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173222 juin 2015 – En quelques jours, plusieurs incidents graves, de diverses factures et de significations diverses ont eu lieu aux USA. Tout cela s’inscrit dans un climat général de dégradation de la situation civique, avec en plus les affrontements réguliers entre population Africaine-Américaine et policiers (Ferguson, Baltimore) entraînant de grandes tensions de communication. L’arrière-plan de ces évènements montrent un pays de plus en plus marqué par une situation civile d’affrontements armés aux causes multiples (au contraire de la tentative récurrente du système d’en faire un problème spécifique, qui serve sa démarche, – comme le racisme par exemple). D’autre part, la population carcérale explose et l’antagonisme des populations avec le “centre” ne cesse de s’affirmer au rythme de la “militarisation” forcenée des différentes administrations de police, de la surveillance systématique type-NSA ou par l’emploi de drones, etc.
Certaines évaluations officielles de pays amis et même admirateurs des USA catégorisent de plus en plus ce pays comme “quotidiennement à risque” dans certaines zones, dans le sens d’un pays se rapprochant d’un États failli d’une nouvelle sorte, avec zones de non-droit où règne une très grande violence évidemment facilitée par la disposition légale d’armes à feu (de 270 millions à 310 millions aux mains de citoyens privés). Les explications avancées vont d’un extrême à l’autre, des accusations fortement idéologisées, soit d’explosion du racisme, soit d’ethno-suicides de certaines communautés. Le texte de ce 22 juin 2015 de Tom Engelhardt, sur TomDispach.com, donne une idée assez dramatique de la situation des USA, où la presse-Système ne parle que de la menace d’ISIL/Daesh (et de la Russie, évidemment), sans dire un seul mot de la principale menace existentielle directe aux USA, qu’on trouve dans cette dissolution de la société US dans la violence.
Nous allons instruire cette analyse de différents évènements, constats, interventions, etc., qui vont toutes dans le même sens de la description d’une situation extrêmement tendue, qu’on a du mal à qualifier d’une seule cause parce qu’une telle méthodologie est totalement impropre. Il y a une multiplicité de causes qui vont toutes dans le même sens d’une fragmentation et d’une déstructuration des USA, voire d’une dissolution dans certains domaines. Il est évident que nous ne tenons strictement aucun compte des affirmations officielles de puissance, – puissance économique, financière, puissance militaire, “exceptionnalisme”, – qui sont toutes absolument suspectes de renvoyer à la même narrative-Système, qui sont objectivement faussaires et ne témoignent que de l’aveuglement du Système devant la dégradation intense des USA. Notre politique à cet égard est de tenir ces affirmations comme absolument fausses tant qu’il n’est pas absolument prouvé qu’elles ont une quelconque réalité. (Cela posé, il reste que ces affirmations faussaires de puissance sont elles-mêmes fortement contestées par les évènements, et donnent par conséquent, malgré leur intention de réaffirmation de puissance, l’image d’un déclin rapide même de ce simulacre de puissance. Cela ajoute au trouble intérieur, bien entendu.)
Voici donc la liste des évènements et autres faits les plus récents, de ces quelques derniers jours qui furent une période chargée à cet égard, alimentant ce dossier, avec divers commentaires éventuellement éclairants... On trouve également des considérations évènementielles plus indirectes, qui élargissent le champ de l’analyse et permettent de la placer dans une perspective historique qui correspond à la situation métahistorique d’effondrement du Système.
• Il y a eu la tuerie dans une église d’Africains-Américains de Caroline du Sud, avec 9 tués. (Voir le 18 juin 2015.) L’homme accusé de cette tuerie est un Blanc qui est considéré comme un adepte des doctrines suprémacistes blanches mais dont on a suggéré aussi qu’il était souffrait d’une pathologie mentale. Le 19 juin 2015, RT, dans son émission In the Now, interviewait Solomon Ciommissiong, fondateur et principal animateur africain-américain de l’émission Your World News Radio Show.
RT: «A black shooter is a thug, a Muslim is a terrorist and a white attacker is perhaps mentally ill according to some media reports. Does that sound about right?
Solomon Comissiong: «No, it doesn’t sound right but in the US it sounds right to most Americans because they are used to this kind of systematic programming that often times goes completely off the radar so they start to follow the narratives and it becomes commonplace, but it’s not right. It’s outrageous; it’s racist to its core. You are right with your leading question because if it was a brown skin Muslim, we can imagine that immediately the media would have labeled him a terrorist. So why is this man, Dylann Roof, not labeled as a terrorist?»
• Le 21 juin 2015, on annonçait qu’un tireur non-identifié avait attaqué un terrain de basket alors qu’une partie s’y déroulait, dans le quartier West Side de Detroit, tuant au moins une personne et en blessant neuf autres.
• Le même 21 juin 2015, on annonçait que des agresseurs passant près d’un piquenique de jeunes enfants organisé dans un quartier de Philadelphie Ouest avait tiré d’une façon indiscriminé, blessant gravement sept personnes, dont trois enfants, deux de 2 ans et un de 10 ans. Ce qui est remarquable dans cette attaque, c’est que le tir semble s’être fait complètement en aveugle, sans aucun but particulier sinon d’arroser de balles la concentration de personnes qui se trouvaient au piquenique. «“It looks like they just randomly fired down the street and hit anyone in their way,” NBC 10 Philadelphia quoted Philadelphia Police Lt. John Walker. The agency added that a shotgun was used to fire at the victims, which included children.»
• Le 20 juin 2015, Sputnik donne les grandes lignes d’un rapport du GAO (la Cour des Comptes US) sur la population carcérale aux USA. Il s’agit d’une situation dont on connaît maintenant le caractère “exceptionnel” bien propre aux USA (valeurs approximatives de 5% de la population mondiale et de 25% de la population carcérale mondiale), qui est devenue à la fois une industrie privée et un “complexe” à l’image du complexe militaro-industriel, qui fonctionne et s’étend selon les règles du capitalisme libéral, de la bureaucratie, des exigences sécuritaires du Système.
«The US prison population has soared to 2.3 million people costing the government more than $7 billion per year to keep them behind bars, a Government Accountability Office (GAO) report said. “The federal inmate population has increased more than eight-fold since 1980,” the report released on Friday said. The Bureau of Prisons’ (BOP) operating costs “have increased over time, and in fiscal year 2014 amounted to more than $7 billion, or 19 percent of Department of Justice’s total obligations,” the report added. The United States has only five percent of the world’s population but it incarcerates 25 percent of the global prison population, making the country the world’s largest jailer, according to the American Civil Liberties Union (ACLU).»
• Là-dessus, des thèses radicales viennent se greffer, dont la plus radicale est celle du “genosuicide” (ou éthnosuicide ?) de la communauté africaine-américaine, qui n’est finalement qu’une forme du social-darwinisme qui a dominé la pensée des capitalistes extrémistes depuis la Guerre de Sécession. Ici, c’est David P. Golfman, alias Spengler, commentateur social-darwinien patenté, partisan du suprémacisme anglo-saxon, qui la présente sur ATimes.com, le 15 juin 2015.
«“Black lives matter” became the slogan of the anti-police protests that followed the 2014 police shooting of Michael Brown in Ferguson, Missouri. Do they? Does yours? Parts of black America appear determined to destroy themselves—black men, that is, rather than black women, who graduate from university at twice the male rate and hold more full-time jobs. Call it genosuicide, the self-willed extinction of a people, and it happens all the time, especially when young men decide that to matter, they must assert themselves violently. There is nothing uniquely “black” about the inner-city catastrophe now unfolding in America, as some historical examples will show.
»To demonstrate that they matter, young black men kill other young black men in appalling numbers. The Economist notes that if black America were a country, it would have the highest murder rate in the world, adding, Black Americans are still eight times more likely to be murdered than whites and seven times more likely to commit murder, according to the FBI. An incredible one-third of black men in their 30s have been in prison.”»
• Dans l’approche raciale du problème, il n’y a pas que la question des Africains-Américains. Celle des Latino-Américains est également soulevée avec une grande vigueur par divers hommes politiques et leaders d’opinion, tels Patrick Buchanan, – et Donald Trump, dont nous parlons dans notre Brève de crise le 20 juin 2015. Une partie importante du texte référencé (non citée par nous parce que trop spécifique) porte sur la croisade anti-immigration de Trump, essentiellement menée contre l’immigration illégale des Mexicains. Trump a des mots décisifs à cet égard, qui vont faire frémir les âmes libérales dans bien des salons : «When Mexico sends its people, they’re not sending their best. They’re not sending you. … They’re sending people that have lots of problems and they’re bringing those problems with [them]. They’re bringing drugs. They’re bringing crime. They’re rapists. And some, I assume, are good people. But I speak to border guards, and they tell us what they’re getting.» Et le texte poursuit :
«And The Donald has certainly apprised himself of the facts. Perhaps he is reading Ann Coulter’s data-driven “Adios America!” in which she writes: “The U.S. government admits that at least 351,000 criminal immigrants were incarcerated [by] the United States as of 2011—the vast majority of them Mexican.” (Report to Congressional Requesters, 7 and 10.) By the General Accountability Office’s “extremely conservative figures, Mexicans alone—forget other immigrants—have murdered a minimum of 23,000 Americans in the last few decades,” as compared to the Jihadis’ 4000 for the same time-frame.»
• Pour prendre une mesure précise et générale de la réalité quotidienne du problème de la structure sociale véritablement en désintégration aux USA, on s’en reportera à un aspect documenté assez anodin d’un pays en général considéré comme “ami des USA”, et même “ami intellectuel” de l’“expérience américaine”, très attentif à nuancer ses jugements culturels et sociaux de la façon la plus favorable possible. Il s’agit de la France, qui traverse une phase d’hyper-américanisme aigu, – donc au-dessus de tout soupçon d’antiaméricanisme par simple logique cartésienne. C’est Sputnik-français qui, l’ayant découvert, s’est jeté avec délectation sur un détail anodin, qu’il signale le 19 juin 2015. Il s’agit des conseils que le ministère des affaires étrangères français, le ministère le plus proaméricaniste dans un gouvernement qui l’est déjà notablement, conseille aux “voyageurs [français] à l’étranger”. Nous avons effectivement consulté le site officiel, concernant les “conseils aux voyageurs français aux États-Unis” et, pour approfondir l’expérience, nous l’avons comparé aux “conseils aux voyageurs français en Russie”, pays qui n’est certainement pas en odeur de sainteté au Quai d’Orsay, et plutôt considéré comme barbare, rétrograde, etc.
Pour les USA, les conseils sont sans ambiguïté. Ce pays est décrit comme intrinsèquement dangereux, notamment dans les grandes cités où des zones bien identifiées constituent des zones où la sécurité des personnes et des biens n’est pas assurée. D’où ce conseil d’ordre général, suivi d’une liste des grandes agglomérations avec le détail des zones dangereuses, pour préciser les recommandations d’ordre général qu’on rapporte ici... «Dans les principales agglomérations, il convient de suivre quelques règles élémentaires de sécurité. Il est conseillé, en arrivant dans une ville, de se renseigner sur les quartiers à éviter et, en ce qui concerne les autres, sur la possibilité de s’y déplacer à pied ainsi que les heures au-delà desquelles il est recommandé de ne plus s’y rendre.»
Pour la Russie, à part certains points que l’on sait très dangereux à cause de situations particulières bien identifiées (le Caucase, avec ses minorités musulmanes et le terrorisme qui s’y est implanté), la remarque générale est celle-ci : «La sécurité générale s’est améliorée en Russie depuis le début des années 2000. Les niveaux de délinquance et de criminalité ne sont désormais pas plus élevés que dans les pays de l’Union européenne. Compte tenu des caractéristiques du pays (distances, isolement de certaines destinations, larges portions du territoire pratiquement inhabitées) et des difficultés de communication linguistique, il est néanmoins conseillé d’éviter de partir à l’aventure et de préparer son voyage, même individuel, en liaison avec une agence spécialisée.»
• Enfin, nous signalons un autre propos qui semble s’éloigner du nôtre, et qui ne le fait pas vraiment à notre sens car il s’inscrit évidemment dans la problématique générale de la situation intérieure des USA. Le SakerFrancophone du 21 juin 2015, reprend de ZeroHedge du 14 juin 2015 une nouvelle importante concernant “le Texas et son or”... «La défiance dans la fiabilité et la solvabilité de la Banque centrale américaine s’étend. En premier lieu avec le rapatriement de l’or de l’Allemagne, ensuite celui de la Hollande, puis de l’Autriche, et maintenant – comme nous l’avions noté auparavant – le Texas a adopté un projet de loi qui a pour objectif de rapatrier $1 milliard de dollars d’or des coffres de la Fed de New York en le faisant transiter vers un dépôt nouvellement créé au Texas… “Les gens cultivent cette image de grandeur et de puissance de l’État du Texas … donc pour beaucoup d’entre eux, c’est là l’exact lieu où ils voudraient aller avec leur or.” Ici, le projet de loi contient un article pour empêcher toute préemption forcée des fonds par le gouvernement fédéral.»
Cette nouvelle est traitée par ZeroHedge essentiellement du point de vue monétaire et financier, par rapport à la Federal Reserve et avec les diverses implications monétaires qui y sont afférentes. Une autre approche est celle de la question de la sécession, qui est un problème aigu au Texas (l’État de l’Union où le parti sécessionniste est le plus important avec l’État du Vermont). Dans un autre contexte qui est celui d’une alerte générale des “élites mondiales” à cause de la possibilité d’un krach financier, Alex Jones, de Infowars.com, reprend l’information (le 22 juin 2015), en la liant, ce qui nous semble, à nous, évident, à l’affaire de l’exercice JH15 des forces armées fédérales (voir le 16 mai 2015) : «On the eve of the Jade Helm military drill set to take place next month, Texas Governor Greg Abbott indicated his distrust of the Federal Reserve’s fiat monetary system in a move to repatriate $1 billion of gold back to his home state.» Jones se réfère à Bloomberg.News (le 20 juin 2015), avec un texte concernant le rapatriement de l’or texan, exprimé dans des termes, notamment du point de vue des investissements, qui tendent à présenter, sans doute involontairement mais significativement, le Texas comme une sorte d’“État souverain”, – en rappelant que cet État fut “à un moment un pays”...
«Texas has a distrust of the federal government that befits a state that was once a country. Former Governor Rick Perry activated its National Guard last year to secure the Mexican border, saying Washington was doing a lousy job. Abbott directed state forces to monitor a U.S. military training exercise called Operation Jade Helm 15 that will take place this summer in Texas and other states. Conspiracy theorists contend it’s a scheme to round up political dissidents, impose martial law or both, claiming tunnels under Wal-Mart stores are somehow involved.»
Quel enseignement général tirer de ces divers constats qui concernent d’abord la situation générale civile, sociale, des USA, mais aussi avec des incursions dans certains autres domaines ? Une analogie historique va conduire notre réflexion, qui est celle de la période 1865-1890, période dite du Gilded Age. (L’“Âge du toc”, ou de façon moins enlevée “Âge du plaqué-or”, souvent faussement désignée comme “Âge d’or”, pour Golden Age : c’est William Pfaff qui nous avait signalé cette confusion constante [que nous faisions à l’époque], qui agit comme une sorte d’automatisme, dans sa version fausse, témoignant de la fascination qu’exercent les UDSA et/ou capitalisme dans sa version “sauvage” et “barbare” sur les esprits modernes et postmodernes.) Il s’agit de la période de capitalisme sauvage qui s’étend aux USA de la fin de la Guerre de Sécession à une réaction populiste dans les années 1890.
Le capitalisme actuel, débridé, dérégulé, hors de tout contrôle, qui s’est affranchi de toutes ses règles propres et d’une sorte d’autorégulation qu’il s’imposait dans d’autres époques où sa structuration et son sens des responsabilités y compris sociales semblaient lui assurer un grand avenir, ressemble effectivement, d’un point de vue structurel pour la matière et du point de vue psychologique pour l’esprit, au Gilded Age. La période de 1865 à 1890 commença par le dépeçage du Sud par les Carpetbaggers qui agissaient avec le soutien du Big Business yankee à qui il importait de liquider une société rurale, élitiste, pratiquant un libre-échange dommageable à l’expansion intérieure des fortunes (à ce moment-là, le Big Business yankee était ultra-protectionniste). Bien entendu, le même Big Business et les élites-Système de Washington étaient anti-esclavagistes, d'abord parce que la suppression de l’esclavage ferait plaisir plus tard à BHL et à Spielberg comme on ne l’ignorait pas par anticipation, ensuite parce que, avec la possibilité sinon la probabilité de déplacement massif des Noirs vers le Nord comme main d’œuvre à bon marché, elle actait encore plus sûrement que les Carpetbagger la liquidation de la société sudiste non-conforme au projet américaniste.
L’activité sociale et civile de la période du Gilded Age a des analogies avec celles que nous connaissons. C’était le temps, non pas des “barons du capitalisme”, mais de formation des “barons du capitalisme” par le passage obligé du stade des “barons voleurs”. Cela supposait une époque où les fortunes se constituaient à une vitesse extraordinairement rapide, sur la violence, le pillage, en l’absence de régulation sérieuse et d’une force centralisatrice efficace. La situation se caractérisait par des violences et des usurpations de pouvoir locaux, la corruption généralisée, l’usage de forces paramilitaires au service des fortunes établies ou en train de se faire. Un film comme le fantastique Heaven’s Gate, de Cimino, et dans une certaine mesure comme There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, ont bien illustré dans la production cinématographique récente cette période. Mais l’analogie s’arrête là, pour faire place à une chronologie.
The Gilded Age entérinait l’unification des USA par le feu et par le sang, et par l’habituelle narrative (la Guerre de Sécession pour abolir l’esclavage, ce qui est une construction après coup puisque l’Acte d’Emancipation date de la fin 1862 [en deux temps législatifs, – 22 septembre 1862 et 1er janvier 1863], quand il apparut à Lincoln qu’un ciment idéologique unificateur était la seule issue pour éviter l’effondrement du Nord qui essuyait défaite sur défaite depuis avril 1861). Après l’acte de reddition du général en chef de la Confédération du Sud (CSA) Robert E. Lee à Appomattox, en avril 1865, l’unification des USA était acquise et la langue anglo-américaine symbolisa cela en faisant des USA un sujet singulier et non plus pluriel (à partir des 1865-1870, on n’écrivit plus “The USA are...”, mais “The USA is...”). Ici, on voit bien que l’analogie choisie pour notre époque est en train de devenir une inversion, – par exemple quand on voit l’évolution du Texas qui, peu à peu, prépare des situations et des instruments qui pourraient donner du poids et de la consistance à une déclaration de sécession si le temps venait de risquer l’entreprise.
Il y a en effet une ligne d’évolution du capitalisme aux USA qui, au lieu de présenter une image de progrès selon une droite marquant un pseudo-“sens de l’histoire”, nous offre plutôt une courbe presque fermée offrant un retour catastrophique aux conditions de départ et transformant son parcours historique en une spirale invertie. Après le Gilded Age de 1865-1890/1900 suivit une période intermédiaire au cours de laquelle le capitalisme se structura en même temps qu’il acceptait des responsabilités allant jusqu’à des préoccupations sociales. Au populisme politique de Theodore Roosevelt, président de 1901 à 1908, répondait le populisme capitaliste d’Henry Ford assurant des salaires élevés à ses ouvriers. Les “robbers barons” du Gilded Age devenaient une sorte de noblesse d’argent parfaitement honorable, consacrant des parts importantes de leur fortune à des œuvres caritatives et d’intérêt public. Mais la tare congénitale du capitalisme, l’ivresse de l’or, se manifesta à nouveau dans les années 1920, menant au bord de l’abysse de la Grande Dépression (1929-1933) ; le capitalisme fut sauvé in extremis par l’homme de communication de génie qu’était Franklin Delano Roosevelt (neveu de Theodore). Outre la magie du verbe, FDR intervint dans la situation des USA par l’introduction de quelques éléments ressemblant vaguement à une structure régalienne de bien public.
Tout pouvait alors sembler verrouillé, sauf que cette structure étatique commença aussitôt son parcours de décadence avec la mise en place de l’État de Sécurité Nationale en 1947, d’une bureaucratie militariste en constante expansion et d’un complexe militaro-industriel affichant clairement des ambitions de globalisation par le moyen idéologique de l’anticommunisme, resucée idéologique après tout de l’antiesclavagisme de 1863-1865. Cet équilibre très instable s’est brisé au début des années 1970, avec les revers du Vietnam et la révolte pseudo-gauchiste et libertaire des années 1960 qui affolèrent le pouvoir et le capitalisme et suscitèrent une riposte du Système. Le “Manifeste Powell” (1971) fut le document fondateur de cette insurrection du capitalisme qui ne cessa plus, avec le verrouillage reaganien et le suivisme plein de brio de Clinton, jusqu’à nos jours.
Ainsi, l’analogie se transforme en inversion. En effet, la situation interne des USA n’a cessée de se dégrader depuis les années 1960, de différentes façons, pour aboutir à la situation actuelle qui ressemble de plus en plus à un bouillonnement de violence anarchique, sans aucune orientation idéologique, avec un centre de plus en plus impuissant et paralysée parce qu’il n’a plus d’ennemi intérieur contre lequel il pourrait réaliser à nouveau la recette de la mobilisation idéologique. Un signe de cette situation est l’appel constant et désormais exclusif à l’ennemi extérieur qui n’a pas vraiment d’efficacité parce qu’il n’y en a aucun qui ait une dimension intérieure vraiment mobilisatrice, – y compris l’islamisme, ou djihadisme pseudo-fasciste, et la Russie bien entendu. (La lutte contre le communisme des années de Guerre froide avait toutes les vertus parce qu’il avait une dimension intérieure très puissante. Joel Kovel a mis la chose en évidence avec son Red Hunting in the Promised Land [1993] où il différencie l’“anti-Communisme” qui est la lutte extérieure contre l’URSS et l’“anticommunisme” qui est la lutte contre les tendances socialistes-communistes intérieures dont l’un des épisodes fut le McCarthysme et l’un des héros Edgar J. Hoover.)
L’absence de cette mobilisation intérieure est la faiblesse mortelle des USA aujourd’hui, pour ce pays qui n’a pas de colonne vertébrale régalienne et qui s’est organisé bien entendu sur la fragmentation sociale réclamé par le capitalisme lui-même pour régner en maître. Les conditions générales produites par l’actuelle Grande Crise d’effondrement du Système étant catastrophiques, – inégalité, effondrement des structures internes, pauvreté galopante, etc., – la situation intérieure n’évolue pas vers une insurrection intérieure organisée pour laquelle une hyper-militarisation des forces policières a été organisée qui s’avère alors sans effet autre que celui de la provocation, mais vers le désordre qui est caractérisé en ce moment par les divers incidents qu’on a signalés. Lorsqu’un Ron Paul veut sonner l’alarme d’un effondrement des marchés et décrire l’état de chaos vers où nous nous dirigeons, il choisit deux références de déstructuration et de dissolution qu’il ne va pas chercher dans le Tiers-Monde (le 20 juin 2015 : «So we're all on the verge – the country, the world is on the verge of looking more like Detroit and Greece than anything else.») Il s’agit bien d’une inversion et non d’une analogie : le retour à une sorte de Gilded Age façon postmoderne n’assure le triomphe de personne mais, au contraire, nous assure de l’échec de l’américanisme, et, derrière, du Système et du déchaînement de la Matière... Et le terme de l’inversion, dans le cas US, c’est l’inversion de la Guerre de Sécession.
C’est évidemment dans de telles conditions que nous considérons que la tentation de la sécession doit apparaître, et c’est pourquoi nous avons installé, au milieu des exemples du désordre aux USA, le cas du Texas rapatriant son stock d’or. Cette mesure contre une crise éventuelle venue de la Federal Reserve et portant sur le papier-monnaie, est aussi une des mesures qui rendrait, en cas de nécessité qui ne serait plus nécessairement un “en cas de malheur”, l’acte de la sécession beaucoup plus envisageable. Le fait que ce soit le même homme (le gouverneur Abbott) qui avait annoncé, sous les quolibets de quelques ténors du Système à Washington, la mobilisation de la Garde Nationale du Texas pour surveiller les troupes fédérales pendant l’exercice JH15 de juillet-août prochain, que ce même homme ordonne le rapatriement de l’or texan au Texas, rend soudain ses initiatives beaucoup plus sérieuses. Le terme de la logique de ses initiatives se nomme : sécession... Comme dans le cas des craintes exprimées pour la Grèce “qu’un seul quitte l’euro” et le château de cartes (européen) s’effondre, on dira la crainte que dans le cas du Texas, “qu’un seul quitte l’Union” et l’autre château de cartes s’effondre. Ce n’est pas nécessairement “faire châteaux en Espagne”.
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