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888Il est possible que la mise en examen de l’ancien patron d'Airbus puis co-président d'EADS, Noël Forgeard, ne soit pas passée inaperçue aux USA. Le rapprochement est alors fait par certains, principalement chez les adversaires du choix d’EADS (et Northrop) par l’USAF pour son ravitailleur en vol KC-45, avec la situation de Boeing qui perdit un contrat initial pour le même marché (sans mise en concurrence) à cause d’une affaire de corruption.
C’est ce rapprochement que semble indiquer le site Danger Room, dans sa nouvelle du 29 mai sur l’affaire Forgeard… Notamment ce passage:
«This comes at a sensitive time for EADS; it recently beat Boeing in a bid for the lucrative Air Force tanker deal. Boeing was originally tapped to provide the tankers, but the Air Force canceled the contract and held a new competition after it was revealed that a former weapons buyer held secret employment talks with Boeing. Two former Boeing officials eventually served time in prison. I bet French prisons serve better food.»
On dira aussitôt que l’affaire Forgeard n’a guère de rapport avec Boeing-Druyun, ni avec l’affaire de la sélection du KC-45. Ce n’est pas faux, selon une bonne logique. Mais ce n’est pas nécessairement la “bonne logique” qui gouverne les jugements, les attitudes et les positions dans cette sorte d’affaire. C’est l’“étiquette”, avec son contenu le plus vague possible; du moment que l’étiquette “corruption” peut être attachée à EADS par un biais ou l’autre, la perception se transforme. On peut être assuré que les partisans de Boeing dans cette affaire du KC-45 feront tout leur possible pour modifier la perception et attacher l’idée de corruption à EADS.
Par ailleurs, les Européens du domaine (aérospatial) sont mal vus en ce moment, et encore plus mal supportés. Danger Room va dans ce sens lorsqu’il commence sa note par le rappel des plus récents avatars de BAE aux USA : «European defense industry is having a bad month. A couple weeks ago, two senior officials at BAE Systems were briefly detained in the United States in connection to a bribery investigation, and now a former top official at EADS, which owns Airbus, is facing charges in France.»
Il est vrai qu’un sentiment anti-européen est en train d’apparaître à Washington dans ce domaine de l’aéronautique et de l’armement. Injustifié ou pas, là encore, il s’agit plutôt du domaine du constat. On pourra en mesurer la vigueur dès le mois prochain, lorsque le GAO rendra son avis sur la plainte de Boeing contre le choix d'EADS/Northrop pour le KC-45 de l’USAF.
Cette évolution pourrait aussi renforcer un phénomène en cours au sein d’EADS. La filiale EADS North America, qui a réalisé de bons succès depuis 2006-2007 (KC-45, vente de l’UH-72 Lacota, du HC-235A des Coast Guard), chercherait, poussée par certaines pressions US du Pentagone et alentour, à se transformer en une société de droit américain. Cela impliquerait une véritable rupture stratégique avec la maison-mère EADS en Europe, cette transformation conduisant à la mise en place d’un conseil d’administration de surveillance réservé à des membres de nationalité US, qui gérerait exclusivement la stratégie de la société selon les conceptions et les intérêts du Pentagone. EADS-Europe n’aurait plus alors accès qu’aux bilans financiers de EADS North America, sans le moindre contrôle sur les orientations stratégiques. Après nombre de filiales de BAE, dont BAE Systems North America (BAE Systems Inc.), l’offensive européenne d’investissement des marchés US se continuerait selon l’habituel schéma de l’américanisation intensive des branches européennes lancées dans l’aventure. On oublierait alors Forgeard et l’aventure aurait une morale qu’il nous serait loisible d’étudier de près. Le contrat du KC-45, – c'est peut-être le marché implicite qui s'esquisse avec des exigences du DoD dans le sens de l'“américanisations” de EADS North America, – serait payé au prix fort pour les Européens.
Mis en ligne le 30 mai 2008 à 13H41