De la censure du parti de la vertu (Lugan et I-Télé)

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De la censure du parti de la vertu (Lugan et I-Télé)

Le 19 décembre 2011, l’africaniste Bernard Lugan mettait en ligne sur son site quatre questions que lui avaient posées Robert Ménard dans son émission au titre ironiquement prémonitoire (Ménard sans interdit), et qui ont été interdites de passage sur la chaîne I-Télé. En langage abrupt, cela s’appelle “censure” ; en langage parisien, dans le paysage duquel I-Télé s’affirme comme une station progressiste, amante de la liberté et de l’“insolence” comme l’on aime dans les salons, cela s’appelle “vertu” et cela se traduit selon l’esprit des Lumières par les conseils suivants : courage restons “corrects”, et haut les cœurs restons “dans la ligne du parti” (dito, le parti des salonnards).

Il nous est arrivé de lire Barnard Lugan et nous apprécions la distance hautaine que ce connaisseur a prise vis-à-vis des consignes de la repentance qui font la vertu courante des hérauts parisiens du Système, et des consignes parallèles des mêmes qui ont transformé le concept d’“intégration” en une machine à broyer les identités (ils disent les “différences”) pour les faire mieux tenir dans le moule favori, et démocratiquement exclusif et impératif, du même parti des salonnards. Bref, Lugan est un résistant, et cela se salue. Nous faisons la chose (le saluer) avec les moyens du bord, en reproduisant les quatre questions et leurs réponses, celles que les téléspectateurs n’ont ni vues, ni entendues. Nous ajoutons que Lugan, sur son site, propose à ses lecteurs des moyens de riposte, qui sont des moyens de soutien et de solidarité. Nous les reproduisons également, parce qu’ils constituent dans l’esprit une constante des nécessités qui doivent soutenir tous les éditeurs libres et résistants de l’Internet, de la part de leurs lecteurs. Notre démarche répond donc à un principe fondamental qui est notre seule chance de survie, à tous, “éditeurs libres et résistants de l’Internet”, et lecteurs de ces éditeurs ; c'est bien de cela (ce “principe fondamental”) qu'il est question ici, et de rien d'autre.

D’abord, les quatre questions, – ni vues, ni connues…

Ménard : «Dans votre livre vous écrivez que les Africains ne sont pas des “Européens pauvres à la peau noire” ; selon vous, c’est pourquoi toutes les tentatives de développement ont échoué en Afrique ?

Lugan : «Le refus de reconnaître les différences entre les hommes fait que nous avons imposé à l’Afrique des modèles qui ne lui sont pas adaptés. Nous l’avons fait avec arrogance, comme des jardiniers fous voulant greffer des prunes sur un palmier et noyant ensuite le porte-greffe sous les engrais. C’est ainsi que depuis 1960, 1000 milliards de dollars d’aides ont été déversés sur l’Afrique, en vain. De plus, nous avons voulu européaniser les Africains, ce qui est un génocide culturel. De quel droit pouvons-nous en effet ordonner à ces derniers de cesser d’être ce qu’ils sont pour les sommer d’adopter nos impératifs moraux et comportementaux ? L’ethno-différentialiste que je suis refuse cette approche relevant du plus insupportable suprématisme. Contre Léon Blum qui déclarait qu’il était du devoir des “races supérieures” d’imposer la civilisation aux autres races, je dis avec Lyautey qu’il s’agit de pure folie car les Africains ne sont pas inférieurs puisqu’ils sont “autres ”.»

Ménard : «Dans votre livre vous proposez de supprimer l’aide ?»

Lugan : «Oui, car l’aide, en plus d’être inutile, infantilise l’Afrique en lui interdisant de se prendre en main, de se responsabiliser. Dans la décennie 1950-1960, les Africains mangeaient à leur faim et connaissaient la paix tandis que l’Asie subissait de terribles conflits et d’affreuses famines. Un demi siècle plus tard, sans avoir été aidées, la Chine et l’Inde sont devenues des « dragons » parce qu’elles ont décidé de ne compter que sur leurs propres forces, en un mot, de se prendre en charge. Au même moment, le couple sado-masochiste composé de la repentance européenne et de la victimisation africaine a enfanté d’une Afrique immobile attribuant tous ses maux à la colonisation.»

Ménard : «Vous dénoncez l’ingérence humanitaire que vous définissez comme un hypocrite impérialisme et une forme moderne de la “guerre juste”, mais n’était-il pas nécessaire d’intervenir en Libye pour y sauver les populations ?»

Lugan : «Parlons-en. Nous sommes en principe intervenus pour « sauver » les populations civiles de Benghazi d’un massacre « annoncé ». En réalité, nous avons volé au secours de fondamentalistes islamistes, frères de ceux que nous combattons en Afghanistan. Cherchez la logique ! Violant le mandat de l’ONU et nous immisçant dans une guerre civile qui ne nous concernait pas, nous nous sommes ensuite lancés dans une entreprise de renversement du régime libyen, puis dans une véritable chasse à l’homme contre ses dirigeants. Or, le point de départ de notre intervention reposait sur un montage et nous le savons maintenant. Que pouvaient en effet faire quelques chars rouillés contre des combattants retranchés dans la ville de Benghazi ? On nous a déjà “fait le coup” avec les cadavres de Timisoara en Roumanie, avec les “couveuses” du Koweït ou encore avec les “armes de destruction massive” en Irak. A chaque fois, la presse est tombée dans le panneau, par complicité, par bêtise ou par suivisme.

»Mais allons plus loin et oublions un moment les incontournables et fumeux “droits de l’homme” pour enfin songer à nos intérêts nationaux et européens, ce qui devrait tout de même être la démarche primordiale de nos gouvernants. Nos intérêts étaient-ils donc menacés en Libye pour que nos dirigeants aient pris la décision d’y intervenir ? Etaient-ils dans le maintien au pouvoir d’un satrape certes peu recommandable mais qui, du moins, contrôlait pour notre plus grand profit 1900 kilomètres de littoral faisant face au ventre mou de l’Europe ? Nos intérêts étaient-ils au contraire dans la déstabilisation de la Libye puis son partage en autant de territoires tribaux livrés aux milices islamistes ? Sans parler des conséquences de notre calamiteux interventionnisme dans toute la zone sahélienne où, désormais, nos intérêts vitaux sont effectivement menacés, notamment au Niger, pays qui fournit l’essentiel de l’uranium sans lequel nos centrales nucléaires ne peuvent fonctionner…»

Ménard : «Votre conception du monde n’a-t-elle pas une influence sur vos analyses et prises de positions ?

Lugan : «J’ai une conception aristocratique de la vie, je dis aristocratique et non élitiste, la différence est de taille, et alors ? Depuis 1972, soit tout de même 40 ans, je parcours toutes les Afriques, et cela du nord au sud et de l’est à l’ouest, ce qui me donne une expérience de terrain unique dans le monde africaniste ; c’est d’ailleurs pourquoi mes analyses ont du poids. Dès le mois de décembre 2010, dans ma revue, l’Afrique Réelle, j’ai annoncé ce qui allait se passer en Egypte trois mois plus tard. De même, dès le début, j’ai expliqué que le “printemps arabe” n’était qu’un mirage, un miroir aux alouettes autour duquel tournaient les butors de la sous-culture journalistique cependant que, méthodiquement et dans l’ombre, les Frères musulmans préparaient la construction du califat supranational qui est leur but ultime.»

Enfin, nous reproduisons les demandes de soutien que propose Lugan, face à cette circonstance.

• “Rejoindre les centaines de milliers d’internautes qui ont visité le blog officiel de Bernard Lugan : www.bernard-lugan.com.”

• “S’abonner à la revue mensuelle par PDF Afrique Réelle, la seule publication africaniste libre.”

• “Acheter Décolonisez l’Afrique (Ellipses, novembre 2011).”

• “Faire savoir autour de soi que dans la 'Patrie des droits de l’homme’, un directeur de chaîne de télévision peut impunément censurer un universitaire auteur de plusieurs dizaines de livres consacrés à l’Afrique, conférencier international et expert de l’ONU.”

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