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1839La crise ukrainienne est aussi la “question ukrainienne” ou, plus encore, “la folie ukrainienne”. Le pays, c’est-à-dire la partie de l’Ukraine-Kiev, est dans un état étrange d’anarchie légalisée où la terreur côtoie le burlesque sinon la bouffonnerie, où l’on exécute des hommes politiques et des journalistes, où l’on vote des lois insensées et où l’on dénonce une couverture d’un magazine de mode en y décelant un “complot de Poutine” pour marquer l’anniversaire du 9 mai 1945.
(... Soit la victoire sur l’Allemagne, dont une commémoration aura lieu le 9 mai à Moscou, au milieu d’un océan furieux de polémiques et d’invectives. Le Premier ministre ukrainien en est outré [voir Le Sakerfrancophone du 20 avril 2015] ; il estime que “la Russie veut s’approprier la victoire dans la Grande Guerre patriotique”, alors que, selon ses paroles traduites avec minutie, «L’Ukraine est une nation victorieuse dans la Seconde Guerre mondiale et un des membres à l’origine des Nations unies». La conséquence, avancée par certains comme une proposition, est que la cérémonie de Moscou est une monstrueuse imposture et que c’est à Kiev que devrait avoir lieu le défilé.)
• Restons-en au “magazine de mode”, qui n’est autre que notre glorieux Elle. La polémique ukrainienne, ce n’est pas nouveau pour Elle, qui avait publié le 14 novembre 2014 un reportage très dans la ligne-Système, à la gloire des “filles qui se battent pour l’Ukraine” (Ukraine-Kiev, s’entend comme une évidence pour ces milieux) ; parmi elles, parmi “ces filles”, on découvrit assez vite de très authentiques militantes néo-nazies, avec insignes, postures, photos du salut fameux, etc. (Le site lescrises.fr reprend en grands détails toute cette affaire, le 31 décembre 2014, assaisonné d’un piteux communiqué de la rédaction de Elle.) Cette fois, c’est toujours Elle mais il s’agit d’une affaire de couleur(s). La couverture du magazine figurant un mannequin portant une robe Louis Vuitton à rayures oranges et noires, dans diverses éditions du magazine dont l’édition ukrainienne, la chose a été vue aussitôt à Kiev comme une publicité ou une provocation russes, les deux couleurs étant devenues internationalement fameuses depuis la guerre du Donbass, et figurant le ruban de la plus haute décoration de la Russie tsariste, la Croix de Saint-Georges. Les accusations ont fusées en Ukraine-Kiev, Elle étant soupçonnée de s’être laissée soudoyer par Poutine, pour servir de support de communication à la célébration-simulacre et usurpatrice (voir Iatseniouk) du 70ème anniversaire de la victoire.
La chose a été reprise notamment par Sputnik le 22 avril 2015, RT le 22 avril 2015 et, en France, par HuffingtonPost le 22 avril 2015 également. Il ne semble pas qu’on ait été très loin dans la presse-Système dans le registre habituel, le grotesque de la chose ne servant guère la cause de l’Ukraine-Kiev. Nous pûmes tout de même lire, en plus de l’indignation de divers internautes ukrainiens, les vitupérations de l’ancien député ukrainien Alexandre Briguinets du parti Batkivshina sur cette «contre-publicité odieuse pour le ruban de Saint-Georges». RT nous donna le tweet complet de Briguinets :
«The magazine, translated into Russian, as well as plenty of other languages, is now under attack for – quote unquote – how “Putin’s money transforms global consciousness.” [...] “The magazine has gone ahead and given itself another dose of ‘Georgian’ bad publicity, though the ‘dough’ it got in return probably more than made up for it,” Briginec continues to write online of the leather dress worn by Williams. As if to underline the conspiracy, Briginec goes on to say, that “completely by accident, it’s the May issue of the magazine. The model’s mug should be smeared in the blood of Ukrainians.”»
Le site LeParisien.fr a relayé (le 23 avril 2015) une réaction de Elle, recueillie par l’AFP. Le grand journal de mode a montré sa très grande sensibilité à la conscience héroïque de la direction de l’Ukraine-Kiev et a tout de même décidé de prendre des mesures, notamment en changeant, sur les présentoirs du magazine en Ukraine, l’orange de la robe en blanc, pour qu’on n’aille pas croire que Elle soutiendraient les séparatistes-terroristes du Donbass qui se reconnaissent par le ruban de la Croix de Saint-Georges. (La couleur orange deviendrait donc subversive pour le Système ? Il va donc falloir se mettre au travail-révisionniste courant du déterminisme-narrativiste, notamment en trouvant rétrospectivement une autre nuance de couleur à la glorieuse “révolution orange” de 2004 à Kiev, inspiratrice du mouvement non moins glorieux du Maidan comme l’on sait.)
«La rédaction du magazine s'est défendue de tout soutien aux séparatistes, expliquant avoir repris la même une que l'édition britannique du mois d'avril. “L'héroïne de la couverture de notre magazine de mai est l'actrice Michelle Williams, qui porte une robe de la collection printemps-été de la marque française Louis Vuitton. Les photographies, réalisées par l'équipe internationale de ELLE, proviennent de l'édition britannique”, a-t-elle écrit sur sa page Facebook. “Les lecteurs, qui ont vivement commenté la couverture sur les réseaux sociaux, en déduisent des choses qui n'existent pas”, a ajouté la rédaction de ce journal de langue russe, tiré à 72.000 exemplaires en Ukraine.
»Jointe par l'AFP, la rédaction a précisé qu'un système de “double couverture” allait être mis en place, une nouvelle image se superposant à la précédente pour la vente en kiosque. Présentée sur Facebook, la nouvelle une montre toujours Michelle Williams, portant cette fois une tenue blanche et noire. “C'est pour éviter des actes de vandalisme au niveau des points de vente”, a ajouté ELLE Ukraine, précisant qu'une “telle réaction ne s'expliquait que par une seule chose: la politisation de la société”. Plusieurs affiches montrant la une controversée du magazine avait déjà été retirées jeudi des rues de Kiev.»
• Much Ado For Nothing, disait le grand Will, qui n’avait pas été informé de la situation en Ukraine, c’est-à-dire du climat qui y règne. Ce sont pourtant des affaires comme celle de la couverture de Elle qui permettent de prendre la mesure du spectre incroyablement large de l’activité démentielle caractérisant cette crise, qui semble de plus en plus représenter la crise exemplaire du Système dans sa configuration la plus large, dans tous ses excès. Par rapport à l’affaire-Elle, l’affaire polonaise telle que nous voulons la traiter maintenant, semblerait plus sérieuse. D’un certain point de vue qui ne va pas chercher trop loin, elle l’est évidemment et absolument, mais du point de vue d’une observation rationnelle des choses de la démence ukrainienne-Système, elle est aisément aussi absurde parce qu’elle tombe tout autant sous le coup du déterminisme-narrativiste que l’affaire-Elle. Les deux choses montrent cette obligation déterministe d’aller au bout d’une logique imposée par une narrative élevée au rang de fait historique sacrée, impliquant de plus en plus de collisions catastrophiques avec la vérité de la situation, – collisions en général saluées par l’arme principale de la communication-Système : le silence du commentaire, l’absence du rapport des faits, – la transformation des faits en leur contraire quand c’est possible, mais cela l’est de moins en moins... Tout cela amène cette communication-Système de plus en plus souvent au bord du grotesque comme pathologie en pleine expansion à cause de l’extrême confusion du concept de “réalité”.
• La Pologne, donc. Depuis le début de la crise, depuis le putsch de février 2014 auquel elle a prêté main forte, la Pologne est très active dans le sens du soutien à l’Ukraine-Kiev, avec participation secrète mais tellement probante que le secret est à visage découvert de toutes sortes d’initiatives à caractère militaire. Livraison d’armes, participation de groupes plus ou moins militaires, entraînement des forces ukrainiennes, etc. Officiellement, le pays, la Pologne, est en état de préparation de guerre contre un seul ennemi possible, – et l’on sait de qui il s’agit puisque c’est aussi l’ennemi de l’ami ukranien-Kiev. (Sputnik.News le 13 mars 2015 : «Selon le conseiller principal du président polonais pour la sécurité Stanisław Koziej, les exercices militaires programmés en Pologne sont destinés à vérifier si toutes les institutions publiques sont prêtes à une crise ou un conflit militaire.») Les décisions de renforcement militaire se succèdent, y compris, bien entendu, l’achat de matériels US de grande valeur et de capacités catastrophiques (combat-proven, comme ils disent, nous voulons dire pour l’aspect catastrophique), – comme l’achat de missiles Patriot que le président polonais vient d’annoncer. Il est vrai que la Pologne et une “chasse gardée” du complexe militaro-industriel de l’américanisme, et l'un des centres de déploiement du réseau antimissiles BMDE. Mardi dernier, le député Mateusz Piskorski, du parti Zmania, déclarait à Sputnik.News (le 23 avril 2015, – seuls les Russes interrogent sérieusement les hommes politiques polonais sur ce sujet) : «La Pologne est en train d’investir dans des systèmes d’arme offensifs, ce qui signifie qu’elle n’investit pas pour sa propre sécurité, son propre système de défense, mais qu’elle met en place une sorte d’armée prête pour l’intervention et l’agression extérieures. Dans le contexte du conflit ukrainien, il est absolument évident que des forces armées polonaises régulières sont potentiellement prêtes à participer à ce conflit ukrainien.» Piskorski parle donc ici d’une intervention officielle, affirmée, quasiment comme une entrée officielle dans une guerre qui se fait contre la Novorussia mais, qui, à cause d’une intervention de cette sorte, aurait de fortes chances (!) de conduire évidemment à un conflit ouvert avec la Russie.
• Par conséquent, on en déduit que la Pologne et l’Ukraine sont des alliés indéfectibles, unis, absolument engagés dans un même combat, selon une magnifique unité de conceptions politiques et un même sens des “valeurs” qu’il importe de protéger. Par conséquent, – puisque, dans cet univers et pour se faire comprendre, il faut aussi et d’abord employer les mots par inversion grossière, – parallèlement à cette évidence d’une importance politique énorme, se développe une autre affaire qui dit exactement le contraire, comme s’il s’agissait de deux mondes si éloignés, si privés de liens entre eux, si rétifs à la moindre aucune connexion que ce soit qu’on croirait deux univers aux deux confins infinis du cosmos.
Le 9 avril 2015, le président polonais était en visite en Ukraine, plein des bonnes intentions qu’on suppose... «Seulement quelques heures après le discours du président polonais Bronislaw Komorowski au parlement ukrainien, appelant au pardon et à la réconciliation, l'Ukraine a adopté une loi glorifiant l'activité de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) de Stepan Bandera, qui a massacré 100 000 Polonais pendant la guerre...» écrivit le journal de Varsovie Gazeta Wyborcza. Le parti polonais de l’Alliance de la Gauche démocratique commenta ce que tout le monde pensait : «La loi adoptée par le parlement ukrainien, qui glorifie entre autres l'UPA, est une gifle pour la Pologne et son président Bronislaw Komorowski.»
Quelques jours plus tard, le 16 avril, le général Waldemar Skrzypczak, ancien chef des armées, ancien ministre de la défense et le militaire le plus prestigieux de Pologne, confiait à Gazeta Prawna qu’il “retirait complètement” son soutien politique à une alliance politique et militaire avec l’Ukraine qu’il favorisait jusqu’alors. L’amertume du général était profonde, ainsi que sa souffrance personnelle : son oncle avait été capturé en 1942 par l’UPA, et crucifié nu avec des fourchettes sur la porte de sa grange où il agonisa pendant deux jours. Le 23 avril, le président Bronislaw Komorowski, parlant à la chaîne TVN24, annonçait qu’il écartait désormais tout dialogue avec l’Ukraine à la suite du vote de la Rada, tant que ce vote subsisterait. «Il ne saurait y avoir de réconciliation entre la Pologne et l’Ukraine sans un dialogue», ajoutait-il, signifiant ainsi, de facto, qu’il existait un état de rupture entre les deux pays. C’est le même pays (la Pologne) où, quelques mois plus tôt, le ministre des affaires étrangères affirmait (voir le 23 janvier 2015) que c’était l’Ukraine et non la Russie (l’URSS) qui avait libéré le camp d’Auschwitz...
• Ce n’est pas seulement une querelle historique, mais une querelle politique très actuelle, qui implique une opposition frontale, et notamment une opposition de “valeurs”. Le vote de la Rada n’est pas une simple position historique, il répond à une vérité de situation qui est la prépondérance grandissante de l’idéologie ultra-nationaliste/néo-nazie en Ukraine, tout comme le vote de la loi à la Rada a été initiée par des députés plus ou moins apparentés à Pravy Sektor et Svoboda, les forces d’extrême-droite ukrainienne. Le vote de la Rada a donc une signification politique actuelle, idéologique, agressive, qui sonne comme l’affirmation d’une orientation dont les Polonais savent qu’elle a débouché, dans le temps de la guerre, sur la liquidation dans des circonstances atroces de plus de 100 000 Polonais par l’UPA de Stepan Bandera ; et l’on peut aisément faire l’hypothèse que Dimitri Iaroch, chef de Pravy Sektor, est le Stepan Bandera de notre temps (certainement en version dégradée du point de vue intellectuel, et en version bien plus nazifiée) ; on conçoit que cela doit passablement inquiéter les Polonais qui ont un peu de mémoire et ne sont pas appointés par Washington D.C. (mais combien y en a-t-il dans la direction politique polonaise ?)... Bref, comment concilier ceci avec cela qui précède (la Pologne partant en guerre au côté de l’Ukraine-Kiev, repaire des ultras héritiers des bourreaux de la Pologne) ?
• Certes, nous lions ces deux questions, – Elle et la Pologne, – même si elles sont de caractères et d’intensités extrêmement différents, parce que toutes deux illustrent l’extraordinaire pathologie dont est frappé ce que nous nommons “Système” en général, cette pathologie d’une extraordinaire inversion de l’esprit suscitée par une psychologie d’une non moins extraordinaire faiblesse, tout cela ouvrant la voie à une situation qui ne peut être caractérisée que par une schizophrénie frénétique aboutissant à des collisions frontales de conceptions et d’actes de plus en plus explosives et grotesques à la fois. En effet, ce qui arrive à l’Ukraine n’est pas le fait de l’Ukraine seule, et même ce n’est le fait qu’en très faible partie de l’Ukraine seule. Ce qui arrive à l’Ukraine, c’est d’abord un événement fondamental enfanté par le Système, dans un déchaînement d’autant plus hors de toute contrainte que l’Ukraine est “un pied en-dedans, un pied en-dehors” par rapport au Système, et qu’elle est tout contre la Russie, qui est l’objet de la haine déchaînée du Système, parce que la Russie est à la fois épouvantail, défi, tranquille assurance, détermination, résilience de la résistance, tout cela dans le sens antiSystème. Alors, l’Ukraine hérite de tout ce que le Système peut cracher furieusement de déstructuration, de dissolution, de déterminisme-narrativiste et ainsi de suite ; et, dans ces conditions, la fécondité de ce pays à la fois corrompu, à la dérive, chargé d’un lourd passé mais ayant aussi subi tant de contraintes et de violences, est extrême pour devenir la vitrine, le chaudron, le cœur macabre, l’opéra-Bouffes du déchaînement du Système.
Ce n’est pas l’anarchie, le désordre habituels ; c’est l’inversion absolue... Des structures légales qui sont faites d’illégalité complète, une justice rigoureuse basée absolument sur l’injustice, des organes de sécurité jusqu’à la fermeté la plus extrême pour organiser l’insécurité, une indépendance souveraine affichée avec hauteur pour susciter et attiser toutes les sortes possibles de violation de l’indépendance et de la souveraineté, l’hystérie démocratique sans cesse proclamée pour mettre sur un piédestal tout ce à quoi la démocratie destine en principe la haine la plus ferme, la surveillance suspicieuse de tout ce qui n’est pas vertu ukrainienne invertie jusqu’aux détails les plus ridicules et les plus grotesques ... Et tout cela n’est pas voulu, organisé, etc., par le bloc BAO, mais est apparu comme une génération spontanée du désordre du Système et oblige le bloc BAO à approuver et à applaudir tout cela qui est le contraire des “valeurs“ dont le Système lui impose de faire la promotion. Il faut effectivement avoir le caractère et l’humeur constipés, au sens anatomique du terme, d’un président-poire déguisé en notaire, ou l’inverse, pour avaler toutes ces couleuvres et leur trouver un goût de caviar (il doit y en avoir du côté de Sébastopol)...
Mis en ligne le 24 avril 2015 à 10H32
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