De la Syrie à Ormuz-II, – ou Syrie + Ormuz-II ?

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De la Syrie à Ormuz-II, – ou Syrie + Ormuz-II ?

Dans un mouvement d’une grâce qui n’est pas nouvelle, la machine à narrative du bloc BAO passe, dans tous les cas temporairement, de la Syrie au Golfe de la Mer d’Oman et au détroit d’Ormuz. Nous allons pouvoir recycler nos exclamations admiratives saluant la puissance du bloc BAO, de la Syrie à l’Iran-Ormuz, après avoir effectué le mouvement inverse en janvier-février 2012, de l’Iran-Ormuz à la Syrie. Comme la narrative, les exclamations admiratives son recyclables… Ou bien, découvrira-t-on que tout cela peut s’ajouter, s’amalgamer, en un phénomène nouveau qu’on nommerait “coordination de crises” puis, de façon beaucoup plus riche, “intégration de crises”?

Pour Ormuz, l’occasion est inratables : l’entrée en vigueur des sanctions de l’UE contre l’Iran sur les livraisons de pétrole, les réactions iraniennes, les scénarios de blocage du détroit et ainsi de suite. Là aussi, on recycle.

• Sur la situation générale caractérisée par les évolutions navales de la puissante U.S. Navy, on consultera deux textes qui reprennent divers liens utiles, celui d’Infowars.com du 3 juillet 2012 et l’excellente synthèse de Antiwar.com du 4 juillet 2012. Une documentation-Système immanquable est l’article de rigueur de la Pravda newyorkaise (en référence au temps où la Pravda était sérieuse, – pas l’actuelle, qui se permet de publier des textes non conformes), le pompeux New York Times et ses employés-Système (dont l’inusable David E. Sanger), ce 3 juillet 2012. La citation à retenir pourrait être considérée comme extraite d’une réplique fameuse de Hugh Grant, dans la fameuse comédie de 1999, Notting Hill, où Grant, accueillant et entreprenant dans sa librairie l’éblouissante Julia Roberts (alias Anna Scott, star hollywoodienne), chasse un client importun qui entre pour demander un livre par un : “N’y pensez pas une seconde !” avant que l’autre n’ait dit un seul mot (“Don’t even think about it !”, – “abandonnez toute idée de trouver un livre dans cette librairie et ressortez immédiatement pour nous laisser en paix, elle et moi”). La citation est donc :

«“The message to Iran is, ‘Don’t even think about it,’ ” one senior Defense Department official said. “Don’t even think about closing the strait. We’ll clear the mines. Don’t even think about sending your fast boats out to harass our vessels or commercial shipping. We’ll put them on the bottom of the gulf.” Like others interviewed, the official spoke on the condition of anonymity because of the delicacy of the diplomatic and military situation…»

…On va jusqu’à nous préciser, – rappel de narrative, – que même les F-22 sont présents pour substantiver cette incroyable puissance, – selon l’humeur des pilotes et leur alimentation en oxygène, certes (voir le 2 mai 2012.) Ce détail est important pour que l’on sache bien que tout cela est sérieux.

• Que font les Iraniens pendant ce temps-là ? Eh bien, ils jouent aux Iraniens, c’est-à-dire qu’ils menacent, qu’ils tempêtent, qu’ils rusent, et qu’ils trouvent éventuellement (on verra) des moyens d’effectivement menacer d’entraver le passage dans le détroit. Les députés iraniens préparent des lois légalisant certaines actions, comme le rapporte Russia Today ce 3 juillet 2012. Dans le même texte, RT interroge Gareth Porter sur les possibilités d’action impliquées par ces lois, ou d’autres éventuelles initiatives.

«“There is a bill prepared in the National Security and Foreign Policy committee of Parliament that stresses the blocking of oil tanker traffic carrying oil to countries that have sanctioned Iran,” Iranian MP Ibrahim Agha-Mohammadi told reporters. “This bill has been developed as an answer to the European Union's oil sanctions against the Islamic Republic of Iran.” […]

»Investigative journalist and historian Gareth Porter believes the bill’s introduction is a step in a series of actions that Iran can take to hamper oil shipments through the Strait of Hormuz, causing oil prices to skyrocket. “What we can look forward to in the coming weeks and months is that the Iranians will make a series of moves, beginning with this bill in the Majlis, threating to pass the bill; if that doesn’t have an effect, certainly going ahead with the passage,” Porter told RT. “Then first in a series of limited moves towards threatening to actually put mines in the strait to prevent the shipping of oil from going through. And then, I think, Iranians have the option of a very limited use of mines, with very few mines being dropped in this strait to try to get the price of oil to shoot up, for one thing, and to get the United States to react.”»

• Mais en vérité, vous dira-t-on avec une certaine justesse, ce que veulent les Iraniens d’abord, c’est faire monter le prix du pétrole ; et ce que craignent les USA (au nom du bloc BAO), c’est que le prix du pétrole monte. Les Iraniens savent parfaitement que le prix du pétrole est d’abord un grave sujet de préoccupation pour le président Obama, dans la mesure où cet événement (une augmentation du prix du pétrole) a de bonnes chances de déclencher, directement ou indirectement, par simple mécanisme ou (surtout) par l’action habituelle des pétroliers qui anticipent la hausse ou forcent à la hausse sur le marché domestique US pour leur avantage, une hausse du prix de l’essence. Dans la perspective des élections présidentielles, cela serait une grave “menace” pour Obama. L’on comprend que nous sommes dans la très haute stratégie et dans la vision noble de la politique. Dans ce contexte général, il apparaît que les Iraniens choisiraient une tactique plutôt de type asymétrique, ou G4G, en cherchant à susciter des actions sélectives, inattendues, évitant des évènements trop graves mais pourtant pourtant assez marquants pour susciter des réactions de durcissement des USA (menaces, croisière ostensible des forces navales US dans la zone menacée, etc.). Si les Iraniens sont habiles dans cette sorte de “guerre de piqures de moustique”, – et ils savent l’être, – ils peuvent effectivement susciter une augmentation du prix du pétrole, c’est-à-dire un événement qui, même temporaire, rendra très nerveux le pouvoir US en l’enfermant dans des choix difficiles. (Même une affirmation que les forces US sont déployées pour parer à toute menace fait monter la tension, avec répercussions probables sur le prix du pétrole, parce que de telles mesures semblent confirmer qu’il y a bien “menaces”.)

…Voilà les éléments initiaux du dossier, qu’on nommerait “Ormuz-II”, tel qu’il se présente pour l’instant. La question qui se pose pourrait concerner un domaine relativement nouveau, qu’on pourrait baptiser d’abord “coordination des crises”. En décembre 2011-janvier 2012, quand la séquence disons “Ormuz-I” de la crise iranienne se développa avec l’annonce de l’embargo du pétrole iranien et atteignit son apogée, provoquant une transformation de format et même de substance de cette même crise iranienne, la Syrie n’étant encore qu’une “sous-crise” en cours de transformation. (On peut dire que c’est le 4 février 2012 que la Syrie a atteint son stade de crise majeure, avec le vote à l’ONU et les vetos russe et chinois bloquant toute possibilité d’intervention extérieure pour le cas. A partir de là, la crise syrienne est devenue complètement internationale et a pris la tête de l’’“agenda”.) La question est de savoir qui trouvera son intérêt, et comment, en manipulant une crise par rapport à l’autre. (Nous ne serions pas loin de penser que l’Iran, avec son habileté coutumière, pourrait être le premier acteur à trouver cet intérêt.)… Pour l’instant, la crise syrienne est dans une grande confusion, après la conférence de Genève, avec des bruits, – démentis par les Russes, – d’un asile proposé par la Russie à un Assad abandonnant le pouvoir, avec le spectacle d’une “opposition” anti-Assad poussant la pratique de la division interne et furieuse au rang d’un des beaux-arts, enfin avec la perspective d’une conférence des fameux “amis de la Syrie” à Paris dans ce désordre, – Russes et Chinois absents (le ministre Fabius vient de l’annoncer), “opposition” divisée comme on la voit…

L’intérêt de cette affaire de “coordination de crises” est que, si l’on passe de la Syrie à Ormuz-II, on découvre que les positions, les intérêts et les rapports des uns et des autres changent. Par exemple, la position de la Turquie, engagée pour l’instant (ou ré-engagée avec l’incident du F-4) à fond avec le bloc BAO dans la crise syrienne, se trouve dans une position différente dans la crise Ormuz-II qui est aussi la crise d’un embargo pétrolier de l’Iran que la Turquie est loin d’approuver ; dans ce dernier cas, les Turcs sont plus proches des Iraniens que du bloc BAO. Le constat général qu’on peut faire est que, d’une part, la crise Ormuz-II est désormais appelée à se développer puisqu’elle dépend de l’embargo désormais en vigueur et suscitant des réactions de l’Iran ; que, d’autre part, la crise syrienne va continuer avec tous les facteurs dynamiques en cours de développement. La logique des deux crises est donc qu’elles tendent à prendre un rythme similaire et parallèle d’activation, d’aggravation, de paroxysme, etc. Ce parallélisme est un fait inédit pour deux crises à la fois si proches, avec à peu près les mêmes acteurs, et pourtant deux crises si différentes dans nombre d'aspects. Le phénomène peut amener d’intéressants développements particulièrement imprévus et inattendus puisque désormais deux dynamiques différentes et complexes, et parfois antagonistes, sont amenées à se côtoyer et peut-être à s’entrechoquer. L’on passerait alors du phénomène très temporaire de “coordination de crises” à celui, beaucoup plus fructueux et intéressant, et peut-être explosif, d’“intégration de crises”.


Mis en ligne le 4 juillet 2012 à 12H41

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