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1051[Nous rééditons, ici, un article déjà mis en ligne sur le site du Huffington Post Québec. Cette réflexion, publiée le 25 janvier 2015, a été formulée telle une pierre d’assise afin qu’un véritable débat sur la liberté d’expression soit rendu possible. – P-H.P.]
Nous inscrivant en faux contre l’embrigadement des consciences à la suite des attentats du 7 janvier dernier – ayant décimé une partie de la rédaction de Charlie Hebdo – nous voulions dénoncer cette «liberté d’expression» à géométrie variable que les pouvoirs en place tentent de nous imposer. Plus que jamais, la rectitude politique demeure la forme la plus pernicieuse d’un embrigadement des consciences qui table sur l’injonction «vous êtes avec nous ou contre nous» pour isoler ceux et celles qui osent questionner le narratif des actualités.
Cette analyse propose, d’emblée, un débat salutaire sur cette notion «de liberté d’expression» qui concerne, avant toutes choses, la parole des relais du pouvoir. Faux-nez d’une démocratie potiche, ce « droit de parole » redevient l’apanage d’un appareil de répression idéologique qui ambitionne de formater les esprits dès qu’un évènement se produit.
Sans aucune possibilité de recul, le citoyen doit se conformer aux prescripteurs d’opinion qui font la pluie et le beau temps dans les médias officiels. Il n’y a plus de débat possible au sein de l’agora de nos cités concentrationnaires. L’histoire est coulée dans le béton, avant même que les événements ne se produisent. Ces derniers ne sont que les figurants d’un narratif qui ambitionne de faire de l’histoire une science exacte. Nous sommes rendus à l’ère Soviétique 2.0.
Il est tout de même consternant de voir tout un chacun se gargariser avec un concept de liberté d’expression à géométrie variable à l’heure où nos gouvernants peaufinent des mesures sécuritaires tous azimuts. Nous sommes bel et bien pris en otage par une caste de prescripteurs d’opinions qui se préoccupent plus du conditionnement des foules que d’une liberté d’opinion qui n’est qu’une chimère en l’espèce. À l’heure où des hordes de pleureuses envahissent les plateaux de télé, il importe de nous poser certaines questions d’usage.
D’entrée de jeu, qu’il nous soit permis de rappeler à nos lecteurs que la liberté d’opinion précède toujours celle d’expression. Et, un peu comme dans l’histoire de l’œuf et de la poule, il va de soi qu’il est impératif de pouvoir s’informer si l’on veut être en mesure de… se forger une opinion. Mais, où prend-on nos informations ? Plus souvent qu’autrement, les sources d’informations disponibles ne sont que des opinions travesties en prescriptions prétendument bien étayées, objectives et dénudées de préjugés. Mais encore…
Nous n’entendons pas ressasser le célèbre « plus un mensonge est gros, plus il deviendra crédible » afin de souligner l’importance du rôle de la propagande comme moteur des médias. Qu’est-ce qu’un média ? C’est d’abord et avant tout une «caisse de résonnance» qui sert à fabriquer du consentement social. Ceux et celles qui s’imaginent toujours que les médias ont pour mission d’informer et de protéger la «démocratie» sont des lunatiques en puissance.
Marshall McLuhan et Guy Debord, durant les années 1950 et 1960, ont mis le doigt sur la plaie purulente de cette matrice hollywoodienne qui participe à une « société du spectacle » à l’intérieur de laquelle le bulletin des nouvelles tient la place de la récitation d’un chapelet cathodique. Ainsi, l’agenda médiatique constitue une sorte de cahier des charges qui détaille la méthodologie à appliquer afin de relier divers « éléments informatifs ». L’essentiel consistant à maquiller certains faits, tout en braquant les projecteurs sur d’autres, afin d’orienter la conscience (ce qu’il en reste) des consommateurs en fonction d’un narratif (récit officiel) de circonstance.
L’impact d’une nouvelle constituant un détonateur qui permettra aux prescripteurs du pouvoir de mobiliser les «bons sentiments» de la foule replète des consommateurs ébahis. Parce que l’art de la propagande travaille en permanence sur les affects malmenés d’un consommateur qui se sent dépassé par les événements. Si Léon Trotsky a inventé le concept de «révolution permanente», qu’il nous soit permis de mettre sur la table celui d’«illusion permanente». Les médias fonctionnant comme une lanterne magique (voir l’allégorie de la caverne de Platon), il est capital de maintenir le spectateur dans un état d’hébétude continu, sorte de stase qui permet de manipuler à loisir sa conscience (sédiments de…) et de programmer ses affects pour lui faire réclamer à grands cris de nouvelles mesures toujours plus liberticides.
On dit que la liberté c’est la capacité de faire des choix. Donc de discriminer. Nos habiles prescripteurs, ayant parfaitement assimilé les rudiments exposés par George Orwell, ont eu l’idée de génie de mettre en branle la rectitude politique depuis l’arrivée au pouvoir des néoconservateurs au tout début des années 1980. Ainsi, sous prétexte de ne PAS discriminer quiconque, il nous fut prescrit de maquiller notre langage afin de ne point heurter notre semblable et, surtout, de ne pas alerter le pouvoir. À ce dispositif de contrainte sémantique fut adjoint un mécanisme de surveillance déguisé en autant d’«associations de défense des minorités» destinées à policer les débats.
Après le matraquage psychiatrique de Woodstock, voilà que nos consciences affaiblies se voyaient prises en charge par une police nouveau genre. Michel Clouscard l’a parfaitement bien démontré dans plusieurs de ses ouvrages en soulignant le fait que la «pensée libertaire» devenait une injonction nécessaire pour que la «société libérale» puisse s’imposer à tous. Une nouvelle inquisition était née. Il fallait jouir à tout prix, peu importe la douleur endurée et les conséquences escomptées.
Nous n’épiloguerons pas ici, faute de temps, sur la notion de cette contre-culture qui n’est qu’une autre opération supplémentaire d’abrutissement des consciences qui s’appuie sur la destruction systématique du patrimoine culturel de nos sociétés moribondes. Nous prendrons, le plus simplement du monde, la peine de souligner que la «contre-culture» et la «révolution permanente» font partie intégrante de l’arsenal de manipulation idéologique de nos maîtres véritables.
Émules de Voltaire, nos prescripteurs d’opinion ont fait de la «liberté d’expression» leur principale antienne. Curieusement, certains comiques «qui ne font plus rire personne» sont mis au ban de la société afin d’empêcher que la «haine » ne se propage. Si cette opération nous est présentée comme un moindre mal, nous avons tout de même le droit (ou, à défaut de celui-ci, le devoir) de nous questionner un petit peu sur les rouages de cette nouvelle police de la «liberté d’expression».
Exactement, comme il est stipulé dans le célèbre roman d’anticipation d’Orwell, la «Novlangue» – ou simulacre de communication toléré par le pouvoir – consiste à nous imposer le devoir de nommer les choses par leur contraire. Ainsi, ce qui m’écoeure me fait plaisir. Ce qui est laid est beau et lorsque je suis angoissé, c’est que tout va bien ! Les symboles du langage ont été permutés, non pas pour prosaïquement remplacer le bien par le mal, mais afin que l’individu lambda ne soit plus en mesure de maîtriser sa communication. Du jour au lendemain, comme par magie, le pouvoir pourra décréter qu’un péché n’est pas une vertu et vous serez invité à suivre une séance de thérapie afin de vous rééduquer.
Puisque le mouvement nihiliste des révolutions passées consistait à préparer l’arrivée d’une «contre-culture» destinée aplanir les consciences, il va de soi que la phase finale de ce processus consiste à rééduquer le badaud démoli par une postmodernité à géométrie variable. Nous entrons, présentement, dans cette phase historique de la «rééducation des consciences» et tout nous porte à croire qu’elle sera particulièrement violente.
Désormais, afin de préserver une prétendue «liberté d’expression», il nous est donc interdit d’«exprimer» le moindre doute à propos des saynètes du script officiel. Or donc, mettre en doute la portée «éducative» des activités d’un média qui est subventionné pour foutre la merde (Charlie Hedbo) constitue, désormais, un appel au meurtre et vous rend passible d’une séance de thérapie gratuite. Il faut comprendre qu’en jouant sur les affects de la population médusée – à la suite de l’opération-choc des commandos – nos prescripteurs sont parvenus à générer un mouvement de consentement collectif qui a manifestement réussi.
Incapable d’effectuer le moindre raisonnement, la foule replète se laisse (lâchement) endoctrinée. Ainsi, ceux qui se questionnent sur les tenants et les aboutissants des tristes événements du 7 janvier dernier ne seraient que des «charognards qui font leurs choux gras du malheur des autres» et, au nom de la protection de la «liberté d’opinion», il leur sera, désormais, interdit de prendre la parole dans l’agora publique.
Sur ces entrefaites, le poncif «Ce qui me fait chier me fait plaisir» est promptement réutilisé par les pouvoirs publics qui s’empresseront de subventionner la production et l’installation d’autres «plugs anals» (godemiché sur lequel on s’assoit en lisant les journaux branchés) géants qui seront installés au beau milieu des squares. Toutes œuvres «libertaires» pour lesquelles on devra mobiliser, outre leur installation, d’importantes sommes afin d’en assurer la protection au cas où certains intempestifs de la «moralité publique» s’aviseraient de tenter de les dégonfler. Dans un contexte où les gouvernements ferment des crèches, coupent les fonds destinés à acheter des livres pour les écoles et laissent crever comme des chiens une pléiade de sans-abris, vous avouerez que c’est tout de même savoureux…
La «liberté d’expression» étant un instrument à géométrie variable, il importera donc de poursuivre la croisade de la réhabilitation à tout crin du blasphème. Ainsi, nos habiles prescripteurs culturels pourront monopoliser les fonds des «cochons de payeurs» pour que d’immenses poupées gonflables à l’effigie de la Vierge Marie, en petite tenue affriolante, soient impérativement amarrées sur le devant des cathédrales de France ou d’ailleurs. Avouez qu’une telle opération de «rééducation des consciences» permettra aux pouvoirs publics, à coup sûr, d’imposer un «vivre ensemble» susceptible de combattre la «haine» efficacement.
Puisque, à défaut de nous voir imposer une thérapie gratuite, nous sommes contraints d’ânonner qu’ «il va de soi que la réhabilitation du blasphème à tout prix constitue le prix à payer pour lutter contre la haine». Certains doivent bien se marrer dans leur fausse barbe au moment de conclure la lecture de ce billet. De ce biais.
Patrice-Hans Perrier
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