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22547 mars 2018 – Pour ne pas faire mentir mes compagnons d’infortune, je m’exécute ; je veux dire, à propos de la présentation conjoint de textes de Raimondo et de Kunstler en réaction au discours de Poutine su 1er mars, où il est écrit ceci :
« Nous ne cacherons certainement pas que la réaction de Kunstler a notre préférence, tandis que le cas de Raimondo, que nous suivions depuis près de vingt ans, doit retenir toute notre attention du point de vue de la “fatigue de la psychologie”, – et c’est dire que, peut-être, sans doute, son cas précis intéressera-t-il PhG dans une futur page de son ‘Journal-dde.crisis’. »
... Je parle donc du texte de Justin Raimondo, nullement de celui de Kunstler dont il est vrai que je n’aurais rien à redire, que ses réactions avec son style propre, se retrouveraient dans les miennes, avec mon style propre. Au contraire, ce qui est remarquable chez Raimondo, et qui m’est complètement étranger, que je trouve inhabituel chez lui, c’est une sorte de dichotomie, ou bien une schizophrénie de la pensée si vous voulez. Chacune des deux démarches chez Raimondo a une logique interne mais ces logiques sont également un piège qui se referme lorsqu’on atteint la nécessité du jugement général, qui est le seul qui importe et qui, lui, n’a que faire de la Logique puisque sa seule référence est la Vérité, – en ce cas, la “vérité-de-situation”.
(C’est dire si je suis loin de tenir la Logique comme détentrice de la Vérité, mais simplement un outil qu’il faut manier avec les précautions d’usage, et qui est excellent si on maie avec les précautions d’usage. Essentiellement, il lui faut l’empire de l’intuition haute pour bien se tenir et devenir un magnifique outil.)
Il est entendu que le texte de Raimondo montre sans ambiguïté qu’il n’ignore rien des manigances qui sont conduites contre les Russes et qui, en quelque sorte, les ont non pas poussés mais quasiment obligés à faire étalage de leur puissance d’une façon qui pourrait être jugée menaçante si l’on ignore cette situation. D’autre part, certains passages du même texte de Raimondo sont extrêmement soupçonneux des Russes, voire agressifs sinon méprisants, comme si, en même temps qu’il reconnaissait qu’ils ne pouvaient faire autrement que ce qu’ils ont fait il les condamnait pour avoir fait ce qu’ils ont fait... Je cite les exemples principaux dans l’ordre chronologique du récit.
• « ... [A]lors pourquoi le leader russe fait-il un discours menaçant de détruire les Etats-Unis avec des armes nucléaires “invincibles” et illustre sa menace d’un ICBM russe volant autour du globe et frappant la Floride ? Bien que les Russes le nient, il me semble que ce missile se dirige tout droit vers Mar-a-Lago. » Quel que soit l’usage de ce détail, il constitue une dramatisation excessive et puérile qui s’accorde à l’interprétation générale (“discours menaçant“) : toutes les modélisations des frappes stratégiques des deux puissance stratégiques nucléaires impliquent nécessairement des cibles dans la puissance adverse.
• « Le discours de Poutine... [...] illustrant le fait qu’il n’y a quasiment aucun aspect de la vie quotidienne qui n’est pas influencé par l'Etat russe. C'est une illustration de ce que nous avons l'habitude d'appeler le despotisme oriental... [...] le déversement sans fin de ce bavardage... » On constate dans ce passage le jugement relevant du préjugé assimilant le régime russe actuel au “despotisme oriental”, en même temps que l’aversion totale du libertarien pour tout ce qui est intervention nécessairement publique de l’État. N’est-il pas disons un peu hasardeux d’observer de façon si méprisante ce “despotisme oriental” et ses “bavardages” sans fin devant “ses sujets”, – lorsqu’on sait ce qu’on sait, – et ô combien Raimondo le sait, – de nos démocraties absolument pourries, corrompues, démagogues, menteuses et tueuses à la fois, fonctionnant comme le crime organisé et ainsi de suite ?
• Le discours de Poutine, « ...est une menace claire de destruction des États-Unis – et, incidemment, toute la vie sur terre – avec des armes nucléaires. Il n’y a aucun moyen de minimiser la gravité de la menace ou d’ignorer les intentions de Poutine. Certes, il prétend que c'est juste pour la défense de la Russie, que l’agression n’est pas du tout dans ses intentions, – “tout au contraire” – mais il sait parfaitement comment tout cela sera accueilli aux Etats-Unis. » Là encore, cette “dramatisation excessive et puérile” : si un chef d’État parle de sa propre puissance nucléaire dans un but dissuasif, comme c’est évidemment le cas, il est obligé d’évoquer l’hypothèse de l’usage cette puissance nucléaire. Evoquer à cet égard “les intentions de Poutine” (« no way to downplay the severity of the threat, or to miss Putin’s intention »), c’est-à-dire l’intention présentée comme affirmée d’une destruction des USA sinon de la planète, relève d’une complète et attristante absurdité d’interprétation.
• Citons à nouveau les quelques mots « ... mais il sait parfaitement comment tout cela sera accueilli aux Etats-Unis », et observons qu’ils sont suivis quatre lignes plus loin de l’affirmation : « Si ce discours est une indication de la façon dont les Russes connaissent leurs tourmenteurs américains, alors ce n’est rien de moins qu'une confession d’ignorance pure... » Cette contradiction est remarquable dans ce qu’elle nous montre le mélange de lucidité antiSystème et de préjugés idéologiques sinon purement psychologiques jusqu’à l’affectivisme.
• « Les Américains n’aiment pas être menacés : ils réagissent, non pas avec couardise et frayeur, mais avec la détermination de donner une bonne leçon à l’apprenti tyran potentiel. » Cette affirmation sur les réactions de l’Américain moyen au discours relève de ces mêmes préjugés vus plus haut, et aussi du jugement de la même sorte sur Poutine, en rappelant les discours des interventionnistes antinazis rooseveltiens de 1940 alors que, paradoxalement, Raimondo est un libertarien isolationniste qui s’est toujours opposé avec une extrême fermeté à cette tendance.
Ce qui est effectivement remarquable, c’est le caractère puéril et dérisoire de toutes ces remarques lorsqu’on connaît lucidement le contexte qui a conduit Poutine à intervenir comme il l’a fait, face à ses “tourmenteurs” de “D.C.-la-folle”, – ce qui est le cas de Raimondo. Lorsqu’il fait du discours « une grande victoire pour le War Party », Raimondo déraisonne complètement par rapport au contexte américaniste de Washington qu’il connaît pourtant si bien, et d’un œil acerbe, et d’un esprit critique sans concessions. Il sait bien, – il devrait bien savoir que le discours de Poutine ne va pas déclencher une guerre et que l’hostilité antirussiste d’avant le discours ne peut être pire que ce qu’elle est après, puisqu’elle est du domaine du simulacre et de l’hystérie de la psychologie.
(Encore, je passe sous silence les espoirs de Raimondo dans la volonté de Trump de s’entendre avec Poutine qui serait ainsi compromise par le discours. On pouvait croire à la force de l’argument en 2016, aujourd’hui il est complètement résiduel lorsqu’on voit le parcours et la position de Trump.)
On a d’ailleurs pu le constater déjà, les réactions au discours de Poutine, y compris et surtout du War Party, sont plutôt de dérision, de déni devant la puissance des armes décrites par Poutine et l’état d’infériorité où ces armes placent des USA, car la vanité-hybris de l’américanisme est à cet égard une complète prison du jugement. Les crétins prisonniers de la raison-subvertie ont aussitôt aiguisé leurs lieux communs sur l’incompétence immémoriale et retardataire de la Russie en général et la tare propagandiste vicieuse de l’URSS-KGB reconvertie en Russie poutiniste-kégébiste. D’une façon générale, je dirais sans hésiter qu’en aucun cas et même au contraire, ce discours n’a constitué absolument en rien un ciment unificateur suscitant chez les “Américain” une « détermination [à] donner une bonne leçon à l’apprenti tyran potentiel ». C’est tout sauf « une grande victoire pour le War Party », comme le craint Raimondo, parce que le War Party continue à vivre dans ses chimères bellicistes qui incluent depuis longtemps la destruction de la Russie (« L’Ouest ne veut qu’une seule chose de la Russie : que la Russie cesse d’exister » [Chebarchine]). Au pire qui serait un mieux, cela peut ficher la trouille à quelques généraux et segments de la bureaucratie du Pentagone, car contrairement à Raimondo dans cette occurrence, je pense que les USA sont effectivement gouvernés « par la couardise et la frayeur », outre les excès hystériques de leur psychologie malade qui les poussent à menacer les plus forts de destruction en bombardant et en massacrant les plus faibles.
Mais je ne veux pas faire ici une critique ad hominem de Raimondo, que je connais bien (intellectuellement parlant) pour l’avoir suivi depuis vingt ans dans ses chroniques, et que j’estime par conséquent. Tout procès à cet égard est inutile et déplacé. Ce que je tente de développer, c’est le cas d’un exemple concret de ce que je désignais, dans une récente page de ce Journal-dde.crisis, comme notre “fatigue psychologique”.
Raimondo est un homme d’idées, au travers de l’idéologie antistatiste qu’il chérit, en tant que bon libertarien. Plus encore, il est sensible à l’idéologie américaniste dans ce qu’il juge être la pureté de ses origines, celle des Founding Fathers et de leurs principes qu’il estime trahis par l’évolution qui s’est faite depuis. Là-dessus, on comprend et l’on sait fort bien que j’ai bien des réserves mais cela importe peu dès lors qu’on a compris qu’il y a un Système à abattre et que la ligne antiSystème domine tout. La “fatigue psychologique” dont je parle, c’est lorsque cette détermination trébuche, et que les idées reprennent le dessus, alors que la “psychologie fatiguée” (celle qui ne tient pas assez ferme sa ligne antiSystème) n’a pas la force de déterminer les effets pervers où conduisent ces idées si on se laisse emprisonner par elles. Le triste paradoxe dans ce cas, pour Raimondo, c’est qu’il finit par céder à une rhétorique antirussiste de Guerre froide, celle qu’il a toujours dénoncée en tant que libertarien isolationniste.
Comment pourrais-je songer une seconde à envisager un jugement sévère ou une condamnation d’un homme pour qui j’ai l’estime intellectuelle que j’ai dite, et qui plus est un homme héroïque, qui se bat contre la maladie et qui continue à se battre malgré la maladie. Je veux simplement mettre en évidence les dangers auxquels nous, – je veux dire “nous autres, antiSystème”, avec un sens de la solidarité, – sommes constamment confrontés du fait de cette “fatigue psychologique” qui, soudain, trouble la perception et induit des jugements faussaires indiquant que vous subissez l’empire du Système. On peut très bien cultiver des idées si on les maîtrise, si on les conduit, si on les garde complètement sous le contrôle de l’esprit, quitte à les écarter et à les ignorer, temporairement ou pas, lorsque la circonstance antiSystème l’exige. Notre époque est de cette sorte : une seule bataille sans désemparer, implacable, par tous les moyens, contre un ennemi parfaitement identifié, et donc bataille finale (notre-Armageddon).
Qu’il le veuille ou non, Raimondo-l’antiSystème n’a pas de meilleur allié aujourd’hui, pour le temps présent, que le Russe en général et Poutine en particulier, discours compris. Par contraste, je l’avoue, je trouve la gouaille et le sarcasme enjoué de Kunstler particulièrement roboratif. Lui, dans cette occasion-là, il a une psychologie forte, et il tient ses idées à bonne distance, – à n’utiliser que sur ordonnance intellectuelle.
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