De la Libye à la maniaco-dépression des marchés

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Aujourd’hui, les appréciations “du jour” (de la situation du monde au jour le jour) sont plutôt pour vous laisser entendre que le monde ne va pas si mal, après tout. Les marchés sont de cette humeur-là, parce que l’ivresse de l’étrange “victoire” de Tripoli (où l’on continue à se battre avec la plus grande ardeur, bien entendu) s’est traduite, pour eux, par la rassurante symphonie des chiffres prévisionnels. Il s’agit du pétrole, bien entendu.

«World markets heaved a collective sigh of relief yesterday, with oil prices falling as traders factored in the prospect of a resumption of exports from conflict-hit Libya.», écrit The Independent du 23 août 2011. La production libyenne était de 1,6 million de barils/jour avant le “printemps arabe”, jusqu’en décembre 2010, de 1,3 million de barils/jour avant que les désordres ne se développent en cette pseudo-guerre civile au début mars, et elle est tombée à 100.000 barils/jour. Il est acquis, au mieux de l'évolution selon les préférences du bloc BAO, qu’on est bien loin du jour où l’on pourra espérer retrouver le niveau de 2010 (6 mois pour certains, jusqu’à 18 mois pour d’autres) ; l’humeur précède la réalité supposée, et de loin, même si cette prévision ne se concrétise pas. (La production libyenne de pétrole est contrôlée par l’Agoco, ou Arabian Gulf Oil Company qui est aux mains des rebelles. Elle transitait pour l’essentiel par des sociétés occidentales, qui s’apprêtent à revenir sur place selon l’évolution de la situation.)

«Although it is likely to be months before exports recover to levels seen before the conflict, the prospect was enough to send Brent crude down by as much as $3.46, or more than 3 per cent to $105.15 per barrel, in early trade. Prices recovered to around $107, down around 1.4 per cent, in late afternoon trading. As oil prices fell, stock markets bounced back from the lows struck during last week's turmoil. The falls were triggered by fears over global growth and, while concerns remain, lower oil prices would offer relief to economies struggling with inflation.»

L’affaire libyenne s’inscrit, de ce point de vue de l’humeur des marchés, dans une évolution paradoxale de “continuité chaotique” qui devient la marque de la situation courante, lorsqu’on considère cette situation au gré des crises sectorielles. Il suffit simplement d’observer qu’il y a cinq jours, l’appréciation était celle d’une crise financière majeure en cours de développement ; cela, suivant en un complet retournement une semaine d’humeur badine et somme toute optimiste, après un autre retournement suivant un premier “effondrement” au début du mois, avec l’accord sur la dette du gouvernement US et la dégradation de la cotation US par Standard & Poor’s (voir le 4 août 2011)…

• Tout cela fait penser aux analystes divers que “Wall Street est devenu fou”, phrase symbolique pour illustrer le sort étrange des “marchés” et de leur comportement maniaco-dépressif, ou bipolaire pour dire d’une façon plus neutre. Une analyse de Reuters du 19 août 2011 parle effectivement du cas («The madness of Wall Street»), en observant ce que l’on mentionnait déjà à propos des “plaies psychologiques” : «“Americans are scarred by the devastating market crash of 2008,” said Tom Roseen, senior research analyst at Lipper. “The gut wrenching losses of this period are still fresh in everyone's mind.” The tumultuous trading of August will only reinforce those painful memories…» L’article rapporte les constats divers sur cette étrange évolution, effectivement de type maniaco-dépressif, alimentée par le système de la communication aidé par le système du technologisme (la rapidité de communication des informations et les technologies disponibles pour les activités du marché), – résumant ainsi parfaitement un fonctionnement-Système.

«The best thing to be said of the recent stomach-churning turmoil on Wall Street is that it's taking place in August, a time of year when many people are lounging at the beach or camping in the woods and not paying attention to stocks.

»But for everyone else not on a ‘stockation,’ watching the markets rise and fall like giant ocean swells has been an unnerving experience that some finance professionals worry could reshape investor behavior for months and years to come. “Everyone felt this was idiotic,” says Susan Kaplan, president of Kaplan Financial Services, referring to last week's volatility. “Most clients didn't want to deal with the markets anymore and went back to their summer vacations”… […]

»“The market we are operating in is markedly different from five years ago,” says Andrew Lo, a professor of finance at the MIT Sloan School of Management, who frequently writes on hedge fund trading strategies and markets. “We are seeing extraordinary emotional reactions from central banks, politicians, regulators and investors. That kind of reaction is not conducive for building long-term wealth. We have an environment that is highly unstable.”

»One might say Wall Street is a bipolar market that veers from despair to euphoria with each passing news headline…»

• Une autre analyse de Reuters, de ce 22 août 2011, se penche sur le sort des malheureux experts économistes chargés de nous prévoir l’avenir, soumis à la nécessité de modifier leurs projections, leurs prévisions, leurs divinations, etc., jour après jour (leur façon de voir “la situation du monde au jour le jour”). Le ton de l’analyse est particulièrement sarcastique et désespérant pour ceux qui attendent une certaine stabilité des choses de l’“art de la prévision”.

«Nobel Laureate Paul Samuelson is famous for saying the stock market predicted nine of the last five recessions. This joke by the first American to win the Nobel Memorial Prize in Economic Sciences is not lost on economists as they repeatedly downgrade U.S. growth forecasts in response to the exceptional turmoil in financial markets. In a space of two weeks, Goldman Sachs and JPMorgan have twice cut their GDP projections…»

…Le reste de l’analyse dont nous avons donné ci-dessus le début est extrêmement pessimiste. Cela permet en effet d’établir la frontière entre cet ensemble des hauts et des bas psychologiques (la maniaco-dépression), des “plaies psychologiques”, des euphories spasmodiques type-Libye, d’une part, – et la vérité de la situation du monde, d’autre part.

L’interférence de l’épisode libyen ne signifie nullement un changement de cette vérité du monde, mais bien un signe de plus de l’intégration des crises, – notamment, comme nous l’observions, selon la méthodologie “GCCC plutôt que GFC2”. De même, l’affection bipolaire qui affecte les marchés, si elle a des explications spécifiques, dépend également, et essentiellement de notre point de vue, de cette intégration dans notre grande crise centrale (GCCC, ou “Grande Crise de la Contre-Civilisation”) ; cette intégration multiplie l’incertitude et la fragilité de comportement de ceux que les économistes nomment “les opérateurs“, et, aussi bien, les traders, les investisseurs, etc., parce que les “plaies psychologiques” ne connaissent ni les frontières ni les classes privilégiées et affectent par conséquent tout ce petit monde.

Toutes ces crises (le marché et les bourses, la Libye, etc.) ne contiennent plus aucune indication en elles-mêmes, étant elles-mêmes désormais soumises à la pression du courant intégrateur de la grande crise centrale, et n'ayant de signification réelle qu'à l'aune de cette crise centrale. Elles doivent donc être appréciées à la lumière de ce facteur intégrateur central, qui est la dynamique d’effondrement du Système. Cela vaut aussi bien pour le déroulement de la crise libyenne, qui implique un caractère déstabilisant majeur potentiel avec la possible relance de la dynamique du “printemps arabe”, que pour la pathologie psychologique des marchés (le caractère bipolaire), qui interdit désormais toute prévision, en même temps que toute manipulation utilisable des marchés, par exemple pour faire apparaître un simulacre de rebond économique. Cette dissolution de la substance de la crise financière dans la crise générale doit susciter une mise en lumière de la vérité du monde au niveau de la situation économique et sociale catastrophique, notamment aux USA.


Mise en ligne le 23 août 2011 à 09H48