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3 avril 2007 — Les non-Français s’aperçoivent de quelque chose. Subrepticement, sans crier gare, la campagne présidentielle française a complètement basculé. Conçue au départ pour tancer la France et la préparer (enfin) à s’adapter à la globalisation, elle débouche sur une exaltation générale de l’identité nationale et de la nation, la structure la plus fondamentalement antagoniste de la globalisation. On s’énerve. («“The main issue facing France today is how we deal with globalization,” said Nicolas Baverez, a political commentator and author. “Will we embrace globalization or will we keep pretending it doesn't exist for another five years?”», — selon l’International Herald Tribune de ce jour.)
Nous citons deux médias très différents qui, tous deux à leur façon, attirent l’attention sur cette évolution.
• L’IHT déjà cité explicite, en se frottant la plume de désarroi et d’incompréhension, cet étrange retournement du débat politique français. Le “Even Sarkozy…” en dit plus long que les œuvres complètes de Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine pour les camarades.
«While the main presidential candidates have become consumed in an emotional debate about national identity and law and order, it may be that the real debate over France's future is being drawn in boardrooms and on the factory floors.
»“The main issue facing France today is how we deal with globalization,” said Nicolas Baverez, a political commentator and author. “Will we embrace globalization or will we keep pretending it doesn't exist for another five years?”
»The g-word is the elephant in the room in a campaign where all contenders claim to represent change but none is pressing for it.
»The alternatives have become increasingly blurred, as the Gaullist candidate, Nicolas Sarkozy, turned more protectionist in recent weeks and his Socialist rival, Ségolène Royal, more nationalist. Sarkozy, Royal, and their centrist challenger, François Bayrou, have all pledged to protect Airbus workers from job cuts. They have all vowed to fight “speculative” capitalism and sending jobs out of the country. And all called for a lower euro to keep up production and jobs.
(…)
»In few other West European countries do governments of all stripes pay such lip-service to the anti-globalization movement. The defenders of generous agricultural subsidies, successive administrations have evoked “economic patriotism” to justify bailing out French companies and stopping foreign takeover bids. It was Jacques Chirac, a center-right president, who said free-market economics was just as dangerous an ideology as communism.
»This campaign seemed poised to usher in a more reformist generation. But Royal wants to punish companies that move production sites abroad and calls for a Europe that ''protects its citizens'' from the chill winds of globalization. She would re-nationalize the former electricity and gas monopolies, Électricité de France and Gaz de France, and supports a higher minimum wage.
»Even Sarkozy, who started out with promises of breaking with the past, has gradually changed his language. Last week, he called free trade “a policy of naivety” and vowed to go on “a diplomatic offensive” to lower the euro. The former finance minister who bailed out the train maker Alstom, he also promised an industrial policy that would block foreign takeover bids of strategic companies.
»“They tell you that the state can no longer intervene because globalization has annulled the power of states,” Sarkozy said in a recent campaign speech. “They tell you that there are only two choices possible: perish or adapt, in other words renounce our values, our culture, ourselves.”»
• L’IHT cite également une longue suite de gémissements et de plaintes du grand patronat français devant l’immaturité du pays de France. Sont successivement appelés à la barre des témoins de moralité: Claude Bébéar (AXA), Dennis Hennequin (McDonald's Europ), François Pinault (il parle de la «France's Social Marxist culture»), Michel Pébereau (BNP Paribas), etc.
• C’est donc avec une assez grande curiosité, et une certaine jubilation somme toute, qu’on retrouve, en ligne avec ces critiques du très grand capitalisme d’affaire français, une critique aussi virulente venant de la Quatrième Internationale (trotskyste), sur le site WSWS.org, du 2 avril (version française d’un texte en anglais publié le 31 mars). Le texte dénonce cette dérive nationaliste qui touche jusqu’à des candidats de l’extrême gauche :
«Un des aspects remarquables de la campagne électorale en France est la rhétorique nationaliste à laquelle tous les candidats de l’establishment politique ont recours afin de camoufler les oppositions sociales, d’attaquer les immigrés et de défendre “les intérêts français”.
»Ce n’est pas seulement le cas de partis conservateurs et d’extrême droite comme l’UMP de Nicolas Sarkozy et le Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen ou encore du Parti socialiste dont la candidate Ségolène Royal préconise que chaque Français ait chez lui un drapeau tricolore et termine ses meetings électoraux en chantant la Marseillaise. A l’extrême gauche aussi il y a un parti, le Parti des travailleurs (PT) qui mène une campagne dont le contenu et le langage ont très nettement pour objectif la défense de l’Etat français et de la “souveraineté nationale”.
»Le PT est issu de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) qui a rompu avec la Quatrième Internationale en 1971. Depuis cette époque, l’OCI est constamment allée à droite et elle est devenue un des soutiens de l’ordre bourgeois. En 1992, elle fonda le “Parti des travailleurs” et s’y est dissoute. Le PT prétend représenter plusieurs courants politiques, communiste, socialiste, anarcho-syndicaliste, mais il est toujours dominé par l’ancien cadre de l’OCI, qui compte encore Pierre Lambert, maintenant âgé de 86 ans, dans ses rangs.
»On cherche en vain le terme “socialisme” dans les déclarations électorales du PT, même la notion de classe ouvrière en a disparu. Ses déclarations se limitent à des revendications purement bourgeoises comme “pour la reconquête de la démocratie” et “pour la défense de la république laïque”. La pierre d’angle de la campagne électorale du PT est une “défense des 36 000 communes” du pays, situées pour la plupart dans des régions rurales.»
• A cela, on ajoutera l’épisode Sarkozy-Kroes, qui met, dans le même sac que les grands capitalistes français et les trotskystes orthodoxes, le Financial Times et la Commission européenne.
Ce rassemblement a le mérite de la clarté. Les “forces du Progrès” selon la phraséologie des XIXème-XXème siècles, sont désormais identifiées et regroupées, du grand capitalisme de la globalisation à la IVème Internationale, en passant par la Commission européenne. Leur but commun, c’est la déstructuration du monde.
La France désespère le reste du monde qui sait se faire entendre (le reste du monde qui dispose des moyens de communication de la presse officielle ou de la cohésion d’une idéologie éprouvée). Il y a, implicitement, dans tel ou tel commentaire, la mise en cause du statut de nation de cette nation, de son équilibre, de sa santé mentale, etc. (Assez curieusement, ou de manière au contraire tout à fait compréhensible, lorsque le Congrès des Etats-Unis prépare et vote des lois protectionnistes, c’est-à-dire tout le temps et plus précisément en ce moment, ou lorsque la globalisation est mise radicalement en cause par des élus de la Grande République comme en novembre 2006, les commentaires se résument aux constats que le Congrès “is in a neo-protectionnist mood” et que la nation “is in an anti-globalization phase”. On sait faire la différence entre les choses.)
L’affaire des présidentielles françaises est donc particulièrement juteuse. Il semblerait que la tactique nietzschéenne du corps électoral soit en train de porter ses fruits. Les arguments portés contre l’évolution française ont l’odeur des vieilleries des greniers idéologiques, puisqu’on entend, unis dans un même effort, les trotskistes attaquer “les tendances droitistes” et les capitalistes dénoncer le “socialisme marxiste”, — et il s’agit des mêmes cibles puisqu’il s’agit de la France, de son corps électoral et de ses candidats à la présidentielle. On pourrait observer qu’il s’agit d’un effort efficace de recomposition des forces politiques mondiales, entre les passéistes attachés à la question idéologique et les modernistes, — sorte d’antimodernes pour le compte, — qui ont compris que la crise se joue autour de la question de l’identité.
Quoi qu’il en soit, le tournant réalisé par la campagne présidentielle française est stupéfiant. Cette campagne était supposée enfin envoyer les Français dans les camps de rééducation de la réforme libérale, selon les vœux des commentateurs et des hommes politiques en 2005-2006 (après le référendum de mai 2005). On se retrouve dans une campagne aux couleurs bleu-blanc-rouge sur l’identité nationale. Les outrances diverses de cette campagne, évidentes par ailleurs, ne doivent pas cacher le fait fondamental de ce tournant. Les critiques grandissantes, comme celles qu’on a vues, ne font qu’accentuer l’effet et dramatiser l’évolution française. Cette fois, la perception est en marche. Une fois de plus, la France est le trouble-fête.
Trouble-fête ? Ce qu’on devrait remarquer pour achever ce tour d’horizon, c’est que la fête, — la globalisation, — est d’une tristesse affligeante, entre l’Irak et la mirobolante guerre contre la terreur, les diverses facettes de la crise américaniste, les bourses chaque jour au bord d’un krach, le système du dollar de plus en plus fragile, les perspectives des diverses crises systémiques et tout ce que l’on oublie.
Plaignez-les, eux qui ne savent plus quoi faire de la France. C’en est au point où, bientôt, on pourra répondre aux avertissements de Nicolas Baverez («The main issue facing France today is how we deal with globalization») : peut-être serait-il temps que la globalisation envisage «to deal with France» et s’adapte à ce pays. Slogan pour slogan.
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