le sens profond des événements n’est possible.
Dans ces circonstances, on ne demande à Macron que ce qu’il peut être et faire : être présent et s’agiter dans le vide existant entre les deux bords d’une confrontation absurde (dans le cas russe comme dans le cas iranien, et c’est la même confrontation), orchestrée par une Amérique devenue folle à l’image d’un président dont la normalité est effectivement une sorte de folie, et en présence de laquelle (la folie américanisto-trumpiste) tout le monde tient son rôle de paralytique impuissant et asservi. Avec son passé, son poids et sa notoriété, son habitude structurelle et inconsciente de l’indépendance, la France peut effectivement rompre les rangs...
Macron veut du galon, si possible historique, au nom de la “politique européenne” ? Bon vent et qu’il s’y mette, il n’y a pas vraiment de concurrence sur le marché ; et comme il n’y a pas de “politique européenne”, quoi qu’en veuille Macron ce sera une politique française puisqu’il ne reste que cela. En d’autres mots, Macron-l’hypereuropéen ne peut vraiment exister selon ses ambitions qu’en étant Français ; s’il insiste pour être “européen” (les guillemets s’imposent), il deviendra, ou redeviendra, ou se confirmera comme un être politique absolument vide, et il sera définitivement installé dans son néant. Si cela est à prendre avec la première option, la France n’a qu’à prendre, sans se faire la moindre illusion, ni sur Macron, ni sur les événements, ni sur le sort du monde ; d’autres, qui ne sont pas de ce monde, s’en chargent bien volontiers...
Mis en ligne le 26 août 2019 à 15H12
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