De la postmoderne gloire d’être Français

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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 1988

De la postmoderne gloire d’être Français

12 octobre 2016 – En fait, ils ne s’y attendaient pas, assez rassérénés, pas méchants pour deux sous et nullement machiavéliques, et sans nulle conscience de faillir, – et je dis cela fort sérieusement, car c’est bien ainsi que je “les” vois... “Ils” et “les”, c’est Ayrault & Hollande, comme on disait “Bouvard & Pécuchet”, ou “Abbott & Castello” (ditto “les deux nigauds” made in USA), et nous parlons bien entendu de l’annulation par Moscou du voyage de Poutine à Paris. Je crois bien, car je les connais d’instinct ces braves gens, que la chose (la décision de Poutine) a été vécue par certains parmi ces bonnes pâtes notariales qui forment notre direction comme une sorte d’agression du type que les Su-25 commettent chaque “contre l’humanité”, à Alep, et aussi comme un acte pas du tout gentil qui leur fait un peu peur en leur laissant une amertume passagère (avant de reprendre le bâton de pèlerin, car la vertu ne se décourage jamais).

...Cette fois, me dit mon petit doigt que je consulte dans les temps de crise comme s’il était une source fiable, me dit (je cite entre guillemets anglais mais pas en italique ni entre guillemets français pour marquer qu’il s’agit de la substance du propos, et nullement d'une prétention à un verbatim) que “la nouvelle de l’annulation a provoqué un ouragan au Quai d’Orsay, parmi les structures les plus solides de la bureaucratie du Quai, ceux qui forment le noyau de notre structure diplomatique. Certains sont si catastrophés qu’ils parlent de démission. Depuis le premier jour, cette affaire syrienne, – puisque l’annulation du voyage a tout à voir avec elle, – empoisonne le Quai, mis à part les “jeunes loups” neocons à la-Gluksman et à-la-BHL bien sûr, qui ne restent pas longtemps au Quai parce qu’on paye mieux dans les think tanks subventionnés (par la Ford Foundation ou par Carnegie). Dès le rappel de l’ambassadeur français à Damas, puis la rupture des relations diplomatiques de 2012 qui l’avait rendu fou de rage devant la stupidité de la décision, de l’ignorance de ceux qui l’avaient prise, etc., cette affaire a entretenu un malaise épouvantable au Quai. Aujourd’hui, on est au bout du chemin de croix avec ce camouflet que Poutine inflige à une diplomatie française en complète dissolution...”

Pourtant, j’en suis profondément persuadé, il n’y a pas, dans leurs actes, aux “deux nigauds”, tant de vilenie et d’infamie qu’on voudrait généreusement leur prêter, que d’incompétence et de naïveté par ignorance des choses, des complexités du vaste monde, des règles de la vie entre les nations ou ce qu’il en reste. Hollande “hésitant” quant à la venue de Poutine, puis la réduisant au seul entretien prévu en supprimant l’aspect culturel et symbolique, pour marquer sa désapprobation selon la ligne de communication-Système qui lui avait été signalée, n’imaginait pas que les Russes l’enverraient se faire voir avec la maestria et la précision d’un F-15 saoudien tapant sur un enterrement au Yemen pour approcher les 200 morts d’un coup. Non, il n’imaginait pas cela, et il doit être, je pense, surpris, peiné, désolé pour la bonne marche des choses et les excellentes relations franco-russes qui se fondent sur une glorieuse tradition diplomatique avec notamment le Pont Alexandre-III et la rencontre de Gaulle-Staline de décembre 1944.

(A noter que le Royaume-Uni, autre contrée-BAO loyale au Système, vous a une autre allure. Sans aucun doute pour protester contre les bombardements au Yémen qui ont fait ces près de 200 morts dans un enterrement [bis repetitat pour clouer au pilori la barbarie russe], le Secrétaire au Foreign Office Boris Johnson, dont l’indépendance de pensée se lit à sa coiffure, a proclamé son intention en plein débat des Communes, et invité les dignes parlementaires à faire de même, à aller se manifester, manifestation en marche, devant l’ambassade de Russie et ses “crimes contre l’humanité”, à Alep, au Yémen. Il y avait la diagonale du fou, il y a le mouvement perpétuel du clown, et puis il y a la moralisation métaphysique du Système puisqu’après tout les commissionnaires de Sa Majesté n’ont vendu que 3 $milliards d’armement à l’Arabie depuis le début de la lutte par un carpet bombing exempt de toute mauvaise intention pour la libération du Yémen.)

Un monsieur qui n’a pas bonne presse dans les comités de vigilance de la bonne réputation démocratique comme seuls Paris et ses salons savent nous en former, de ces comités de vigilance, donc ce monsieur et professeur Bruno Drewski, dont on ne sait pas s’il se veut communiste ou s’il est de droite (extrême, of course), déclare à RT-français (feuille de chou russe-et-propagandiste, of course), ceci précisément :

« Je pense que François Hollande veut jouer un rôle d’intermédiaire entre l’Ouest et la Russie, mais en même temps il ne veut pas rompre avec les Etats-Unis et Israël, qui sont directement impliqués dans le conflit syrien. Et il n’ose pas prendre de décisions qui fâcheraient les Etats-Unis, qui n’ont absolument pas aujourd’hui comme objectif le retour de la paix en Syrie, mais qui ont toujours comme objectif la destruction de l’Etat syrien et son morcellement en plusieurs étapes. Dans ce contexte-là, si la France reste l’allié inconditionnel des Etats-Unis, elle ne peut prendre aucune initiative. Cette fois-ci, le président Hollande n’a pas compris qu’il ne se ferait pas prier par Poutine. Poutine est tout simplement un chef d’Etat indépendant, qui n’a pas besoin de prier les chefs d’Etats occidentaux pour être accueilli, il n’a pas besoin de venir en France. »

Ce qu’il faut surtout conserver de ces quelques phrases, – outre le constat rassurant de la saine politique d’alignement sur les USA en attendant le président-Trump, – c’est bien ce fait absolument indéniable que le président-poire se veut, se voit et s’interprète comme jouant « un rôle d’intermédiaire entre l’Ouest et la Russie ». C’est du gaullisme pur, cette position-clef d’indépendance pour arranger les grandes affaires du monde en apaisant les antagonismes et en mettant les “grands” empêtrés dans leur puissance au diapason de la belle mesure française, et encore une fois je suis convaincu qu’on y croit parmi ces excellences notariales et qu’on se croit habiles et sophistiqués. C’est la raison pour laquelle on ne comprend pas la décision un peu brutale du président russe : n’a-t-il donc pas compris où se trouvaient à la fois son intérêt et les intérêts de la paix dans l’équité et la justice ?

Il y a vraiment une sorte d’innocence dans leur comportement, et ainsi cela explique-t-il que des partenaires peu scrupuleux profitent de ces bonnes intentions. Parvenir, en moins de temps qu’il ne faut à un Hitler pour faire une blitkrieg en Pologne en s’assurant la bienveillante neutralité russe, à se fâcher avec la Pologne qui voudrait nous entraîner vers une absurde attitude antirusse qui n’est pas du style français qui comprend tout le monde, puis aussitôt après à se fâcher avec la Russie encore plus vivement que la Pologne elle-même, c’est un signe que la France a encore une vocation métahistorique pour réaliser des événements infrahistoriques sans précédents (je veux dire : mieux que Hitler, et par conséquent mieux que l’Ukraine si chère à nos cœurs, qui célèbre les amis de Hitler) (*). Ce monsieur Mariani, du parti Les Républicains, montre un bien mauvais esprit lorsqu’il déclame cette sorte d’infamie :

« L’histoire avec la visite en Pologne annulée c’est l’illustration de l’impasse dans laquelle se trouve la politique française. On a refusé de vendre les Mistrals [à la Russie] en grande partie pour faire plaisir aux Polonais, on nous a expliqué que la solidarité européenne nécessitait ce choix. Le remerciement une fois de plus, c’est que les Polonais choisissent la solidarité américaine. La France a toujours hésité entre la Pologne et la Russie. Je crois que François Hollande vient de réaliser un exploit : c’est pour la première fois qu’il est très mal avec les deux. Au moins il a réussi quelque chose pendant son mandat ! »

Après Si Versailles... et Si Paris..., il nous faudrait un Si Hollande m’était conté, pour faire une bonne mesure du destin de la Grande Nation et présenter avec un enthousiasme à la fois débridé et indécis le chemin parcouru. Sacha saurait faire, lui qui était né à Saint-Petersbourg lors d’une saison de la troupe de Lucien Guitry dans la grande ville de Pierre le Grand, et dont le parrain était, en toute simplicité comme c’est souvent le cas avec le personnage (Sacha), le tsar de Toutes les Russies ; il suffirait de le ressusciter par un décret postmoderne qui change quotidiennement le monde, de cette sorte dont le gouvernement Vals a le secret.

 

 

(*) Mauvais esprit, je fais allusion à la décision de la Rada, qui a décidé il y a quelques temps de rebaptiser une grande artère de Kiev (“Avenue de Moscou”, What Else ?) du nom d’Avenue Stepan Bandera. Anne Hidalgo, elle, n’a pas encore proposé de rebaptiser démocratiquement une moitié (sens de l’équité et de la demi-mesure propre à la diplomatie française) de la Place-de-la-bataille-de-Stalingrad en Demi-Place-Jacques-Doriot.