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2220• L’atmosphère qui entoure la chute d’Assad et de Damas est finalement assez étrange. • Il y a dix ans, la nouvelle aurait provoqué un tonnerre d’enthousiasme, comme si la civilisation était sauvée ; aujourd’hui, on lui préfère la grande fiesta à Notre-Dame avec un Trump, maudit il y a un mois, encensé aujourd’hui • Est-ce une “défaite” ? Une “victoire” ? Une “humiliation” ? Nul ne sait, ou alors c’est quelque chose d’autre, une de ses crises sans fin mais vieillie et supplantée par d’autres beaucoup plus vigoureuses. • Avec un texte de Steve Brown.
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L’Iran mis à part, – qui est bien à part puisque membre des BRICS où Erdogan aura beaucoup de mal à se faire admettre, – la conséquence de la chute d’Assad est que le dernier pays de la région qui suivait le principe du pluralisme qui est une des valeurs centrale de l’Occident-convulsif, a disparu, remplacé par un pays conforme aux normes régionales. Dans son texte « Syria Is Now a Fully Failed State », Steve Brown nous indique que la normalité de ces régions est effectivement l’absence de pluralisme plutôt que tous les bavardages sur la démocratie, et l’on y mettra également Israël, qualifié en plus par Brown, sans vraiment forcer le jugement, comme un État-terroriste en pleine santé.
Son texte est un bilan de l’opération-éclair de la semaine dernière, développé sur un mode mineur et mélancolique. L’auteur ne doute pas une seconde du chemin que prendra la “Syrie nouvelle” malgré les éditoriaux larmoyants de nos intellectuels et les sourires nombreux des nouveaux maîtres du pays, y compris aux Russes à qui il est proposé de conserver leurs bases (ce qu’ils ne feront certainement pas). Il en découle qu’on peine à voir qui vraiment l’emporte et surtout à quoi servirait une “victoire” dans cette affaire et où se cache l’“humiliation” d’on ne sait qui exactement... Mais du désordre supplémentaire, par contre, il y en a pléthore.
Tout se passe, lisant le texte de Brown, comme si tout le monde avait participé à cette aventure, qui pour y gagner, qui pour s’y perdre, et que chacun ne tient rien de sûr. Certes, la nouvelle direction de Damas devait être un ‘proxy’ d’Erdogan, lui qui rêve à un nouvel empire ottoman après n’avoir espéré rien d’autre qu’une percée dans Alep de la part de ses HTS ; fort bien, ils ont fait mieux, mais qui peut l’assurer que toute cette bande surarmée de tous les côtés, sortie des côtes de Daesh ou de quelqu’autre al-Qaïda et qui n’en fait qu’à sa tête, lui obéira au doigt et à l’œil ? Et Israël ? Est-il plus à l’aise avec ses nouveaux voisins qu’il ne l’était avec Assad qu’il pouvait bombarder en toute tranquillité ? C’est drôlement à voir, d’ailleurs ils creusent déjà pour délimiter une zone de démarcation importante...
Le Pentagone assure qu’il a reçu des garanties : sa base et ses déploiements parfaitement illégaux en Syrie sont absolument sécurisés avec l’aval du new-Damas. Quelques heures après avoir déclaré sa certitude intangible, il lit un tweeterX d’un Trump qui fonce comme un bulldozer et ne cesse de s’affirmer alors qu’il est encore à six semaines de sa prestation de serment, – et en lettres capitales, on se répète :
« LES ÉTATS-UNIS NE DEVRAIENT RIEN AVOIR À VOIR AVEC ELLE [LA SYRIE]. CE N’EST PAS NOTRE COMBAT. LAISSONS-LE SE DÉROULER. NE VOUS IMPLIQUEZ PAS ! »
C’est comme si l’Amérique, qui développe comme “un chien fou et sans tête” cette politique de fabriquer des États-faillis (ou -voyous) comme l’on cherche la pierre philosophale se trouvait, cette fois, devant des interrogations vertigineuses. En 2023, Peter Robinson , de la Hoover Institution, recevait le professeur Stephen Kotkine et lui présentait la fameuse (pour nous) citation de Lincoln :
« Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant »,
qu’il terminait en précisant ceci : en 1999, 70% des Américains croyaient au patriotisme ; en 2023, ils sont 35%...
Alors, que faire de la Syrie et à quoi sert-elle ?
Mêmes questions pour la Russie. Les Russes ne placent rien, en principes politiques, au-dessus de la souveraineté et de l’indépendance, ces édits venus du traité de Westphalie ; ce traité dont Brown nous dit :
« Comme je l’ai déjà écrit à maintes reprises, c’est comme si le traité de Westphalie et le concept de souveraineté nationale westphalienne étaient morts depuis longtemps. C’est-à-dire morts pour tout État qui s’oppose à l’hégémonie, de sorte qu’il n’est plus considéré comme un État souverain au sens historique du terme. »
Cette idée est certainement dans l’esprit de nombre de dirigeants russes, et bien sûr de Poutine. Mais l’on parle surtout de ceux qui ont été mécontents de l’intervention russe en Syrie en 2015, qui l’ont désapprouvée non par manque de moyens et de capacités mais parce que cela sortait des habitudes immémoriales de la Russie, parce que c’était tremper le doigt dans un désordre d’où sortent en général les États-faillis post-Westphalien. Le résultat de cette soi-disant “défaite” russe pourrait alors nous conduire sur de bien étranges envolées, comme le conclut Brown, citant à nouveau (après hier) notre cher ‘Orechnik’ que nous définissons comme un moyen hyperrapide et super-sécurisé de « projection de puissance sans risque de nucléaire ».
« La conclusion est que la création de cet État syrien en faillite – tout comme en Afghanistan, en Irak et en Libye – renforce l’idéologie de Washington selon laquelle la Russie peut aussi être balkanisée, ce qui pourrait avoir pour conséquence involontaire (?) de conduire à des attaques ‘Oreshnik’ contre les intérêts occidentaux.
» Jusqu’à présent, la Russie a fait preuve de retenue et de prudence dans sa façon d’aborder le fait que l’Occident est un chien enragé déchaîné qui a perdu la tête. Mais le chien enragé américain est encouragé à mordre encore plus fort, chaque fois qu’il perçoit qu’un adversaire réel ou imaginaire de son empire du dollar a été converti en État en faillite.
» Même ainsi, l’anarchie en Syrie pourrait entraîner un réalignement à long terme entre l’Axe de la Résistance face à l’Empire américain, d’une manière que les esprits retors connus sous le nom de gouvernement fédéral américain ne peuvent imaginer. »
Ne serait-il pas étrange, ou bien inattendu, ou bien mystérieux et énigmatique, que la chute de Assad se termine, de fil en aiguille, par quelques tirs d’ ‘Orechnik’, – dont le premier et seul tir du 23 novembre a fait immédiatement cesser les tirs de missiles américano-zélenkistes “à longue portée” en terre de la Sainte Russie ?
Bref et pour tout dire, on se demande comment on peut encore faire un grand enjeu stratégique de cette affaire qui n’existe plus vraiment depuis 2019... Ah si, tout de même, elle servira un évènement bien précis et bien de toutes les époques de notre temps : une vague de migrants en Europe (et aux USA, cela se fait désormais) à côté de laquelle celle de 2015 ressemblera à une colonie de vacances.
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L’esprit impérial de Washington déclare qu’il est plus rentable et logique de créer un État en faillite avec des ressources exploitables à distance, que de tenter (par décret) de gouverner cet État localement/directement. L’intérêt d’exploiter un « État en faillite » peut être illustré par le rôle des États-Unis en Afghanistan, au Vietnam, en Irak et en Libye, ou d’ailleurs par le soutien de l’Ukraine en tant qu’État en faillite par procuration, en guerre contre la Russie.
Maintenant, la Syrie rejoint la liste.
Un peu comme lors de l’invasion et de l’occupation de l’Irak par les États-Unis en 2003, il semble qu’en 2011, l’Occident d’Hillary Clinton n’ait guère pris en considération les conséquences de la création d’un État en faillite en Syrie. L’objectif principal des États-Unis était d’aider Israël dans sa guerre contre la Syrie, et non de considérer ce qui se passerait si Assad était démis de ses fonctions… tout comme Saddam a été renversé par les États-Unis en 2003, bien que plus rapidement, après que la décision américaine ait été prise de le faire.
Pendant ce temps, les dirigeants russes sont obligés de réapprendre la leçon de l’Afghanistan, à savoir que tenter de contribuer à la gouvernance d’un État failli provoqué et créé par l’Occident afin de stabiliser cet État ne fonctionnera probablement pas. C’est une tentative simple d’analyser une réalité politique et militaire très complexe. Mais en bref, cet idéal occidental de déstabiliser le monde pour son propre profit, son influence et son exploitation, était un programme occidental très réel, même avant la Seconde Guerre mondiale.
Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? La conséquence pour l’Empire, où le programme impérial occidental est de créer un État failli pour tout État souverain qui s’oppose à l’ordre hégémonique occidental. Comme je l’ai déjà écrit à maintes reprises, c’est comme si le traité de Westphalie et le concept de souveraineté nationale westphalienne étaient morts depuis longtemps. C’est-à-dire morts pour tout État qui s’oppose à l’hégémonie, de sorte qu’il n’est plus considéré comme un État souverain au sens historique du terme.
Quoi qu’il en soit, quelles sont les conséquences prévues et/ou imprévues de la balkanisation de la Syrie imposée par l’Occident [1] ? Pour la Turquie, l’une des conséquences prévues est la résurgence et la réimposition du concept d’Empire ottoman, que la Turquie semble poursuivre. Sans parler de la nouvelle construction d’un gazoduc reliant le Qatar à la Turquie, afin que la Turquie puisse fournir du gaz naturel à l’Europe, excluant ainsi la Russie de l’accord gazier que la Turquie a déjà avec la Russie. Ce qui renforcera la prétention d’Erdogan pour 2023 selon laquelle la Turquie est en quelque sorte indépendante sur le plan énergétique. Et ouvrira la voie à la Turquie pour exploiter les ressources gazières à proximité et en Syrie.
Le Qatar est bien sûr très heureux de ces développements en Syrie aussi, et le Qatar joue un rôle important dans le financement des terroristes “évolués” d’Al-Qaïda – ou euh, ahem, ce que nous appelons maintenant les “rebelles” en Occident – dans la province syrienne d’Idlib. Le Qatar obtient son gazoduc et renforce également les liens des “Frères musulmans” avec la Turquie.
Une autre conséquence souhaitée par l’Occident est que la Russie a perdu son port de Tartous, qui a été récemment abandonné. Vous pouvez parier que les néoconservateurs de Washington et la CIA à Langley sautent de joie à cette nouvelle. De plus, l’occupation américaine de la région orientale de la Syrie et de la base d’al Tanf pourrait être sécurisée pour le moment.
Tout ce qui précède est important pour l’Iran, qui est en proie à ses propres problèmes et semble lutter contre un leadership faible après l’assassinat de Raisi plus tôt cette année.
Ce qui précède est écrit par un occidental (moi) qui n’a aucune connaissance locale de la Syrie ou de son peuple, de la vie qu’ils y mènent, ou de la façon dont les pièces complexes de ce puzzle interagissent. Pour cela, veuillez vous référer à Kevork Almassian, qui a toujours fourni des informations précises sur ce sujet et a prédit avec précision comment ce coup d’État manigancé évoluerait au fil des ans, et récemment.
Quant à Israël, Israël a-t-il vraiment gagné sa guerre contre la Syrie après près de quatre-vingts ans ? Même avec le départ d’Assad, Israël doit faire attention à ce qu’il souhaite. Bien qu’Israël soit lui-même un État terroriste à la solde des États-Unis et qu’Israël finance/attise le terrorisme partout dans le monde, tous les terroristes financés et soutenus par Israël ne rendront pas nécessairement hommage à Israël à l’avenir. Si l’ennemi de mon ennemi est mon ami, que se passe-t-il lorsque cet ami devient l’ennemi ? Une conséquence imprévue – du moins du point de vue du collectif occidental ?
Il est possible que les sphères d’influence en Syrie ne soient pas aussi facilement corrompues par les États-Unis que d’autres régimes d’Asie occidentale l’ont été en permanence. De plus, le nouveau régime à Washington est en quelque sorte un mystère à cet égard. Mais en raison de la relation incestueuse de Washington et de Wall Street avec Israël, rien n’indique que la position américaine en Syrie changera. Ce qui pourrait changer, c’est la façon dont le front al-Nosra et ses alliés d’Idlib en Syrie interagissent avec les États-Unis et Israël. Bien sûr, il est trop tôt pour spéculer.
La conclusion est que la création de cet État syrien en faillite – tout comme en Afghanistan, en Irak et en Libye – renforce l’idéologie de Washington selon laquelle la Russie peut aussi être balkanisée, ce qui pourrait avoir pour conséquence involontaire (?) de mener des attaques Oreshnik contre les intérêts occidentaux.
Jusqu’à présent, la Russie a fait preuve de retenue et de prudence dans sa façon d’aborder le fait que l’Occident est un chien enragé déchaîné qui a perdu la tête. Mais le chien enragé américain est encouragé à mordre encore plus fort, chaque fois qu’il perçoit qu’un adversaire réel ou imaginaire de son empire du dollar a été converti en État en faillite.
Même ainsi, l’anarchie en Syrie pourrait entraîner un réalignement à long terme entre l’Axe de la Résistance face à l’Empire américain, d’une manière que les esprits retors connus sous le nom de gouvernement fédéral américain ne peuvent imaginer.
Espérons-le.