De Joe à Kaboul & retour

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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De Joe à Kaboul & retour

21 août 2021 – Une fois l’interview avec Stephanopoulos bouclé, Joe Biden s’est précipité vers son hélico officiel, le ‘Marine One’ (comme il y a ‘Air Force One’) pour reprendre ses vacances dans sa cabane (son “bunker” disent certains) du Delaware. Puis il est allé à Camp-David. (Ou bien est-ce le parcours inverse ?) Il est revenu à Washington pour une conférence de presse mâchouillée et dénoncée, notamment par des petites mains de la presseSystème (on a déjà vu cela) dont il laissa bien des questions sans réponses. Il devrait être reparti en vacances, je ne sais, – d’ailleurs, c’est vrai, on ne sait plus très bien...

Par ailleurs et pour en revenir à l’interview d’ABC.News, de George Stephanopoulos qui était censé être un ami et qui ne le fut guère, le ‘Daily Wire’ a obtenu le verbatim de l’entretien, avec les 900 mots (en questions-réponses) qui ont été coupés et ne sont pas passés dans l’émission. Censure ? Non pas, non pas du tout, – simplement, et “normalement” dirait-on, incohérence gênante du président.

Je me suis essayé à traduire un passage, tel qu’il est présenté lui-même par WorldNetDaily [WND] et tout est de la même eau...

« Quand Stephanopoulos a fait remarquer que le chef de la minorité du Sénat, Mitch McConnell, avait dit qu’un tel désastre [en Afghanistan] était prévisible, la réponse de Biden a été : “Quoi... qu’a-t-il dit qui était prévisible ?”

» “Alors qu’est-ce qui a échoué, M. le Président ?” a demandé Stephanopoulos.

» “Écoutez, je ne pense pas que c'était un échec... écoutez, c’était un choix simple, George. Quand les... quand les talibans... laissez-moi revenir... le dire d’une autre manière. Quand vous avez vu le gouvernement de l’Afghanistan, le chef de ce gouvernement monter dans un avion et décoller pour aller dans un autre pays, quand vous avez vu l’effondrement significatif de la ta... des... troupes afghanes que nous avions formées... jusqu’à 300 000 d’entre elles laissant simplement leur équipement et décollant, c'était... vous savez, je ne suis pas... ce... c'est... ce qui s’est passé.”

» Biden a refusé d’admettre que ses propres conseillers militaires de haut niveau l’avaient mis en garde contre un tel retrait.

» Il a affirmé qu'il n'y avait pas de “bon” moment pour partir.

» “Personne ne peut me citer un moment où cela prendrait fin. Et qu'est-ce... qu’est-ce qui constitue une défaite des talibans ? Qu’est-ce qui constitue une défaite ? Serions-nous partis à ce moment-là ? Disons qu'ils se rendent comme avant. OK. Est-ce qu’on part alors ? Vous croyez que quelqu'un... les mêmes personnes qui pensent qu’on devrait rester auraient dit, ‘Non, c’est le bon moment pour partir’ ? On a dépensé plus d’un trillion de dollars, George, pendant 20 ans. Ce n’était pas le bon moment pour partir.” »

Dans le même article de WND, on rapporte les derniers sondages sur le “travail” de Biden, son comportement, etc. D’une façon générale, moins de 50% (48%) des personnes sondées sont d’avis que Biden fait bien son travail, ce qui représente une cotation exceptionnellement basse pour un président (et la plus basse pour Biden-président). Les chiffres catastrophiques concernent également des aspects spécifiques ; par exemple ceux du fameux institut Rasmussen, qui résume ainsi les résultats de son enquête effectuée les 18-19 août, révélant le complotisme malveillant d’“une majorité d’électeurs” : « Une majorité d’électeurs ne pense pas que le président Joe Biden soit mentalement et physiquement capable de faire son travail, et soupçonne que la Maison-Blanche est en fait dirigée par d'autres personnes. »

« ...39% des électeurs américains probables pensent que Biden fait réellement son travail de président, – contre 47% en mars. “Une majorité d'électeurs (51%) disent maintenant que d’autres personnes prennent des décisions pour Biden dans les coulisses. Dix autres pour cent ne sont pas sûrs”, indique le rapport.

» Paul Bedard, chroniqueur de la rubrique ‘Washington Secrets’ au Washington Examiner, qui surveille régulièrement ce type de résultats : “Les inquiétudes pré-électorales selon lesquelles le président Joe Biden n'était pas physiquement ou mentalement prêt pour son nouveau poste à 78 ans, le plus vieux président-élu de l’histoire, prennent corps désormais, alors que le public le voit marcher lentement, refuser de répondre aux questions lors des conférences de presse et sembler désorienté par la crise en Afghanistan.” »

Désormais, la question des capacités physiques et psychologiques de Biden, par rapport à son âge aussi bien que par rapport à une possible pathologie, est désormais directement abordée. Elle est abordée dans un climat de fureur ou d’alarme hystériques en relation directe et brûlante avec la situation en Afghanistan, alors que se croisent des contradictions au sein de l’exécutif (par exemple le Pentagone et le département d’État contredisant directement et publiquement des affirmations publiques de Biden, tout en tentant d'écarter des reproches sur leurs propres errances).

On observe alors deux tendances qui mêlent irrésistiblement les décisions et la situation en Afghanistan d’une part, et le comportement et l’état de Biden d’autre part :
• la première est la confirmation que, désormais, la presseSystème n’épargne plus Biden, comme on l’a déjà vu, essentiellement selon mon point de vue parce que Biden a pris une décision de retraite qui contredit totalement la politiqueSystème que défend la presseSystème ; des accusations de quasi-trahison (“Biden est du côté des talibans”) sont désormais monnaie courante ; enfin, dans le même temps, certains alliés de l’OTAN (dont et surtout les fidèles Britanniques !) se demandent si Biden, après tout, ne serait pas un président pire que Trump ;
• la seconde est la mise en cause de plus en plus radicale de la position formelle de Biden en tant que président (voir ici et ici), qui devrait conduire à des hypothèses de destitution, éventuellement selon le 25e amendement portant sur la capacité physique et mentale du président. (A noter que le très-estimable Jonathan Turley, constitutionnaliste hors-pair, estime que le désastre de l’Afghanistan, – Turley ne parle pas des conditions propres au président, – n’est pas un motif valable de destitution, – comme l’on voit, on en parle.) On notera à ce propos (quel propos ?) que la Vice-Présidente est, dans tout ce cirque, nulle part et ailleurs, discrète, silencieuse, élégante, assez peu passionnée par le sort des femmes afghanes qui retomberaient sous le joug des talibans. Elle s’en fout, Kamala...

Dans ce formidable désordre dont bien peu d’experts avisés et d’observateurs institutionnalisé, ici en Europe, prennent la mesure, il me semble qu’on trouve le plus frappant et le plus riche d’enseignements dans quelques remarques qu’on peut faire, qui accentuent des tendances prévisibles et déjà observées dans leurs premiers développements:

• C’est d’abord le fait de la pénétration du désordre afghan au cœur de la politiqueSystème développée par Washington depuis près de trente ans, et désordre au cœur de Washington D.C. même, notamment dans une classe politique déjà fracturée et en état d’affrontement haineux. Les démocrates, qui semblaient les maîtres de la séquence, se trouvent soudainement pris complètement à contrepied et à revers à la fois, “trahis” par l’un des leurs, le plus prestigieux par la fonction, le plus producteur de désordre par son action. Ainsi le formidable désordre annoncé à Kaboul et en Afghanistan pour la prise du pouvoir par les talibans, se manifeste essentiellement par un formidable désordre supplémentaire à Washington D.C., que je nommerais alors “D.C.-la-superfolle”. C’est dire une fois de plus la profondeur béante et sans fond de la crise du pouvoir de l’américanisme.

• C’est aussi le fait que ceux qui accusent Biden de tous les maux, et notamment d’avoir créé le désordre en Afghanistan, sont eux-mêmes incapables de remettre de l’ordre là où cela importe : à l’aéroport de Kaboul et pour l’évacuation des citoyens des grandes démocraties occidentales et des Afghans supplétifs qui veulent tous fuir le pays. Là, c’est la puissante armée US et son acolyte UK (ils se chamaillent dur entre eux) qui sont au premier rang de l’accusation. Nul ne sait où en est l’évacuation, et qui fait quoi, et qui évacue qui (peut-être des chefs talibans, non ?) ; la seule mesure sérieuse, très business-as-usual, envisagée sérieusement puis humanitairement rapportée puisque prise en charge par le département d’État, a été de faire payer  chaque Américain rapatrié “$2000 et plus”’ pour frais de transport.

Même l’UE en vient à condamner le comportement US sur l’aéroport : « Le plus haut diplomate de l'UE a déclaré qu’il était “impossible” pour l’Europe d’évacuer tous ses alliés afghans de Kaboul d'ici la fin du mois d'août. Josep Borrell a reproché aux troupes américaines stationnées à l’aéroport de la ville d'empêcher les personnes évacuées de partir. »

• Autrement dit, je convoque mon ami-ennemi, unknown-unknown, Don Rumsfeld, pour lui annoncer qu’il avait raison : « [U]n adversaire qui représente une menace, une menace sérieuse, pour la sécurité des États-Unis d’Amérique [...] Notre adversaire... C’est la bureaucratie du Pentagone. » Et encore notera-t-on qu’en cas de malheur, en cas d’aggravation de la situation, en cas de mauvaise humeur des talibans et d’arrogance maladroite des américanistes, au cas où l’on dégainerait, Scott Ritter nous explique que les milliers de soldats (7 000-8 000 avec les Britts ?) sur l’aéroport de Kaboul (et les gens attendant l’évacuation) seraient pris dans un piège qui ne serait rien de moins qu’un « Dien Bien-phu moderne »...

Mais plus que tout, bien plus que tout, c’est que dans ce tourbillon de désordre métahistorique, d’invectives, de haines, de folies, d’hystéries, surgit parfois une vérité-de-situation, et je veux dire quelque chose de clair et net : quelque chose d’inattendu et d’absolument bienvenu et vertueux, sous des formes les plus inverties. N’est-ce pas le cas de cette vieille canaille sénile, pinceur de fesse, corrompu et corrupteur, enfermé dans sa démence et son entêtement, menteur, gaffeur, bredouilleur, – qui s’avère être soudain celui qui a décidé d’arrêter une des guerres les plus folles de la politiqueSystème. Joe Biden homme de paix, tel que le distinguent certains esprits capables de se libérer de leurs options passionnées pour lui reconnaître cela, et lui décerner une ‘Medal of Honor’ (sorte de ‘Pour le Mérite’) accompagnée d’un cornet de glace vanille-chocolat avec chantilly.

... Rappelez-vous ceci : « Nous rappellerons cette phrase étonnante, que nous citons souvent, du metteur en scène Oliver Stone dans son film ‘Nixon’; la scène montrant Nixon allant rencontrer, impromptu, avec son chef de cabinet Haldeman et deux gardes du corps, des étudiants contestataires au Mémorial Lincoln, lors d’une soirée en 1971, à Washington D.C.; un cercle d’étudiants incrédules se formant autour du président, le pressant, l’interpellant, et soudain une jeune fille de 19 ans (l’âge est précisé) lui demandant pourquoi il ne fait pas tout de suite la paix au Vietnam, lui qui est président, qui a tous les pouvoirs et qui affirme vouloir faire la paix; Nixon répondant par des généralités qui laissent pourtant entendre une expression de sincérité, disant qu’il essaie, que c’est difficile, parlant d’une voix presque oppressée… La jeune fille s’exclame soudain : “Mais on dirait que vous parlez d’une bête que vous n’arrivez pas à dompter!” Nixon repart, s’installe dans la voiture officielle, reste songeur puis, soudain, à l’intention d’Haldeman: “Bob, c’est incroyable, cette gamine de 19 ans, bon Dieu, elle a tout compris !” »

Diable ! Il fallait bien un fou pour décider aussi droitement (sans préjuger de ce qu’il en restera, de ce qui va suivre, on verra, mais c’est tout de même un sacré coup de pied au cul de l’‘Empire’ déjà si mal en point)... Un fou, vous dis-je... Et le Diable, qui n’aime rien tant que trahir ses meilleurs serviteurs, en l’occurrence la bande allumée et hystérique des neocon & Co, – et le Diable en rit déjà et encore, quoiqu’un peu jaune.