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481Dans le florilège des noms qu’on trouve à l’actuelle crise (qui est quasi-terminée, savez-vous), Steve Fraser propose The Great Retrogression (disons “la Grande Régression”). L’explication de l’expression est que la réparation complètement temporaire de la chose n’en est absolument pas une, qu’elle nous offre des conditions bien pires qu’avant la crise (régression, effectivement) et un mécanisme absolument pervers qui lie l’enrichissement des plus riches, responsables de la crise sauvés en priorité, à l’appauvrissement des autres, dont l’argent de leurs impôts habituels a servi à sauver ces plus riches responsables. C’est une sorte de mouvement perpétuel qui est inventé ici.
Le très long essai de Steve Fraser sur “la crise du capitalisme”, mis en ligne le 6 novembre 2009 sur Truthdig.org est particulièrement intéressant par le parcours historique qu’il nous propose de la Grande Dépression à “la Grande Régression”. En voici quelques extraits.
«Every day the media puts on display the official schizophrenia about the current crisis. On the one hand, recovery beckons; it’s about to start, it’s already started, the crisis is over. People in charge—Bernanke, Geithner, Obama himself—are quoted to this effect. Evidence accumulates mainly in the financial sector, where big banks have so much cash on hand that some have paid back the government its bailout money and others are begging to do so. Profits in the FIRE sector [finance, insurance and real estate] are back, lavish bonuses are back: Can a third gilded age be far behind?
»But then there’s the other kind of story, the one about the spreading misery of joblessness, foreclosures, homelessness, wage cuts, furloughs, brute amputations of social services, repossessions, bankruptcies, defaults—the dispossession of a dream. A tale of two cities indeed!
»It ought to be seen as appalling, arrogant, callous, myopic, credulous and maybe most of all morally embarrassing to talk with a straight face about recovery amid all this. What could that word possibly mean; why don’t the bankers, their house intellectuals and the always deferential media choke on the word as they utter it? Who exactly is recovering? What, after all, is the whole point of economic recovery if it doesn’t first of all mean some improvement in general well-being? What is it that licenses this official complacency, which, in a kind of reassuring afterthought, notes that unemployment and other downbeat news may linger for a while, even quite a while, may even grow for a while, or for quite a while, but then again looks at Goldman Sachs and takes heart?
»What allows for this is a long generation of financialization of the economy. Among the many lamentable legacies of that profound economic makeover is this kind of moral and cultural numbness. Economic good health, the notion of prosperity itself, has for a long time now been identified with how things are faring for the banks, the insurance companies, the hedge and private equity funds, their law firms and the legions of satellite enterprises that service that sector. This was always delusional, not just after Bear Stearns and Lehman Brothers sent up their distress signals. […]
»Moreover, the point of all this is not merely that we’ve now arrived at a tale-of-two-cities moment, when it’s the best of times for the bankers and the worst of times for the rest of us. It is rather that all along that faux prosperity rested on, depended on the inexorable erosion of other avenues to economic well-being. Some of us grew richer not only while but because a lot of the rest of us grew poorer.
»Perhaps the greatest gulf separating the Great Depression from the Great Recession is the difference between the political economy born back then and the political economy of the last generation. The New Deal articulated the outlook of a new order based on mass consumption industrial capitalism. It was rooted in emerging sectors of mass production and distribution as well as in the insurgent labor movement and among broad circles of social welfare reformers. It helped give birth to a high-wage industrial economy buoyed by strong unions, an expanding system of social welfare, a regulatory regime to dismantle that era’s “money trust” and so open up the sluice gates of private capital and credit, and government pump-priming when called for. Some of the reform legislation of FDR’s first 100 days (the Securities Act, the Glass-Steagall Act, the TVA) and much more of the legislation to follow (the Wagner Act, Social Security, the Securities and Exchange Commission, the Public Utility Holding Company Act, the Fair Labor Standards Act, and so on) were designed, by no means always successfully, to bring this new, consumer-oriented industrial capitalism into being. […]
»Since then—beginning with the Reagan years—finance has triumphed over the New Deal industrial order. Financialization, or what some have called financial mercantilism, triumphed by gutting the American industrial heartland. That is to say, the FIRE sector not only supplanted industry but grew at its expense and at the expense of the unions, the high wages, and the capital that used to flow into productive investment, not to mention at the cost of government social supports and government regulation that comprised the understructure of New Deal capitalism.
»More profoundly disturbing is this: Even should those “green shoots” flower, the best that can be expected is a kind of jobless “recovery” and a general lowering of the social wage. After all, recovery of the economy of high finance is not recovery we can believe in, nor is it even an economy. If this happens, then we may have to conclude that the Great Recession gave way to the Great Retrogression.»
@PAYANT Dès que les crises économiques sont impérativement placée dans leurs contextes historiques, leurs dimensions acquièrent toute leur réalité, c’est-à-dire toute leur puissance éventuelle et leurs rôles politiques fondamentaux. Le récit de Fraser est à cet égard exemplaire, avec assez d’observations économiques et financières pour comprendre le sens des crises, placées dans le vaste contexte historique qui leur donne tout leur sens. Bien entendu, le récit historique spécifique nous conduit ici de la Grande Dépression jusqu’à notre crise actuelle, et concerne exclusivement la situation aux USA. Pour ce qui concerne l’appréciation général et la réalité de la situation dans cette continuité historique, le jugement implicite est manifeste; l’expression Great Retrogression est moins flatteuse que Great Depression (et moins encore que Great Recession, nom généralement donnée quasi-officiellement à la crise actuelle). Pour Fraser, la crise actuelle est plus grave que la Grande Dépression et cette gravité ne peut s’apprécier et se comprendre qu’à la lumière de la continuité historique depuis la Grande Dépression.
L’objet de toute la fureur de Fraser, c’est la situation de plus en plus évidente d’une “jobless recovery”, expression qui est une sorte d’oxymore cynique, une contradiction per se, une insulte au bon sens (qu’est-ce que c’est qu’une “reprise sans emploi”, une économie qui recommence à “bien marcher” avec autour de 20% de chômage?). (On notera combien cette remarque est évidemment étayée par l’annonce officielle, qui a fait pour une fois un titre important du New York Times du 7 octobre 2009, que le chômage qui vient officiellement de dépasser 10%, atteint en réalité, mais cela officiellement annoncé de manière tonitruante par le département du travail, 17,5%; cela nous rapproche de la réalité d’un chômage autour d’un réel 20%, et peut-être au-delà, atteignant ainsi l’ordre de grandeur des chiffres de la Grande Dépression.) La cause de cette situation catastrophique réside, pour Fraser, dans le lien diabolique qui a été mis en place par la “résolution” de la crise et la restauration du système fautif, qui fait dépendre directement, comme un lien direct de cause à effet, l’enrichissement obscène de la minorité qu’on sait de l’appauvrissement du reste (“non seulement quelques-uns d’entre nous deviennent plus riches [alors que le reste devient plus pauvre] mais ‘en plus’ ils deviennent plus riches parce que le reste devient plus pauvre”).
L’appréciation historique de Fraser est intéressant, notamment dans sa comparaison des premiers “100 jours” de Roosevelt en 1933 et des premiers “100 jours” d’Obama. Alors qu’Obama n’a fait que relever les banques et lancer une subvention pour tenter de contenir la montée du chômage sans aucune modification structurelle, Roosevelt avait ajouté à ces actions une série de mesures structurelles qui, malgré un succès immédiat assez mitigé, mirent en place les fondations d’un nouveau système, un “capitalisme de consommation de masse”. C’est en ce sens que, malgré ses échecs à court terme, le New Deal a sauvé le système capitaliste en renouvelant sa forme et ses structures. Mais, à partir de 1980, la “financialisation” accélérée du système détruisit cette structure héritée de FDR.
D’un point de vue américaniste, on peut juger l’action comparée des deux présidents dans le sens que fait Fraser – appréciation positive pour FDR, négative pour BHO. (En quelque sorte, FDR, avait contenu puis réduit la tragédie en ouvrant les portes à une réforme constructive de sauvetage du système; BHO se contente de contenir la tragédie en se gardant d’ouvrir aucune porte à une réforme de sauvetage, constuctive ou pas.) D’un point de vue plus objectif et non exempt d’une ironie presque gorbatchévienne, notamment avec l’idée que ce système, même réformé, doit être combattu par tous les moyens, on peut observer que BHO fait involontairement bien plus que FDR pour affaiblir le système – sorte de façon détournée, très cool comme son caractère, de finir tout de même en “American Gorbatchev”?… Il reste par ailleurs, selon un jugement complètement objectif, que la situation actuelle des USA, avec la “désindustrialisation” effective, rend beaucoup plus difficile de trouver une formule style-New Deal de réforme fondamentale.
Mis en ligne le 9 novembre 2009 à 09H31
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