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63128 septembre 2004 — La récente affaire de “déportation” des USA du chanteur Cat Stevens, alias Yousouf Islam, signalerait de façon spectaculaire ce qui constituerait un “durcissement” de la politique américaine de guerre contre le terrorisme, — c’est-à-dire, de plus en plus, une politique américaine de guerre “contre l’Islam”.
Notre ami “Spengler”, commentateur ultra-“anglo-saxoniste” et moraliste de type darwinien, qui n’a pas froid à la plume pour nous affirmer les vertus de la dureté extrême en politique, surtout lorsqu’elle est anglo-saxonne, — Spengler, donc, nous explique in fine dans sa dernière chronique ce qu’il faut penser de la “déportation” de Cat Stevens-Islam, entre autres faits. Voici quelques explications de Spengler :
« …American policy has changed radically since the first days following September 11, 2001, when the head of the American Muslim Council prayed in public with President George W Bush, and last summer, when he confessed to a federal charge of terror-related activities. Rather than court Muslim opinion, Washington has given Muslim communities an ultimatum of sorts.
» Islamist terrorists hide behind a civilian screen wherever possible, and draw occasional support from sympathizers within governments in Muslim countries or Islamic communities abroad. Police have charged leaders of ostensibly mainstream Islamic organizations in Europe and the United States with terrorist links, in some cases with abundant evidence. Most striking, as noted, was the recent confession of Abdurahman Alamoudi, founder and head of the American Muslim Council, to laundering Libyan contributions to American Muslim organizations. When arrested, Alamoudi had contact information for seven men whom the US Justice Department sought as alleged terrorists. This is a man who had met both presidents Bill Clinton and Bush, and received accolades from the Federal Bureau of Investigation as an exemplar of “mainstream” Islam.
» Some view the prosecution of Alamoudi and a dozen similar cases as part of a vast conspiracy to victimize Muslims. Some insist that the September 11 attacks were staged by American intelligence as a provocation. We do not know (and may never know) all of the details, but the subtle overlap among mosques, charities and terrorist cells has the undivided attention of US and European authorities. To get at the terror cells, the authorities will put pressure on the milieu in which they operate - the equivalent of Giuliani's squeegee men. A large fraction of Muslims overseas hope for the success of organizations that the American (and some other) authorities regard as terrorist, eg, Hamas. US intelligence hopes to isolate terrorists and starve them of support by putting pressure on their support networks. A bitter choice has been forced on the Muslim communities of Europe and the United States, namely, to cooperate with anti-terror investigations of prominent citizens among them or to fall under general suspicion. For individual Muslims residing in the West, this may become rather unpleasant.
» Recent actions by American law enforcement may have as their goal polarizing the Muslim community overseas. Diverting a London-New York flight last week to a remote airport in order to detain the former Cat Stevens, now Yusuf Islam, seemed like a signal of “zero tolerance” on the part of the US authorities. »
La rubrique “guerre à…” ne cesse donc de s’ouvrir aux USA, signalant une radicalisation de la radicalisation de la politique américaine déjà radicale per se. Il y a une logique de la “fuite en avant”, largement alimentée par la situation en Irak. Certains experts européens, malins, ont remarqué que la rhétorique de la bureaucratie militaire américaine est passée en Irak de la “lutte anti-terroriste” à la “lutte anti-guérilla” (counter-insurgency). Cela signifie que les Irakiens, des musulmans justement, qui semblent finalement ne pas comprendre que l’invasion américaine est pour leur bien et pour leur dignité, sont désormais potentiellement considérés tous comme des adversaires.
Cette logique commence à pénétrer les commentateurs américains, braves petits soldats de l’américanisme toujours prompts à sentir d’où souffle le vent nouveau. Cette logique en marche en Irak est la même qui anime la “grande politique” du général Ariel Sharon et qui présage quelques attaques bien sanglantes contre telle et telle villes irakiennes, sous le regard détourné des Européens pensant à autre chose (pensant par exemple aux incartades anti-démocratiques de Poutine). Lire donc ce texte de Jackson Diehl, dans le Washington Post du 27 septembre, où l’on comprend combien la stupidité américaniste doit s’imposer comme un cas d’école : les Américains, comme le général Sharon d’ailleurs, n’ont toujours pas compris que le terrorisme n’est pas une question de décompte de morts, de matériels détruits, etc (vision complètement militaire du problème), mais une question de psychologie, avec l’effet créé dans les esprits. Mais cette stupidité, c’est-à-dire une complète fermeture de l’esprit autour de l’axiome “nous avons raison”, est évidemment dans la nature des choses, lorsque l’on considère l’évolution générale de l’américanisme.
« So should the U.S. Army stop worrying about the collateral damage of an invasion of Fallujah? Of course not: The United States, after all, is still primarily focused on political goals in Iraq and not merely an end to car bombings. Yet the Israeli experience does suggest that it's wrong to insist, as many in Washington do, that a military campaign against the terrorists' bases could not substantially improve security conditions for both Americans and Iraqis. The visuals would be awful and the outcry loud, on al-Jazeera and maybe at the United Nations. But if the reality were modest civilian casualties and heavy enemy losses, the result might be an opportunity to pursue the nation-building that now is stymied. »
Bien, nous sommes dans le droit fil de la logique du “qui n’est pas avec nous est contre nous”, simplement avec une ouverture de plus en plus généreuse des “contre nous”. C’est-à-dire que l’étiquette “terroriste” tend de plus en plus à s’étendre vers les musulmans, notamment ceux qui présentent une logique explicative du terrorisme (cette logique qui pourrait être, pour des esprits faibles proches d’être enrôlés par les terroristes, une justification les faisant devenir terroristes, — ainsi s’expriment désormais les moralistes américanistes). C’est ce que nous signale aimablement Spengler : « …In the American view, a porous membrane divides ideologues who rationalize terrorist activities from the operational cells that carry them out. Squeezing the soft outer shell of the network, the US authorities believe, will lead the inquisitors to the hard core. […] …individual Muslims will suffer; life will become less pleasant for Muslim intellectuals who flirted with radical Islam. Either you are with us, or you are against us, Bush warned the governments of the world in the aftermath of September 11; now the same message has gone out to Muslim communities of the West. »
Il faut signaler, c’est ce qui est intéressant, que cette évolution ne suit pas spécifiquement des attaques terroristes, mais les déboires américains en Irak et les échecs en Afghanistan à la suite de la politique la plus catastrophiquement stupide qu’on ait pu concevoir. En d’autres termes plus crus, le message est celui-ci : au plus nous ferons de conneries qui soulèveront les gens contre nous, au plus ces gens seront condamnés à mort comme terroristes et assimilés. Il n’y a par conséquent aucune raison pour que l’américanisme s’arrête aux musulmans. Bientôt, les intellectuels européens qui tentent de comprendre le terrorisme en explorant ses causes diverses seront interdits d’USA et rapatriés comme un vulgaire Cat Stevens/Islam ; ils seront passés du côté des “contre nous”.
Cette logique est en marche dans une réflexion que cite l’attentif Spengler, d’un nommé Lee Smith, dans the American Prospect. Smith évoque le cas d’un intellectuel modéré musulman, Tariq Ramadan, qui vient de se voir signifier la suspension de son visa pour travailler à l’Université Notre-Dame, aux USA, où il allait recevoir une distinction importante. Voici la logique de Smith pour comprendre et justifier la mesure contre Ramadan : « Ramadan is a cold-blooded Islamist who believes that Islam is the cure for the malaise wrought by liberal values. His revision of the jihadist paradigm — peaceful but total — is brilliant in its way, and he may well turn out to be a major Islamist intellectual, far surpassing even his grandfather's influence. His cry of death to the West is a quieter and gentler jihad, but it's still jihad. There's no reason for Western liberals to try to understand that point of view. » Les derniers termes de Smith doivent nous rester à l’esprit : « There's no reason for Western liberals to try to understand that point of view. » (Le fait même d’ “essayer” est vraiment, fortement, foutrement suspect. A bon entendeur…)
Inutile de tenter de voir ce que Smith & Cie diront, dans quelque temps, lorsque l’Iran résistera à son tour à l’invasion américaniste, de ces “intellectuels libéraux” occidentaux qui “essaieront de comprendre ce point de vue”. Ils seront expulsés dans la rubrique “contre nous”.
Tout nous montre que la logique de libéralisme américaniste représente la tentative idéologique la plus totalitaire et la plus radicale que l’Histoire ait connue, parce qu’elle porte non sur une nation, non sur une race, non sur une classe, mais sur la pensée et la psychologie même. Cette logique conduit à considérer après-demain que tout le genre humain, n’étant pas américain ni américaniste (sauf les petits malins qui auront vu venir le coup et seront en instance de naturalisation), est évidemment “contre nous”.