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335115 février 2022 (12H30) – Comme signalé d’ores et déjà, dans le hasard de mes recherches courantes en connexion avec la subcrise ukrainienne, je me suis arrêté avant-hier à une interview de Jacques Attali, le 4 juin 2014 sur Europe1. Je décidai de l’écouter pour bien moqueusement rire un peu, ayant mes apriorismes et mes préjugés dont Joseph de Maistre dit tant de bien. Quelle ne fut pas ma surprise ?!
On a déjà parlé abondamment des circonstances et des considérations autour de la trouvaille, et en avertissant d’ailleurs, – c’était pour mon compte avec ce texte, – qu’on reviendrait sur un extrait spécifique de l’intervention d’Attali :
« On reviendra plus précisément sur cet aspect des choses prochainement, en reprenant cet extrait de l’interview d’Attali qui suit... »
Il s’agit donc de ceci, qui est plus précisément le passage évoquant les liens existant entre Obama et Chicago, cette grande ville abritant une part très importante des citoyens américains d’origine polonaise. Attali en fait la cause principale de la politique d’alors (juin 2014), relativement intransigeante ou dans tous les cas sans aucune velléité constructive, des USA vis-à-vis de la subcrise ukrainienne :
Jacques Attali : « ... Crise [ukrainienne]qui peut conduire à la Troisième Guerre Mondiale si on s’y prend mal ... Crise qui s’explique assez largement, sans faire de caricature excessive, par la politique intérieure américaine, et en particulier par le lien qui unit Obama à la ville de Chicago, première ou deuxième ville polonaise du monde, et qui explique l’obsession américain qui est l’obsession polonaise, dont on peut comprendre par ailleurs les raisons, et qui est “tout sauf les Russes”... Ce sont les Polonais qui veulent absolument qu’on écarte la présence russe en Ukraine, ce sont les Polonais qui veulent à tout prix que l’Ukraine entre dans l’OTAN comme ils le sont eux-mêmes... »
Emmanuel Faux : « Vous pensez que Barack Obama est sensible à ce point à ce lobbying russophobe qui agit autour de lui ?
Jacques Attali : « Bien sûr, absolument, il y est sensible parce que c’est un homme de Chicago et que tout ce qui se joue dans cette politique américaine lui est très présent... »
Emmanuel Faux : « Alors, je reviens au décorum... La Normandie pour parler de cette crise, c’est étrange, non ? »
Jacques Attali : « Bien sûr que c’est étrange, surtout qu’on avait un rendez-vous pour en parler à Sotchi et qu’on l’a refusé, qu’on avait un autre rendez-vous la veille à Bruxelles et qu’on l’a raté parce qu’on n’a pas voulu inviter Poutine... Donc, pour des raisons de politique américaine, Obama, qui est obligé de parler avec Poutine, semble le faire par hasard ou en étant forcé, pour dire aux Américains “Écoutez, je ne pouvais pas faire autrement que le voir”... Bon c’est un peu grotesque quoi... »
J’ai été particulièrement intéressé et satisfait de voir dans la bouche d’Attali cette référence, et catégoriquement dite, à l’influence de Chicago qui est une des grandes forteresses de puissance politique intérieure aux USA, sur la “Grande Politique” US. De toutes les façons et chose que l’on ignore beaucoup trop, cet empire aux prétentions mondiales et aux préoccupations centrales et centrées sur les corruptions provinciales, a toujours fonctionné de cette façon pour ses “Grandes Politiques”. De la corruption provincialiste à l’arrogance mondialiste et désormais (depuis 9/11) catastrophique. Le paradoxe ne cesse pas de nous ramener à la dérision dans cette affaire.
A la lumière de la conviction d’Attali, qui est à cet égard fort bien renseigné par ces multiples contacts internationaux, il m’importe grandement de rappeler un épisode important de cette “Grande Politique”, c’est-à-dire ce qui conduisit, à l’origine, à la trahison du serment fait à Gorbatchev par Bush-Baker en 1989-90, au moment de la réunification allemande qui impliquait de facto l’incorporation de l’Allemagne de l’Est [RDA] dans l’OTAN (« Il n’y aura pas un seul pouce d’extension de l’OTAN vers l’Est », au-delà de la frontière de l’Allemagne réunifiée [secrétaire d’État James Baker]). Pour ce rappel, on va reprendre des extraits importants d’un texte récent (11 novembre 2019), lequel reprenait lui-même des éléments d’autres textes précédents, – tant il s’agit, pour moi, d’un “détail” de la plus haute importance, répété à chaque occasion de la nécessité depuis vingt ans. Il s’agit de la présentation détaillée des circonstances qui ont abouti à la décision d’extension de l’OTAN, en violation du serment Bush-Baker...
(...Et franchement, cette promesse, qui a été recueillie sur des verbatimofficiels, aurait été mise par écrit, – on a souvent reproché à la “naïveté” de Gorbatchev de ne l’avoir pas fait, comme s’il avait eu le pouvoir de l’imposer, – que cela n’aurait rien changé. La violation des serments parlés et des textes les plus solennels est, je vous l’assure en toute sérénité, l’une des plus charmantes coutumes de la “Grande Politique” de la Grande République l’américanisme. On baptise la chose “pragmatisme” et passez muscade ! Et l’on en fait une des vertus de l’américanisme, contre espèces sonnantes-trébuchantes pour la psychologie de la soumission.)
Les extraits complets du texte référencé sont repris en fin de cette page du ‘Journal-dde.crisis’ pour que l’on dispose immédiatement de l’essentiel du contexte de la décision originelle de la politique d’expansion de l’OTAN, cause directe de la subcrise ukrainienne. Je reprends pourtant ici la partie de l’extrait expliquant directement le rôle de Chicago et des polono-américains dans cette décision, qui constitua à l ‘époque un tournant incompréhensible et dangereux de la politique US de l’OTAN (comme expliqué dans l’extrait complet).
« Comment cette situation [cette politique initiale de non-extension de l’OTAN vers l’Est] change-t-elle ? Bien sûr, il y a la pression commençante des pays concernés, de l’ex-Europe communiste, qui envisagent l’entrée dans l’OTAN parallèlement, voire prioritairement à l’entrée dans l’UE. Mais cette position-là n’a strictement aucune importance ni le moindre poids au départ. Du côté américain, jusqu’en 1993-94, il n’est pas question d’un tel élargissement, dans tous les cas dans les cercles politiques et stratégiques. Ce qui va imposer le cas au premier plan de la réflexion, c’est une circonstance électorale. A la fin 1993, on prépare les élections mid-term aux USA et les démocrates commencent à craindre de solides déboires. (Ceux-ci seront confirmés, par une formidable défaite en novembre 1994, qui plongera Clinton dans une dépression profonde pendant quelques mois.) Toutes les énergies, tous les arguments doivent être rassemblés. Dans la région de Chicago, où les démocrates ont un fort point d’appui électoral avec une minorité d’origine polonaise, un important élu démocrate, qui tient cette région, vient d’être inculpé pour corruption et disparaît du jeu. Il faut à tout prix reprendre l’électorat en main. Sollicitée par le parti, l’administration Clinton propose de lancer l’idée d’une adhésion de la Pologne à l’OTAN. Présenter cette idée comme une promesse de l’administration doit ramener les Polonais-Américains, qui réclament à grands cris cette mesure, du côté du parti démocrate. Cette idée implique évidemment le principe de l’élargissement de l’OTAN, qui devient ainsi, subrepticement, la politique de l’administration Clinton...
» Cela[était] en complète contradiction avec la politique suivie jusqu’alors. Dans notre numéro de notre Lettre d’Analyse ‘dd&e’ du 10 octobre 1994, nous écrivions :“ L’année dernière, à la même époque (le 21 octobre 1993 exactement, à la réunion des ministres de la défense de l’Organisation [l’OTAN]), les États-Unis présentaient l’idée du ‘Partnership for Peace’ (PfP, ou ‘Partenariat pour la Paix’). Le but [opérationnel] était clair et double : apaiser les pays d’Europe de l’Est qui réclamaient leur entrée dans l’OTAN, sans inquiéter ni isoler la Russie. L’interprétation politique du PfP était également claire : l’initiative renvoyait aux calendes grecques le problème de l’élargissement.” »
Pour paraphraser Pierre-André Taguieff citant Raymond Aron (« On a trop négligé de considérer le rôle de la bêtise dans l’histoire, comme le notait Raymond Aron »), je dirais qu’“on a trop négligé le rôle du dérisoire dans l’histoire, comme aurait pu le noter Raymond Aron”. Notre époque voit tout cela pour qui sait regarder, comment du fond incertain des cervelets enfantins de dérisoires dirigeants s’agitant pour des causes dérisoires, naissent des décisions qui bouleversent l’histoire ! Mais quoi, au bout du compte je ne m’en plaindrais pas car, ce faisant, ils saccagent un beau rangement de l’infamie du Système, pour exposer la chose (le Système) au spectre de l’effondrement et activer sa lugubre tendance à l’autodestruction.
Tout cela nous amène à nos moutons, qui sont miens depuis un temps assez long : je suis le berger des zombies moutonniers qui broutent n’importe comment la mâle pâture des verts pâturages que le Système cultivait avec ordre et méthode, et moi pour les y pousser, comptant sur leur sens moutonnier de la catastrophe. Ces moutons mettent en tête de la cohorte experts, stratèges et historiens, adversaires et partisans de cette politique des USA je ne fais pas de différences ; experts, stratèges et historiens vous expliquent donc gravement le Grand Dessein Géopolitique, le ‘Grand Jeu’, le ‘Great Design’ de la politique américaniste, machiavélique ou comploteuse c’est selon, qui conduit l’‘Empire’ depuis le début des années 1990. Ces gens ont le défaut de tout sacrifier à la déesse-Raison qui est le fondement de leur existence...
On sait ce que je pense de la “Raison”, surtout de la “raison-subvertie” telle qu’ils nous l’ont cochonnée pour répondre aux exigences de la métaphysique en toc de la prétention et de l’‘hybris’. Je le rappelle avec un extrait d’un texte récent, pour mesurer cette dénonciation indignée qui m’habite, et qui conduit, avec l’accélération et la surpuissance des communications, à une politique définie exclusivement par la catastrophe. (Au fait et par ailleurs, bis repetitat,tant mieux puisque cette catastrophe affecte la structure et l’infrastructure du monde mises en place par le Système).
« Je veux dire qu’il faut être prêt à tous les possibles, y compris ceux qui le sont le moins, c’est-à-dire les possibles les plus fous, les plus insaisissables, les plus impensables, les plus hors de portée de notre savoir et de notre divination (les ‘knowns/knowns-unknownw/unknowns-unknowns’ du philosophe Rumsfeld, en privilégiant absolument le troisième de l’équation, “les choses que nous ne connaissons pas, et dont nous ne savons pas par conséquent que nous ne nous les connaissons pas”) ;
et l’on est d’autant plus prêt à cet affrontement avec l’inconnu que l’on donne, raisonnablement si l’on veut et sans craindre le paradoxe, le moins possible de sa confiance aveugle aux prétentions d’autonomie universelle et d’arrogante certitude de sa propre raison (tout en s’en servant sans hésiter ni barguigner sur l’ouvrage, comme on tord un torchon) ;
car notre raison est cet outil à manier rudement s’il vous plaît, servant d’abord à nous éclairer sur les impuissances de la raison à comprendre le destin du monde ;
car, à un autre propos, j’écrivais ceci alors que nous avions pénétré de plein fouet dans l’année du Covid :» “Alors, bien entendu et aussitôt, j’ajouterais que je ne tiens en rien du tout la raison comme un instrument assurant la mesure et la sagesse, encore moins l’harmonie, l’équilibre et l’ordre. ‘Que j’aime à voir cette superbe raison humiliée et suppliante’, écrit Pascal, voilà plutôt ce qui me va diablement. Dans sa ‘Nuit de Gethsemani : Essai sur la philosophie de Pascal’ où il fait un parallèle saisissant entre Pascal et Nietzsche, qui eurent toute au long de leur vie, la maladie et la souffrance pour les hisser au-dessus de la raison [laquellle, ‘par ses vérités propres, fait de notre monde le royaume enchanté du mensonge’], Leon Chestov observait ceci qui implique d’autres personnages :
» “Platon disait à Diogène qu’il n’avait pas l’‘organe’ nécessaire pour voir les ‘idées’, et Plotin savait que la vérité n’est pas ‘un jugement obligatoire pour tous’ : Pour voir la vérité, enseignait-il, il faut ‘survoler’ toutes les choses obligatoires, il faut s’élever ‘au-delà’ de la raison et de la conscience”... On comprend bien que je me range derrière cette noble cohorte lorsque je parle, par exemple, – car je change de désignations pour personnaliser ces choses que je ne connais pas mais en l’influence et à l’inspiration desquelles je crois, – de ces “fameuses forces suprahumaines”. »
C’est cette raison frelatée et distordue qui donne toute sa place à la dérision des minuscules esprits infantiles des hommes du « Dernier Homme » de Nietzsche, le ricanant “Homme-Moderne”. Il introduit ce terrifiant, ce monstrueux rapport entre la dérision de la situation de départ et l’énormité catastrophique et sans issue de la situation des conséquences des conséquences.
Il s’agit du caractère central de l’époque, essentiellement activé par la puissance de la communication agissant sur les psychologies qui ne sont alors plus capables d’identifier et de se reporter à des références stables et fondamentales, notamment des principes fondamentaux. Effectivement, la dérision de la situation de départ ignore complètement la nécessité de références, ce qui se comprend avec de tels esprits infantiles, et lorsque les conséquences de cette situation de départ prennent le caractère énorme et monstrueux de la subcrise de l’Ukraine, cette absence de références précipite naturellement des décisions et des situations catastrophiques. La catastrophe de l’élargissement de l’OTAN et la catastrophe ukrainienne sont ainsi traitées avec le même état d’esprit qu’on met dans les calculs faits pour obtenir les voix de électeur d’origine polonaise de Chicago et de sa région.
Donc, ci-dessous un extrait du texte du 11 novembre 2019, pour une bonne mesure de notre “Grande Politique”. Que les Clinton en soient la cheville ouvrière complète le ‘casting’ infâme de cette tragédie-bouffed’une insondable bêtise.
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Pour explorer cette question vitale et essentielle dans la crise qui oppose la Russie au bloc-BAO, nous reprenons l’essentiel d’un texte que nous publiâmes le 5 septembre 2008, à l’occasion de la crise géorgienne où il était déjà question de cette affaire de l’expansion de l’OTAN. Nous en modifions la forme selon la formule des Notes d’Analyse, en ajoutant ici et là quelques précisions que nous jugeons utiles et qui ont un intérêt et une importance non négligeables. Pour le principal, l’essentiel de ce que donnait ce texte reste absolument valable aujourd’hui, sinon encore plus pertinent à la lumière des nouveaux documents déclassifiés mais aussi des événements survenus depuis.
Ce texte du 5 septembre 2008 reprenait lui-même des éléments d’un texte alors à paraître d’une rubrique de notre Lettre d’Analyse dde&e, comme nous le signalions alors sous cette forme : « Dans notre prochain numéro de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie, Volume 24 n°01 du 10 septembre 2008, nous consacrons la rubrique Analyse à cette question de l’élargissement de l’OTAN en examinant les conditions de son origine et de son lancement, sous le titre “Sur l’origine accessoire de la crise”. »
Il devrait apparaître évident à tout esprit normalement critique et normalement informé que l’OTAN est aujourd'hui une “machine de guerre” américaniste antirusse, destinée à encercler la Russie et à exercer une pression grandissante sur ce pays. Elle l’est principalement au travers de la dynamique d’élargissement, que les Américains aimeraient voir poussée au moins jusqu’à la Géorgie et l’Ukraine.
(Cette remarque déjà valable en 2008 l’est toujours aujourd’hui, sauf qu’elle doit être nuancée par les capacités et la situation US, ainsi que par le désaccord grandissant entre les USA et l’UE. Cet affaiblissement radical, voire cet effondrement notamment de la puissance et de l’influence US, rendent de moins en moins possibles de tels projets, du point de vue “opérationnel”. Mais l’esprit de la chose, qui est l’encerclement agressif de la Russie, subsiste plus que jamais, la tromperie touchant aussi ceux qui la génèrent quant à leurs propres capacités.)
Sans doute, sans aucun doute l’OTAN est aujourd’hui cette “machine de guerre” antirusse, même si elle n’en a aucun moyen militaire acceptable pour cette tâche, – cela fait partie du déséquilibre psychologique complet des américanistes-occidentalistes, de leur présence dans un univers différent du vrai monde. Cette orientation agressive de l’OTAN admise, les esprits logiques, notamment et surtout chez les antiSystème trop influencés par le Système et sa puissance, en tirent la conclusion évidente, sinon rationnelle, qu’il en est ainsi depuis l’origine, que l’élargissement de l’OTAN fut une stratégie minutieusement élaborée pour ce but de l’encerclement de la Russie, qu’il y avait un plan mûrement conçu. Tout cela est logique.
Tout cela est logique mais inexact. (Le “plan” existait certes chez les plus extrémistes qui ont toujours des “plans” d’agression mondiale, les neocons sans aucun doute, mais ils n’avaient alors qu’une très faible influence sur la politique extérieure US comme l’avait montré le rejet brutal par Bush-père du “plan d’hégémonie” mondiale de Wolfowitz au printemps 1992. Les neocons n’avaient pas encore leur appareil de relations publiques qui se développa dans les dernières années 1990 pour donner son plein effet à partir de 9/11 parce qu’à partir de là cette clique et sa pensée extraordinairement agressive convinrent parfaitement au déchaînement de la politiqueSystème. Les neocons ne sont pas les concepteurs de la politiqueSystème mais leurs exécutants.)
Si le fait de l'élargissement de l'OTAN est devenu cette “machine de guerre”, c’est, disons, par enchaînement mécanique qui place le moyen de la chose chronologiquement avant la chose, un peu comme “la fonction crée l’organe”, – et ce serait alors : “la dynamique crée la stratégie”, ou, encore plus platement, “le mouvement crée l’objectif”. Au départ, l’élargissement de l’OTAN n’avait nullement l’objectif de la Russie. La chose est bien plus triviale, bien plus médiocre que cela.
Comme déjà signalé, nous consacrions la rubrique Analyse dans le numéro Volume 24 n°01 du 10 septembre 2008 de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie, à cette question de l’élargissement de l’OTAN en examinant les conditions de son origine et de son lancement, sous le titre « Sur l’origine accessoire de la crise ». Nous commencions l'analyse par la question de l’élargissement de l’UE vers les pays de l’Est, dont le processus fut lancé avant celui de l’OTAN et qui fut fortement soutenu par les USA, non pour “encercler” la Russie mais pour empêcher l’UE de se forger une politique trop indépendante des USA, et concurrente des USA. La pénétration de l’influence US dans les pays d’Europe de l’Est eut donc pour but d’abord, pour les USA, d’en faire des “agents des USA” au sein de l’UE, contre la logique éventuellement indépendante et concurrente des USA de l’UE.
Sur le point central de la “décision” de lancer cette politique d’élargissement de l’OTAN, nous apportions quelques précisions sur certaines de nos sources que nous gardions anonymes à l’époque mais qui peuvent aujourd’hui être mieux identifiées. L’une d’entre elles, dans les milieux de sécurité nationale (OTAN) de Bruxelles, avait tissé des liens avec l’un des adjoints du directeur du NSC de l’administration Clinton (le NSC, ou National Security Council, étant le “gouvernement de sécurité nationale” personnel du président). Début 1995, son interlocuteur du NSC disait à notre source ne rien comprendre au changement de politique en faveur de l’élargissement qui venait d’être ordonné, « mais puisqu’il faut l’appliquer, nous commençons à chercher des arguments valables, et surtout en nous gardant bien d’inquiéter la Russie ». Nous avons même souvenir d’un témoignage direct, venu d’un dîner en ville à Bruxelles, auquel participait le nouvel ambassadeur US à l’OTAN Alexander Vershbow (en 1998, peu après sa nomination), et celui-ci affirmant : « Eh oui, c’est la politique officielle de mon pays, l’élargissement. Nous ne savons pas pourquoi elle a été décidée mais nous nous appliquons désormais à la développer. »
[...]
C’est impérativement dans le contexte de l’évolution de l’UE vis-à-vis de l’élargissement qu’il faut placer la question de l’adhésion à l’OTAN des pays d’Europe de l’Est. Cette question est, au départ, secondaire et annexe à la question de l’intégration dans l’Europe, et non le contraire. Au départ, justement, l’engagement occidental et particulièrement US était, comme cela vient d’être confirmé par les nouveaux documents déclassifiés, qu’il n’y aurait pas d’élargissement de l’OTAN vers l’Est.
Comment cette situation change-t-elle ? Bien sûr, il y a la pression commençante des pays concernés, de l’ex-Europe communiste, qui envisagent l’entrée dans l’OTAN parallèlement, voire prioritairement à l’entrée dans l’UE. Mais cette position-là n’a strictement aucune importance ni le moindre poids au départ. Du côté américain, jusqu’en 1993-94, il n’est pas question d’un tel élargissement, dans tous les cas dans les cercles politiques et stratégiques. Ce qui va imposer le cas au premier plan de la réflexion, c’est une circonstance électorale. A la fin 1993, on prépare les élections mid-term aux USA et les démocrates commencent à craindre de solides déboires. (Ceux-ci seront confirmés, par une formidable défaite en novembre 1994, qui plongera Clinton dans une dépression profonde pendant quelques mois.) Toutes les énergies, tous les arguments doivent être rassemblés. Dans la région de Chicago, où les démocrates ont un fort point d’appui électoral avec une minorité d’origine polonaise, un important élu démocrate, qui tient cette région, vient d’être inculpé pour corruption et disparaît du jeu. Il faut à tout prix reprendre l’électorat en main. Sollicitée par le parti, l’administration Clinton propose de lancer l’idée d’une adhésion de la Pologne à l’OTAN. Présenter cette idée comme une promesse de l’administration doit ramener les Polonais-Américains, qui réclament à grands cris cette mesure, du côté du parti démocrate. Cette idée implique évidemment le principe de l’élargissement de l’OTAN, qui devient ainsi, subrepticement, la politique de l’administration Clinton...
Cela est en complète contradiction avec la politique suivie jusqu’alors. Dans notre numéro de notre Lettre d’Analyse dd&e du 10 octobre 1994, nous écrivions : « L’année dernière, à la même époque (le 21 octobre 1993 exactement, à la réunion des ministres de la défense de l’Organisation [l’OTAN]), les États-Unis présentaient l’idée du ‘Partnership for Peace’ (PfP, ou ‘Partenariat pour la Paix’). Le but [opérationnel] était clair et double : apaiser les pays d’Europe de l’Est qui réclamaient leur entrée dans l’OTAN, sans inquiéter ni isoler la Russie. L’interprétation politique du PfP était également claire : l’initiative renvoyait aux calendes grecques le problème de l’élargissement. »
Mais les événements fondamentaux (!) qu’on a vus concernant l’électorat polonais-américain dans la région de Chicago eurent lieu et la “politique” de l’administration Clinton changea du tout en tout. Lorsque le vice-président Al Gore glisse, dans son discours de Berlin du 9 septembre 1994 (pour la cérémonie de retrait des forces alliées d’occupation accompagnant le retrait russe de l’ex-RDA), « Nous allons commencer des discussions sur l’élargissement de l’OTAN d’ici la fin de l’année », il prend complètement de court et à contre-pied toute la communauté et la bureaucratie stratégiques de Washington. C’est une idée du domaine de la communication (et non stratégique, sinon de stratégie électorale) de la Maison-Blanche. Elle est adoptée et développée sans consultation d’aucun service et département de sécurité nationale, ni de personne d’autre, et c’est une idée directement en connexion avec la situation électorale. Les experts US resteront pendant longtemps sans comprendre la cause stratégique de ce revirement qui contredit la politique officielle établie avec le PfP.