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106628 mai 2010 — Dans notre Bloc-Notes du 27 mai 2010, nous parlions de “tactique” du gouvernement d’Obama, celle d’avoir laissé toute la responsabilité de la catastrophe de Deepwater Horizon à BP. Le raisonnement soutenant la “tactique” était simple : puisque BP est responsable, à BP de s’en débrouiller. Hier encore, pendant ce temps, à Washington, le président Obama donnait une conférence de presse pour annoncer dramatiquement qu’il prenait désormais à son compte la catastrophe, et la responsabilité de la chose par conséquent ; c’était, retenez ce fait, la première conférence de presse de BHO depuis dix mois…
Entretemps encore, Deepwater Horizon est devenue officiellement la pire catastrophe pétrolière de l’histoire, supplantant celle de l’Exxon Valdez, et de très loin. Les statistiques et les estimations officielles du gouvernement et de BP le disent, avec toute la confiance qu’on peut accorder à la fiabilité des statistiques d’une part, aux intentions de ceux qui les présentent, ou qui les manipulent, d’autre part… C’est dire que l’hypothèse selon laquelle il s’agit de “la pire catastrophe pétrolière de l’histoire” depuis bien plus longtemps qu’hier est acceptable. (En volume de pétrole répandu en mer, sans aucun doute, comme on voit dans l’extrait du Times de Londres ci-dessous.) D’autre part, les mêmes divers officiels, du U.S. Coast Guard (USCG) ou de BP, ont annoncé qu’ils étaient sur le point de colmater la fuite, puis le USCG est revenu sur son optimisme. L’on vous prévient que si même la prédiction se réalisait, elle ne serait que très fragile car la fuite pourrait être rouverte si l’océan le décide, alors qu’approche la saison des tempêtes. (A ce propos, – ce propos justement d’Obama : “Je laisserais aux autres le soin de juger si cette catastrophe est ‘mon Katrina’.” On verra, BHO, mais le rythme est déjà là.)
Citons deux articles parmi la multitude qui a accueilli l’intervention d’Obama hier...
• Le Times de Londres, ce 28 mai 2010. Le point de vue britannique, qui dit qu’Obama entre en scène au moment où les nouvelles pourraient être meilleures, et en accusant furieusement BP d’incompétence et d’irresponsabilité…
«President Obama launched a ferocious attack on BP and the oil industry yesterday as what is now officially the worst spill in US history threatened to derail his presidency. Seizing the initiative on the first day of potentially good news from the Gulf of Mexico, Mr Obama cancelled or suspended dozens of offshore drilling projects and condemned a “scandalously close relationship” between oil companies and government regulators.
»He said: “As far as I’m concerned, BP is responsible for this horrific disaster, and we will hold them fully accountable on behalf of the United States as well as the people and communities victimised by this tragedy. We will demand that they pay every dime they owe for the damage they’ve done and the painful losses that they’ve caused.” […]
»In his first White House press conference in ten months, he said that he would leave it to others to judge whether this was “his Katrina” — a reference to the hurricane that destroyed President Bush’s reputation for competence — but said he was “confident that people will look back and say this Administration was on top of what was an unprecedented crisis”.
»For the first time since the April 20 explosion that killed 11 people on the Deepwater Horizon rig, Mr Obama took personal responsibility for efforts to cap the well and contain the tide of oil. According to the latest estimates, 39 million gallons have vented from the well — nearly four times the volume spilt by the Exxon Valdez in 1989.
»But he admitted that the US Government lacked the technology to take over from BP at the source of the disaster, and appeared to undermine his claim to be in full charge of the federal response when he admitted not knowing whether a senior official had resigned or been sacked.»
• Le Times de New York, ou New York Times, de ce même 28 mai 2010, apprécie la conférence de presse sous un tout autre angle. Il s’agit d’une conférence de presse mise en place pour affirmer une résolution (celle de prendre en charge la responsabilité de la lutte contre le désastre) et qui est surtout marquée par une repentance peu ordinaire (“Je me suis trompé”, “J’ai eu tort”, etc.).
«President Obama uttered three words on Thursday that many of his 43 predecessors twisted themselves into knots trying with varying degrees of success to avoid: “I was wrong.”
»He strode into the East Room to mount a robust defense of his handling of the largest oil spill in American history, reassuring the nation that he was in charge and would do “whatever is necessary” to stop and clean up the BP leak in the Gulf of Mexico. But by the time he walked out an hour later, he had balanced that with a fairly unusual presidential self-critique.
»He was wrong, he said, to assume that oil companies were prepared for the worst as he tried to expand offshore drilling. His team did not move with “sufficient urgency” to reform regulation of the industry. In dealing with BP, his administration “should have pushed them sooner” to provide images of the leak, and “it took too long for us” to measure the size of the spill.
»“In case you’re wondering who’s responsible, I take responsibility,” Mr. Obama said as he concluded the news conference. “It is my job to make sure that everything is done to shut this down. That doesn’t mean it’s going to be easy. It doesn’t mean it’s going to happen right away or the way I’d like it to happen. It doesn’t mean that we’re not going to make mistakes. But there shouldn’t be any confusion here. The federal government is fully engaged, and I’m fully engaged.”
»The mix of resolve and regret served to erect a political berm that advisers hope may contain the damage from a five-week-old crisis that has challenged Mr. Obama’s presidency. Amid deep public frustration and criticism from both sides of the political aisle, the president sought to assert leadership in response to a slow-motion disaster emanating from a mile beneath the sea.»
@PAYANT Nous parlions hier de “tactique” de ce gouvernement Obama, nous parlons aujourd’hui du fondement de l’attitude et du comportement de ce gouvernement, – de cet homme, en fait, – qui, à ce moment, rassemble bien sur lui-même la tragédie d’un temps d’une crise générale de civilisation, dont l’intensité ne cesse de nous presser. Il y a une différence qui serait presque comique si elle n’était si révélatrice entre l’approche choisie par le Times de Londres (Obama accuse BP, – sous-entendu : une fois de plus) et celui de New York (Obama, ses regrets pour ses erreurs et sa résolution pour tenter de les rattraper). Pour une fois, c’est la feuille américaniste qui touche au cœur de la chose.
Obama a tenu une conférence de presse. C’est un événement sensationnel car c’est la première conférence de la sorte depuis dix mois. Cela montre au moins trois chose : la crainte extraordinaire en temps normal du pouvoir politique de se trouver confronté en temps réel à des questions venues de créatures pourtant bien policées (les journalistes de la “presse officielle”) ; l’urgence de parler ressentie par le président US dans la circonstance présente, et de parler comme s’il parlait à cœur ouvert, sans la “couverture” qu’implique la préparation d’un discours ou d’une interview ; par conséquent, le caractère exceptionnel de la circonstance (Deepwater Horizon) telle qu’elle est soudainement ressentie à la Maison-Blanche. Tout cela est accompli dans la plus complète improvisation (“soudainement”). Le président Obama projetait il y a quatre jours encore, un week-end demain et dimanche à Chicago ; il décide brusquement de changer ses plans et de se rendre dare-dare en Louisiane.
On reste stupéfait, dans les limites de l’expérience chronologique, qu’il ait fallu cinq semaines pour en arriver à cette intervention. Le pouvoir politique est aujourd’hui totalement amputé du don de la perception des choses profondes, et encore plus de ce qu’on nomme l’intuition, sinon même de l’information la plus élémentaire. Il faut être en effet amputé de tout cela pour ne pas mesurer les dimensions humaines, émotionnelles, systémiques et ainsi de suite de cet accident qui met si complètement en évidence tant d’aspects potentiellement catastrophiques de notre système, – à l’heure où la catastrophe potentielle devient catastrophe tout court.
On reste également stupéfait, rétrospectivement, devant cet immense pouvoir politique prenant pour argent comptant la version selon laquelle le corporate power ayant fait une grosse boulette, le corporate power se chargerait à lui seul de réparer. C’est donc que la “tactique” dont nous parlions hier n’était pas seulement une “tactique” mais également une conviction, dans tous les cas à divers échelons intermédiaires du pouvoir, ceux qui passent les fiches rassurantes vers la cabinet du président. En d’autres termes, il y a une croyance dans ce cas, dans les règles affichées du système selon la catéchisme du croyant, selon lesquelles le système se régule lui-même, se police, se discipline, se met à l’amende lui-même si nécessaire.
Il y a un sens de l’urgence, mais aussi de la panique devant l’urgence dans cette conférence de presse. Le résultat, conformément au fonctionnement du système de la communication, est que le “I am in charge” de BHO, après l’acte de contrition, donne soudain aux circonstances l’allure d’une crise nationale et, vues les circonstances (pétrole, corporate power, catastrophe écologique, effets humains, spectre de Katrina, etc.), d’une crise nationale systémique. L’ironie de la chose est que cela intervient au moment où BP, avec la bénédiction du U.S. Coast Guard, annonce qu’il est sur le point de triompher de la fuite. Curieux timing de la part d’Obama, car il dramatise la crise au moment où un peu de communication type-spin doctor pourrait faire avaler, pour une semaine ou deux, la vision d’une crise maîtrisée.
…Ou bien, Obama n’a que faire de ces considérations ; d’ailleurs, tout cela est à observer avec mesure, c'est-à-dire à la lumière du fait que l’annonce de la résolution du problème de la fuite est contestée dès qu’elle est faite, après deux ou trois annonces déjà faites de résolution du problème qui se sont avérées fausses.
C’est bien la question du pouvoir politique qui est posée, – en termes assez candides et d’une sincérité furieuse, reconnaissons-le lui, – par Barack Obama. La crise qu’il affronte a une certaine perfection archétypique, portant sur le fait de la démission ou de l’inexistence du pouvoir politique, – c’est selon la perspective que l’on choisit, mais l’acte est déjà posé depuis longtemps. Cette “démission” ou cette “inexistence” a engendré un extraordinaire affaissement des capacités de perception des nécessités de l’exercice du pouvoir, notamment pour ce qui est d’entendre et de sentir les exigences des peuples confrontés à des épreuves de plus en plus contraignantes, de plus en plus exigeantes, de plus en plus nihilistes.
D’autre part, se pose évidemment, en parallèle, la question aujourd’hui angoissante de l’adéquate information de ce pouvoir politique au plus haut niveau, selon le constat que de nombreuses voies tangentielles sont prises par certains flux d’information selon justement la perception que le pouvoir politique est de moins en moins impliqué, paradoxalement, dans les affaires publiques. En d’autres termes, on pourrait résumer en s’interrogeant de savoir si le POTUS (President Of The United States) est un homme précisément et bien informé. On pourrait même s’interroger sur le fait qu’il pourrait vouloir nous faire savoir qu’il est mal informé, lorsqu’il étale, sans dissimuler, d’une phrase brève («I don’t know»), son ignorance des raisons de la démission d’une fonctionnaire de haut rang dirigeant un service qui a un rôle capital à jouer dans toute affaire de forage pétrolier en mer. (Le Times de Londres : «Elizabeth Birnbaum’s resignation as head of the Minerals Management Service [MMS] that regulates offshore drilling was announced before the press conference. Asked why she had gone, Mr Obama said: “I don’t know.”»)
A force de ne plus s’exercer selon sa propre volonté mais de répondre aux sollicitations de forces diverses et variables, le pouvoir politique se dissout et devient impotent, autiste, inexistant. On en vient évidemment à douter qu’il ait quelque volonté, bien qu’il soit conçu comme la résultante de “la volonté du peuple”, et à concevoir qu’il soit devenu simplement la résultante variable, et automatiquement variable, de l’exercice de forces diverses, extérieures à lui. Ce serait alors que différents arcanes du pouvoir en viendraient éventuellement à décider de se passer des consignes précises de la direction politique pour poursuivre dans leurs activités habituelles, même si ces activités relèvent du bien public, qui relève, lui, de la direction politique. Au milieu de tout cela, le président des Etats-Unis (POTUS) ressemble à un fétu de paille qui suit aveuglément une course dont il ignore tout du sens, de la signification et de l’efficacité ; une course dont il n’est peut-être même pas informé…
La notable sincérité d’Obama (“Je me suis trompé”, “J’ai eu tort”, etc.), presque outrancière, presque provocatrice à force d’être répétée, son humeur visiblement et sincèrement furieuse, n’ont pas pour résultat premier de préserver malgré tout l’“image” du président (même si elles y contribuent, sans aucun doute). Elles ont pour résultat principal de nous montrer cet affaissement terrifiant des capacités humaines du pouvoir politique, que ce soit pour des raisons mécaniques, pour des raisons bureaucratiques et d’activités corruptrices variées à l’intérieur de la bureaucratie, que ce soit pour des raisons de rétention d’information, – que ce soit, d’ailleurs, pour toutes ces raisons généreusement additionnées. D’où l’aspect presque surréaliste de la conférence de presse de Barack Obama. Le 44ème POTUS, Africain-Américain de surcroît, aurait voulu nous susurrer un message subliminal qu’il n’aurait pas choisir de s’y prendre d’une autre façon : “Au secours, je suis prisonnier, venez à mon aide”. C’est pour le coup que nous reparlerions de l’“American Gorbatchev”, – mais décidément bien cadenassé.