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17924 janvier 2012 – On connaît désormais les péripéties et les acteurs de la tension extrême régnant actuellement dans la région du Golfe (mer et Golfe d’Oman, détroit d’Ormouz, Golfe Persique). Cela se passe essentiellement entre l’Iran et les USA, ces derniers sous la forme de la Vème Flotte et principalement de la très grosse unité qu’est le porte-avions d’attaque USS John C. Stennis et son groupe de combat.
(Anecdotique mais symboliquement bien significatif : le porte-avions CVN-74 porte le nom d’un parlementaire démocrate, président de la commission des forces armées du Sénat dans les années 1960 et au début des années 1970, toujours très attentif à renforcer le budget de la Navy. Ainsi va la gloire au sein du complexe militaro-industriel : une unité de la classe principale de l’U.S. Navy, baptisée, aux côtes de ses sister ships portant des noms tels que George Washington et Abraham Lincoln, du nom d’un parlementaire médiocre et habile aux magouilles, manipulateur obscur des budgets de l’U.S. Navy. Le USS Carl Vinson, ou CVN-70, sistership du John C. Stennis, célèbre également un parlementaire du même tonneau, président de la commission des forces armées de la Chambre à la fin des années 1940.)
Après l’épisode du début des manœuvres navales iraniennes à la fin décembre, suivi par des évolutions variées autour et au-delà de ces manœuvres par le John C. Stennis, le ton est monté du côté de l’Iran, sur le thème : que vient faire un porte-avions de la flotte des USA, agissant comme s’il était maître des lieux, dans une région où ces mêmes USA n’ont aucun droit souverain. (Même question chez Ron Paul…) Puis l’avertissement iranien, universellement rapporté. (Ici, pour varier, MSNBC.News du 3 janvier 2012.)
«Iran will take action if a U.S. aircraft carrier which left the area because of Iranian naval exercises returns to the Gulf, the state news agency quoted army chief Ataollah Salehi as saying on Tuesday. “Iran will not repeat its warning ... the enemy's carrier has been moved to the Sea of Oman because of our drill. I recommend and emphasize to the American carrier not to return to the Persian Gulf,” Salehi told IRNA. “I advise, recommend and warn them (the Americans) over the return of this carrier to the Persian Gulf because we are not in the habit of warning more than once,” the semi-official Fars news agency quoted Salehi as saying.»
Un de nos lecteurs a déjà signalé le texte de DEBKAFiles du même 3 janvier 2012, qui voit dans l’actuelle situation les possibles prémisses d’un affrontement, d’ailleurs recherché par l’Iran sur ce cas précis («Iran provokes showdown, warns US carrier not to return to Persian Gulf»). Le texte rappelle les principales étapes des deux dernières semaines, qui ont mené à la situation actuelle, puis observe à propos de la situation US :
«It is hard to see the Obama administration caving in to Tehran's ultimate challenge to the freedom of this vital international waterway. The Stennis or some other American naval vessel must soon be sent through the Strait of Hormuz to test Iran's assumption of control. […] Our military sources add that two more American warships, the USS Bataan and USS Makin Island, are cruising in the area. They are small Marine Corps amphibian craft carrying jets and helicopters. The big aircraft carrier USS Carl Vinson, deployed in the Pacific from the third week of December, is on standby to advance to waters opposite Iran in an emergency.»
Ce décompte des unités navales US est extrêmement intéressant et important, pour comprendre la situation stratégique dans la région. Il permet d’observer l’évolution de la stratégie US dans la région depuis cinq ans, – depuis qu’il est question d’une attaque contre l’Iran, – et la plongée dans le désordre de cette stratégie.
Le paroxysme de la possibilité d’attaque contre l’Iran la plus délibérée, la plus planifiée et la plus calculée, se situe durant la période printemps-été 2007. Le projet était bien entendu l’œuvre de la fraction neocons/“faucons” de l’administration GW Bush, avec Dick Cheney en tête. L’amiral Fallon avait été
Ces plans furent totalement mis en échec, l’U.S. Navy se révélant l’élément moteur pour contrer les faucons de l’administration Bush. Au contraire de ce qu’on croyait, Fallon se révéla adversaire résolu d’une attaque contre l’Iran et s’employa avec zèle à contrer tout rassemblement opérationnel permettant une attaque. Il réussit même à faire établir des contacts informels et fort discrets avec les Iraniens, notamment leurs marins, pour écarter tout risque d’incident, sinon d’accident, entre navires US et iraniens, qui auraient pu donner prétexte aux faucons type-Cheney de réclamer une attaque sans délais. Dans cette entreprise, Fallon était soutenu par l’amiral Mullen (Navy, comme on s’en doute), président du comité des chefs d’état-major, et le secrétaire à la défense Gates. Tout cela permit une extraordinaire mystification, qui mérite de rester dans les annales de l’insubordination soft par rapport au pouvoir civil, sur le nombre de porte-avions face à l’Iran, entre rotations, déploiement opérationnels annoncés mais agrémentés de diverses escales retardant l’opération, retraits pour entretien, etc. (Voir nos divers textes à ce propos, le 3 mars 2007, le 11 juillet 2007, le 18 juillet 2007, le 6 août 2007, etc.) Finalement, l’U.S. Navy et le secrétaire à la défense firent échouer bel et bien les projets d’attaques du clan Cheney… Il n’empêche qu’on avait ainsi pu comprendre d’une façon concrète ce qu’étaient (et ce que restent) ces plans d’attaque contre l’Iran tels qu’ils étaient concevables pour le Pentagone, notamment avec (au moins) les quatre porte-avions d’attaque et leurs groupes, en plus de l’USAF. Aujourd’hui où l’attaque contre l’Iran est redevenue d’actualité, la situation est substantiellement différentes.
• Il n’y a que deux groupes de porte-avions en déploiement d’attaque potentielle (le John C. Stennis de la Vème Flotte et le George G.W. Bush en Méditerranée, avec la VIème Flotte ; les groupes de porte-hélicoptères ne font pas le poids dans une attaque stratégique contre l’Iran). Le Carl Vinson, de la VIIème Flotte du Pacifique est pour l’instant en réserve, c’est-à-dire disponible pour des opérations de guerre contre l’Iran sans doute dans un délai d’une à deux semaines. On est loin du compte.
• Les conditions régionales ont empiré depuis 2007. La Syrie est en troubles profonds, ce qui a conduit la Russie, qui travaille contre toute intervention dans ce pays de la “communauté internationale” (dito, le bloc BAO), à lui livrer des missiles terre-mer qui tiennent à distance le groupe du porte-avions George H. W. Bush de la VIème Flotte.
• Les Russes sont présents, avec des unités navales de guerre électronique dans leur base de Tartous, sur la côte syrienne, et peut-être le porte-aéronefs Amiral Kouznetzov. Les Russes ont bien notifié qu’une attaque contre l’Iran ne les laisserait pas indifférents, tant s’en faut. Leur concentration navale en Syrie constitue un obstacle considérable, voire une grave menace, opérationnelle et surtout politique (internationalisation) en cas d’attaque contre l’Iran.
• La Chine, comme on le sait n’est pas du tout neutre dans cette affaire, comme la Russie. Cela achève de mettre en place une menace d’internationalisation catastrophique pour le bloc BAO, de toute attaque contre l’Iran. Cela ne signifie pas la guerre (éventuellement mondiale, nucléaire, etc.), et il est inutile de sortir ses calculettes pour dénombrer les forces en présence. Nous sommes dans un jeu diplomatico-militaires où tous les acteurs (y compris et surtout, oui oui, USA et Israël) sont exsangues. Songer à une attaque contre l’Iran dans ces conditions, alors qu’on ne l’a pas fait il y a 5 ans, dans une position de force du bloc BAO infiniment plus grande, c’est présumer d’une audace et d’un esprit d’aventure dont le Pentagone est totalement dépourvu.
Mais plus encore, d’une façon plus générale, l’Iran est passée à une sorte de contre-attaque préventive, – avant l’attaque elle-même. Elle a montré ses capacités de guerre électronique (affaire du RQ-170 et le reste) et fait basculer d’une certaine façon la perception du rapport des forces, aussi bien que la forme d’un engagement éventuel avec le bloc BAO (Israël et USA). (Par exemple, ces capacités électroniques supposées de l'Iran ont introduit un doute fondamental au sein de l’USAF, concernant notamment es super avions furtifs de ce service, comme les rarissimes (20) bombardiers B-2, qui coûtent tellement cher, – de $2,4 à $4 milliards l’exemplaire, – qu’on hésite à les employer lorsque l’ennemi, traîtreusement, tire à obus et missiles réels, – surtout s’il s’agissait de nouveaux S-400 que les Russes auraient livrés malencontreusement à l'Iran.) L’intervention de l’Iran en Mer d’Oman et dans le détroit d’Ormouz complète son dispositif de contre-attaque préventive, qui pourrait être aussi défini comme une manœuvre de dissuasion.
Ainsi se trouve-t-on dans une situation hybride. S’agit-il de la possibilité d’une attaque contre l’Iran comme on en parle depuis six ans ? Oui, peut-être, et puis, finalement, pas vraiment... L’affaire des manœuvres navales iraniennes et du porte-avions John C. Stennis renverse les rôles. Certes, on peut toujours arguer que la marine iranienne ne peut pas grand’chose contre le groupe du John C. Stennis, d’une puissance brute impressionnante. Mais là n’est pas le fond de la question. Ce qui importe, c’est que les USA sont dans une situation où ils doivent réagir, à partir d’une position de défensive, alors que l’attaque, la vraie, contre l’Iran, implique un dispositif offensif considérable, et une relative impunité pour le rassembler. Dans ce cas, la position du John C. Stennis, s’il entre à nouveau en Mer d’Oman, pour ne pas avoir l’air de céder aux menaces de l’Iran, se trouve plutôt dans une posture désavantageuse ; certes, dans une posture d’attaque, mais aussi exposé à des attaques navales de l’Iran, et pas loin d’être piégé dans un petit espace fermé. Cela n’a rien à voir avec la planification d’une attaque de l’Iran, qui doit commencer par un pilonnage intensif de l’Iran à partir de bases et déploiements navals sans entraves (dito, les groupes d’attaques US dans le Golfe, comme l’USAF opérant à partir de bases éloignées). Tout ce beau monde est-il prêt à se lancer dans une attaque improvisée, contre un adversaire soi-disant médiéval qui s'est découvert soudain des capacités sophistiquées, – ou qui le semble, c’est ce qui importe ?
Au fond, que s’est-il passé ? Nos dirigeants sont extrêmement intelligents, Obama en premier. Ils mettent toute leur intelligence au service d’un Système aux ambitions brutales et surtout d’une stupidité qui semble n’avoir pas de limites ; c’est-à-dire que leurs intelligences nombreuses et variées ne font qu’alimenter, en l’accentuant encore, la stupidité générale. (Même chose pour les Français, soit dit en passant, où l’extrême intelligence de l'affligeant Juppé est venue compléter et renforcer la sordide bassesse du couple Sarko-BHL, en l’abaissant encore plus si c’est possible, – et il s’avère que ce l’est, en couvrant du vernis d’une langue apprivoisée type quai d’Orsay cette misérable abdication de soi. Car ces pauvres hères continuent évidemment à hurler contre l’Iran et la Syrie, en condamnant en passant l’“holocauste” arménien, histoire de se mettre, en plus, la Turquie à dos. Stratégiquement, c’est quasiment napoléonien.)
Obama, pressé par diverses obligations honorables, – de l’importance de l’électorat juif au rapport faussé de l’IAEA, aux objurgations déchaînées du couple mégalomaniaque et en transes hystériques Netanyahou-Barak, – Obama, donc, a dû envisager de notablement augmenter la pression exercée sur l’Iran. Il est toujours question d’attaque, parce qu’on ne se passe jamais de cette enivrante possibilité (“all the options are on the table”), mais Obama tient tout de même à une approche prudente. On n’est pas intelligent pour rien, ni cool comme on le sait être. Il choisit donc l’option de la guerre “short of war” : des sanctions si draconiennes, y compris l’interdiction de faire commerce avec la banque centrale iranienne, qu’elles constituent un véritable “acte de guerre” (Ron Paul dixit). Manœuvre habile, se dit-on.
Les Iraniens, eux, commencent à connaître le fonctionnement du cerveau type BHO-BAO, Sarko et compagnie. On n’est pas sauvages et arriérés pour rien. Cela vaut d’autant plus que, dans l’entretemps, leur tombe un cadeau du ciel, – et peut-être que le ciel eut parfois quelques accents russes, – sous la forme du RQ-170 qui a le don de déclencher une nième crise hystérique du côté du Pentagone, et des cris d’alarme sans fin à propos de capacités nouvelles qu’on découvrirait chez les Iraniens. Ils se lancent donc, les Iraniens, dans une initiative dont on ignore s’ils en ont embrassé toute la profonde signification : ils renversent le processus stratégique de l’attaque, complètement à leur avantage.
Tout le monde sait qu’une attaque contre l’Iran impliquerait comme première riposte majeure une tentative de blocage du détroit d’Ormouz, avec l’interruption du flot pétrolier. Mais beaucoup parmi “tout le monde” espèrent que cette tentative, de la part de l’Iran mis quasiment KO par l’attaque initiale, – nul ne doute de la puissance du bloc BAO à cet égard, – serait limitée, maladroite, peut-être inefficace et sans succès. Lors donc, les Iraniens renversent la chose. Ils se lancent dans la riposte à l’attaque avant que l’attaque n’ait eu lieu. Ils lancent une offensive de pression sur le détroit d’Ormouz, démontrent qu’ils peuvent le bloquer rien qu’en lançant des fausses nouvelles, font manœuvrer leur marine, multiplient les déclarations impudentes (pour la politesse habituelle de la “communauté internationale”). Ainsi se retrouvent-ils dans une position complètement renversée, ou invertie dans le bon sens (pour eux, comme pour nous, résistants face au bloc BAO, à l’intérieur de ce bloc).
Peu importe l’incontestable puissance du John C. Stennis ; il se trouve que c’est l’Iran qui, aujourd’hui, menace, à la façon que le bloc BAO l’a menacé pendant cinq ans. C’est lui, l’Iran, qui peut dire : “toutes les options” sont sur la table, y compris celle de bloquer le détroit d’Ormouz, même au risque d’agacer le John C. Stennis. C’est l’Iran qui, aujourd’hui agite la menace suprême, – parce que, hein, après tout, un blocage du détroit d’Ormouz, dite “veine jugulaire” du bloc BAO dans un état économique absolument délabré, – cela vaut bien, à l’inverse, en importance et en répercussions à la chaîne, une menace d’attaque contre l’Iran. Joli coup de la part des mollah. Attendons la suite ; nous jurerions que l’on peut être sûr que l’Iran saura nous faire languir, nous faire nous angoisser extrêmement, et faire monter et descendre les cours du prix du pétrole.
En attendant, justement, faisons le constat de l’extraordinaire dégénérescence de la pensée stratégique du bloc BAO, qui paraît aujourd’hui absolument dissoute dans un magmas incompréhensible, dans un désordre de l’esprit sans équivalent, serait-ce même, – c’est un comble, – par rapport aux plans qui étaient envisagés sous la catastrophique administration GW Bush, au moins en 2007. En fait, bien sûr, non-pensée stratégique, dissoute dans l’intelligence cool du président Obama. Le Système poursuit sa marche décidée de la dynamique de surpuissance vers la dynamique d’autodestruction.
Le John C. Stennis croise donc dans les eaux alentour du détroit d’Ormouz pour tenter d’empêcher un blocus dont il ne sait rien, ni même si les Iraniens le provoqueront jamais, et qui aurait dû normalement menacer d'être établi après que lui, le John C. Stennis, eût mortellement frappé l’Iran. Il monte donc la garde contre une menace provoquée par sa propre attaque qui n’a jamais eu lieu, ayant ainsi offert à ses adversaires l’opportunité de riposter dans la bataille qu’il se réservait d’engager à son heure et selon son bon plaisir, et qu’il n’a pas engagée, et cela aux pires conditions pour lui-même, – le formidable et surpuissant John C. Stennis. Si ce n’est de l’autodestruction, cela y ressemble diablement.
Quant à l’U.S. Navy elle-même, on constatera que l’arrivée d’un président d’un intelligence si brillante l’a privée d’un brio qu’elle sut rendre extrêmement et discrètement efficace dans les belles saisons de l’année 2007. Les choses étaient plus simples sous le règne de l’ineffable GW.
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