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77821 novembre 2011 – Dans des temps normaux où le Système fonctionnait, on pouvait, on aurait dû penser que le coup asséné à Occupy (voir ce 16 novembre 2011), surtout en termes de communication par rapport à ce qu’on avait perçu jusqu’alors de la capacité d’affirmation statique du mouvement, portait en lui les germes d’une dissolution de ce mouvement. C’était une issue à envisager, comme un de ces événements qui retourne complètement une tendance, qui l’invertit, d’une dynamique de renforcement vers une dynamique de dissolution accompagnée des effets sur la psychologie passant de l’allant au scepticisme puis à la déroute. On peut résumer cette appréciation justement, en des termes assez triviaux mais acceptables, par ce premier paragraphe d’un article du New York Times (NYT), de James B. Stewart, le 18 novembre 2011) :
«In the wake of this week’s eviction of protesters from Zuccotti Park in New York and other urban campgrounds around the country, it’s tempting to dismiss the Occupy Wall Street movement as little more than a short-lived media phenomenon. The issues that spawned the movement — income inequality, money in politics and Wall Street’s influence — were being drowned out by debates over personal hygiene, noise and crime…»
…Il semblerait que nous ne soyons pas “dans des temps normaux”, selon une première analyse moins pressée par les évènements. Il semble bien qu’Occupy, hors de toute considération politique, idéologique, etc., mais selon cette seule considération de ses rapports avec la crise du Système et la pression des courants métahistoriques qui se manifeste, bénéficie d’une vertu que nous qualifierions du mot d’imprescriptibilité. Le coup porté contre le mouvement n’a nullement été fondamental, nullement “stratégique” si l’on veut, malgré tous les moyens mis en œuvre et le déploiement des capacités de répression du Système, mais plus simplement tactique. Encore n’est-il assuré en rien que les résultats obtenus ne se retournent pas contre ceux qui les ont obtenus, selon une capacité d’adaptabilité remarquable, et comme inconsciente, de ce mouvement.
D’une façon assez significative, il y a plus encore, – comme si les évènements de la semaine dernière avaient, au contraire, donné à Occupy une stature nouvelle. Nous poursuivons avec ce même article du NYT, dont on se doute bien, pourtant, qu’il s’agit d’un journal éminemment défavorable à Occupy, puisque lui-même représentant le faux nez libéral (“progressiste”) du Système, donc haïssant littéralement toute initiative qu’on tendrait à qualifier, à plus ou moins juste raison, de “progressiste”, tout en l’identifiant sans aucun doute comme un antiSystème (cas de Occupy). Après avoir constaté que le Day of Protest du 17 novembre n’avait rien amené de décisif, Stewart enchaîne curieusement par des témoignages qui affirment exactement le contraire d’un point de vue plus large, – qu’au contraire Occupy a mis en marche quelque chose d’irrésistible et d’irréductible. Paradoxe plus remarquable encore, il démarre sur une citation de Michael Prell, stratège de Tea Party, critique de l’aile gauchiste de la dissidence anti-américaniste, spécialiste des mouvements contestataires (gauchistes) des années 1960…
«But critics and supporters alike suggest that the influence of the movement could last decades, and that it might even evolve into a more potent force. “A lot of people brush off Occupy Wall Street as incoherent and inconsequential,” Michael Prell told me. “I disagree.” […] “They claim to stand up on behalf of the ‘little guy’ (the 99 percent), while raising a fist of protest against the big, rich, greedy and powerful 1 percent,” he said of the Occupy movement. “The parallels between Occupy Wall Street and the Berkeley Free Speech Movement are too clear to ignore — right down to the babbling incoherence of the participants. The lesson from Berkeley in the 1960s and the protest movement they spawned is: it doesn’t matter that they don’t make sense. What matters is they are tapping into a gut-level instinct that is alive, or lying dormant, in almost every human being. And, when they unleash the power of standing up for the powerless against the powerful — David vs. Goliath — the repercussions can ripple throughout our society for decades.”»
Plus loin, Stewart cite un universitaire, celui-là favorable à Occupy… «Jeff Goodwin, a professor of sociology at New York University, who has both studied and at times joined the protesters, said he felt Mayor Bloomberg did the protesters “a big favor. The attempt to disrupt or suppress the movement will backfire. People involved think this is just the beginning. People are having a conversation about what’s wrong with the country. The police are not going to dissuade them from protesting or remaining active. It’s just going to anger people and radicalize them, and maybe draw new people into the conversation.”»
• Cet article du New York Times a fait un certain bruit. Nous y sommes allés directement et avons noté, après l’avoir ainsi analysé, qu’il était repris par divers sites. On retiendra cette présentation de Truthdig.org, du 18 novembre 2011, avant la citation d’un extrait de l’article, avec le lien adéquat. Cette présentation met en évidence l’intervention de cette personnalité de Tea Party citée plus haut, qui indique effectivement combien il existe une perception répandue d’Occupy non pas comme un mouvement partisan, ou un mouvement “populiste” à placer à côté de Tea Party, mais un mouvement qui a sa propre spécificité, assez large pour influencer fondamentalement la société, et qui embrasse éventuellement Tea Party dans ce cas. Truthdig.org écrit :
«The Occupy Wall Street movement isn’t just some lefty rejoinder to the tea party, even though the two political phenomena have been subject to comparison over the last two months, but at least one prominent tea partyer joins a host of scholars and analysts in suggesting that OWS is about far more than showdowns over camping rights in various American city centers. In fact, begrudgingly or not, several culture watchers cited in this New York Times roundup predict that the movement is here to stay, regardless of whether or not the tents stay up.»
• Russia Today rapporte, le 19 novembre 2011, des impressions et des convictions recueillies parmi les manifestants du Day of Action (le 17 novembre 2011), que l’article qualifie notamment, avec une certaine emphase du point de vue quantitatif, de «human tsunami of tens of thousands of people flooded the streets of New York».
«“It’s absolutely historic – we haven’t seen something like this in America for 30-40 years, and it’s history repeating itself,” said Occupy Wall Street protester Jesse LaGreca. “This is definitely history in the making. What you’ve been seeing for the last month, two months is history in the making,” said activist James McGuinness. […]
»“We’re absolutely at stage 2. What happened yesterday was we showed the world that we are strong, we are numbers, and we are angry about what’s going on and we want solutions,” said OWS chef and demonstrator Eric Smith. Protesters say the lack of a camp, the presence of police violence and the fact that officials remain deaf to demands will only empower them more. “They started something which is going on in third world countries. I just hope it don’t happen like that in third world countries,” said protester Andre Medina.»
Russia Today termine son article avec ce qui justifie son titre : «A new dawn for the Occupy Wall Street movement has broken on the horizon.» Il s’agit manifestement d’une conviction plus que d’une démonstration factuelle, et cette conviction présente chez la plupart des manifestants du 17 novembre. Dans les conditions qu’on connaît et selon la logique intuitive, fondée sur l’aspect qualitatif des évènements, qui gouverne notre jugement et semble bien également caractériser la perception des évènements, l’emphase n’en est plus une et l’expression (“une nouvelle aube”) est justifiée.
• Le site PressTV.com rapporte dans une interview le 18 novembre 2011 cette déclaration d’un universitaire US, le professeur de dscience politique de l’université Hofstra David Michael Green. Son affirmation selon laquelle une majorité d’Américains soutient Occupy est-elle statistique, ou de simple conviction ? (On voit bien que tout le monde n’est pas d’accord, comme le montrent des remarques grotesques, dans des conditions grotesques, du présentateur de Fox.News, Chris Wallace, affirmant que les Américains “en ont marre” d’Occupy.) Là encore, l’importance (l’aspect statistique) de la question paraît bien accessoire, par rapport à l’état d’esprit mis en évidence. «[T]he majority of Americans support the ideas that they [the protesters] stand for. There is a growing consciousness in America at least that conditions for the 99 percent are not good…» Green estime que les Américains commencent à réaliser que le Système est orienté contre eux et qu’Obama, «who many people thought would be an agent of such change is absolutely not going to deliver, in fact he's quite the opposite, he's an agent of maintaining the status quo.»
• Anecdotique mais, pourquoi pas, un autre signe de la confusion et de l’évolution face à Occupy… Le goût du désordre, qu’ils imaginent être défavorables au gouvernement en place qu’ils haïssent, quelle que soit l’orientation de ce désordre, conduit des républicains à suivre désormais avec intérêt la course d’Occupy. Cela pourrait être, semble-t-il, le cas assez surprenant de Sarah Palin (voir Salon.com, le 18 novembre 2011.)
… En regroupant ces diverses nouvelles qui sont plutôt des impressions et des appréciations intuitives, mais surtout en revenant précisément à l’article du NYT, on émettra ici un avis circonstanciel, de pure tactique, avant d’aller plus au fond, plus loin. On comprend que cette évolution, ce qui paraît être une acceptation du mouvement Occupy et de ce qu’il représente par ceux qui le rejetaient absolument à l’origine, – et qui auraient dû continuer à le rejeter et qui ne l’ont pas fait, – constitue également une tentative de faire entrer ce mouvement dans les normes prospectives du Système. Cette logique, a, selon l’évidence même qui peut être ici maniée d’une façon inconsciente, l’énorme avantage d’impliquer que le Système est toujours vivant, qu’il a survécu… Cela ne se nomme pas, dans notre esprit, “récupérer Occupy” ; cela constitue plutôt une tentative d’embrasser ce qu’on ne peut étouffer, en s’arrangeant des particularités d’Occupy qu’on semble ne pas pouvoir éliminer… Ainsi, l’embrassade prend-elle l’allure d’une incantation qui s’exprimerait de la sorte, au travers des citations observées dans l’article du NYT : “Certes, Occupy est certainement une chose extrêmement importante, qui va influencer la société US profondément, – essentiellement sur le long terme”. Ce serait alors assigner à Occupy une fonction réformatrice, sinon de réhabilitation du Système. La référence au Berkeley Free Speech Movement est également rassurante : le Système, après tout, a résisté au radicalisme du mouvement de Berkeley, et même, suppose-t-on dans cette sorte de logique, en est sortie bonifiée (argument si audacieux qu’il reflète bien la folie de notre époque). Bien entendu, tout cela pure théorie, de notre part certes et dans le mode intuitif, – et de la part du Système si ces ambitions existent.
… Bien entendu, ces appréciations “tactiques” sont d’autant plus significatives qu’elles interviennent alors que, comme nous l’avons observé plus haut, l’appréciation normale que le mouvement Occupy aurait subi un revers peut-être décisif lors des expulsions coordonnées n’est absolument pas suivie. Cette “tactique” de groupes qu'on supposerait méfiants ou hostiles à Occupy, tendant à donner une importance considérable à ce mouvement, semble alors complètement absurde, ou à tout le moins contre-productive par ce qu’elle révèle. Le fait qu’elle serait développée deviendrait alors une indication d’un événement beaucoup plus profond, que nous allons tenter de définir ci-après. Il s’agit évidemment du constat, également fait plus haut, entre “Dans des temps normaux…” et le “Il semblerait que nous ne soyons pas ‘dans des temps normaux’…”
L’hypothèse que nous proposons devant cette réaction générale qui tend à poursuivre et même à renforcer l’institutionnalisation du mouvement Occupy alors qu’un coup tactique important lui a été porté sans qu’il trouve lui-même une riposte décisive sur l’instant nous conduit à nous tourner vers le domaine de la psychologie collective. Nous avons déjà largement exploré la chose, notamment en rendant compte, le 11 novembre 2011 du dernier numéro de dde.crisis (du 10 novembre 2011) qui est consacré à Occupy et, justement, qui explore avec attention ce domaine.
Notre hypothèse déjà proposée se développe alors en étendant le champ de la psychologie collective dont Occupy est le bras séculier, la courroie de transmission qui a été saisie par le hasard des formations de telles initiatives d’habitude éphémères, à ceux qui le combattent au nom du Système. C’est-à-dire que le courant de psychologie collective dont Occupy est l’expression toucherait également ceux qui s’opposent à cette sorte de mouvement, qui sont à leur tout poussés à le considérer comme effectivement représentatif d’un phénomène de révolte dont eux-mêmes sentent toute la force et le poids (même, bien sûr, s’ils n’apprécient pas cette révolte). Ainsi, en conformant l’institutionnalisation d’Occupy, c’est à eux-mêmes qu’ils se réfèrent puisqu’eux-mêmes sont sensibles à cette dynamique psychologique collective.
C’est dire si nous confirmons, encore plus, l’hypothèse que ce phénomène psychologique collectif rencontre des courants métahistoriques, comme un signe que ce phénomène constitue une sollicitation à l’action directe de ces courants. Ce que nous observions à propos de dde.crisis est, aujourd’hui, encore bien plus valable, puisque s’appliquant aussi bien désormais à l’opposition ou aux observateurs jusqu’à il y a peu sceptiques d’Occupy…
«La poursuite de notre hypothèse dans le cas qui nous occupe est que cette “dynamique psychologique” de révolte apparue en même temps qu’Occupy, et qui s’est incarnée dans Occupy, est un phénomène qui doit s’entendre et se percevoir dans un cadre métaphysique. Nous le lions aux grands courants métahistoriques qui pressent l’extension de la crise d’effondrement de notre contre-civilisation. Cette idée est substantivée sous la forme de cette remarque que “la question est moins de savoir pourquoi l’‘insurrection’ a tant tardé, que de savoir pourquoi elle survient maintenant”.
»“L’‘opérationnalité’ de ce phénomène nous intéresse particulièrement. Notre conviction est qu’il existe des forces métahistoriques, ou suprahistoriques, que ces forces ont un effet sur les événements historiques, et qu’il n’est pas indifférent de chercher à comprendre comment. La connexion doit être cherchée, à notre sens, dans la manifestation collective des psychologies, lorsque les perceptions des événements conduisent à des réactions particulièrement fortes et pressantes. Nous sommes à une jointure effectivement pressante de l’Histoire, à ce qui apparaît comme la fin d’une civilisation devenue contre-civilisation, et d’un cycle. Les psychologies finissent effectivement par susciter des réactions similaires et à créer un courant collectif, qui agit, par son être même, comme le signal d’une disponibilité à l’action dans le cadre de cette crise.”»
C’est de cette façon que nous interprétons cette attitude d’un journal comme le New York Times, qui ne peut être que l’ennemi juré d’un système antiSystème comme Occupy, et qui semble désormais s’en arranger suffisamment, jusqu’à le grandir plus qu’il n’est, du moment qu’une telle opération pourrait donner une chance de préservation du Système. De même, à partir de cet exemple certes spectaculaire, qui semble pérenniser le mouvement Occupy malgré les réalités opérationnelles qui restent incertaines, on peut comprendre, en se référant à d’autres situations (voir notre F&C du 2 novembre 2011), qu’il s’agit bien d’une extension vertigineuse du sentiment de la crise générale, et de la normalité admise de réactions qui mettent en cause la légitimité de toutes les formes possibles du Système. De ce point de vue, on ne peut que partager les avis qui font d’Occupy un mouvement non pas à son terme, mais à son commencement, – rien de moins, – et un mouvement parmi d’autres dans ce sens, et qui seront suivis et renforcés d’autres de cette sorte. De ce point de vue encore, et en fonction des réactions comme celles que nous mentionnons, on doit comprendre que toutes les surprises concernant l’extension et l’orientation du mouvement sont possibles.
A notre sens, tout cela nous éloigne de plus en plus radicalement des perspectives habituelles, y compris et surtout celles d’affrontements entre classes possédantes et serviteurs du Système d’une part, le reste (“les 99%”) d’autre part. Nous sommes face à des perspectives à la fois bien plus complexes et bien plus radicales, où plus aucune structure n’est capable de tenir sérieusement, et cela simplement grâce aux pressions de la communication et aux tensions psychologiques suscitées par ces événements, sans réel circonstance sérieuse de violence. (Depuis le 17 septembre, il n’y a pas eu encore un seul mort du fait directement du mouvement Occupy et de la riposte contre Occupy.) Notre explication de l’intervention de puissantes forces métahistoriques est plus que jamais, à notre sens, à considérer. Il existe un sentiment qui se générale, qui ne s’appuie sur aucun événement décisif, sur aucun de ces évènements habituels de déplacement de popularité et de dynamique de la défaite et de la victoire, qui fait sentir confusément que le Système est dans sa phase accélérée d’autodestruction… Il n’y a pas nécessairement d’événements à attendre, qui soit un événement de rupture décisif, de type révolutionnaire, entérinant une “victoire” ou une “défaite” d’un côté et de l’autre ; il s’agit plutôt de considérer que les deux côtés, tout en jouant leur rôle (l’un de démolisseur du Système, l’autre de défenseur sans espoir du Système) sont eux-mêmes placés devant la perspective de l’effondrement du Système qui les affecte tous, ou les concerne tous, qui nous affecte et nous concerne tous…
En ce sens, nous souscrivons absolument et absolument pas, successivement, à l’analyse qu’on retrouve notamment dans ces deux phrases, mais en leur donnant un sens bien plus large comme on le comprend : «What matters is they are tapping into a gut-level instinct that is alive, or lying dormant, in almost every human being. And, when they unleash the power of standing up for the powerless against the powerful — David vs. Goliath — the repercussions can ripple throughout our society for decades.» Il est absolument vrai que le phénomène touche quelque chose qui était “dormant” en nous (ou “en eux”), et qui est de ce fameux domaine de la psychologie devenant collective à cette occasion ; mais il est absolument faux de penser que cela va se faire sentir “dans nos société durant des décennies”, parce que le temps est en train de se contracter à une rapidité extraordinaire, que les conséquences sont quasi instantanées, et que la société en question, telle qu’elle est, va s’écrouler avec le Système bien avant qu’on puisse même envisager de compter en décennies, pour explorer des situations et des domaines complètement nouveaux.
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