De l’“oil spill” à la mise en cause du système

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…Justement, il faut passer de l’appellation catégorielle de “oil spill” à celle de “catastrophe environnementale”, c’est la première proposition de Jim Wallis, dans Huffington.post du 3 juin 2010. Constatant le mouvement général d’horreur et d’interrogation sur cette catastrophe dont les effets environnementaux commencent à être diffusés par le système de la communication aux USA, Wallis observe qu’il s’agit d’un “teachable moment”, une occasion pour que la pensée effectue une réflexion de rupture. «This could be one of those moments when the nation's attention all turns to the same thing, as in 9/11 and the days after Katrina. To use an over-used phrase, this could be a “teachable moment”…»

Wallis, auteur et organisateur d’organisations chrétiennes progressistes, développe une argumentation pour l’appréciation fondamentale de la catastrophe.

«Theologically, we are witnessing a massive despoiling of God's creation. We were meant to be stewards of the Gulf of Mexico, the wetlands that protect and spawn life, the islands and beaches, and all of God's creatures who inhabit the marine world. But instead, we are watching the destruction of all that. Why? Because of the greed for profits; because of deception and lies; because of both private and public irresponsibility. And at the root, because of an ethic of endless economic growth, fueled by carbon-based fossil fuels, that is ultimately unsustainable and unstable.

»It's not just that BP has lied, even though they have – over and over – to cover up their behavior and avoid their obligations. It is that BP is a lie; what it stands for is a lie. It is a lie that we can continue to live this way, a lie that our style of life is stable and sustainable, a lie that these huge oil companies are really committed to a safe and renewable energy future. BP should indeed be made to pay for this crime against the creation – likely with its very existence.

»But I am also reminded of what G.K. Chesterton once said when asked what was most wrong with the world. He reportedly replied, “I am.” Already, we are hearing some deeper reflection on the meaning of this daily disaster. Almost everyone now apparently agrees with the new direction of a “clean energy economy.” And we know that will require a re-wiring of the energy grid (which many hope BP will have no part in). But it will also require a re-wiring of ourselves – our demands, requirements, and insatiable desires. Our oil addiction has led us to environmental destruction, endless wars, and the sacrifice of young lives, and it has put our very souls in jeopardy. New York Times columnist Tom Freidman recently wondered about the deeper meaning of the Great Recession when he asked, “What if it's telling us that the whole growth model we created over the last fifty years is simply unsustainable economically and ecologically and that 2008 was when we hit the wall – when Mother Nature and the market both said, ‘No More.’” The Great Spill makes the point even more.»

Notre commentaire

@PAYANT Il est vrai que le “oil spill” est en train de devenir, du point de vue de la perception de l’événement aux USA, une catastrophe de l’environnement suggérant de plus en plus précisément une critique systémique de notre organisation générale, ce qui implique le passage de la pensée critique du domaine économique au domaine eschatologique. Cette évolution est puissamment aidée par la longueur de l’événement et par les images de ses effets sur l’environnement qui commencent à s’imposer. La lenteur du processus est caractéristique de l’état d’esprit américaniste, où l’économisme domine la pensée, alors que cet état d’esprit a été largement alimenté pour la critique par la querelle et les polémiques sur le rôle de BP et sur l’attitude des autorités fédérales par rapport à BP.

En un sens, cette lenteur n’est pas un désavantage mais peut être un signe de la profondeur qui pourrait affecter le changement de l’état d’esprit en cours, – de l’économisme justement, à l’environnementalisme catastrophique. C’est également un signe que ce changement est moins la conséquence de l’activisme des “environnementalistes”, – toujours suspects aux yeux du système de la communication, – que d’un constat plus général qui affecte l’orientation de ce même système de la communication. Jim Wallis ne représente certainement pas un courant majoritaire puisqu’il se situe effectivement en partie dans le mouvement environnementaliste, dans sa marge d’un activisme religieux très différent de l’activisme religieux US habituel (ce dernier, très lié à une conception économiste propre à l’américanisme, et souvent adversaire de l’environnementalisme).

De même cette lenteur de la prise de conscience de la signification de l’événement, – de l’économisme à l’environnementalisme catastrophique, – est une grande différence avec les deux autres événements cités par Wallis (9/11 et Katrina). Dans ces deux cas, la réaction avait été très forte et immédiate, et aussitôt récupérée par le système de l’américanisme, dans le sens de l’exploitation politique avec l'orientation qu’on sait (9/11) et de la récupération d’une réaction immédiate qui aurait pu être celle d’une mise en cause du système au profit de la mise en cause d’une administration Bush déjà très contestée (Katrina). Dans les deux cas, l’essentiel était manipulé. Cette fois, au contraire, la lenteur de la réaction implique une graduation de cette réaction vers la matière essentielle de la catastrophe, ce qui évite en un sens l’exploitation politique et la récupération qui n’ont lieu que dans la violence et l’émotion d’une réaction immédiate, très aisément manipulables. Cette fois, le système de la communication est beaucoup moins mobilisé dans le sens de la défense du système, puisque sa mobilisation a eu lieu à cause de BP et autour de ce cas ; le système de la communication est beaucoup plus susceptible d’être au contraire utilisé cette fois en faveur d’une évolution des réactions vers les questions fondamentales. (Le système de la communication n’est pas un système aisément maniable, voire, paradoxalement, aisément manipulable. Il sert évidemment à la manipulation pour la défense du système général, lorsqu’il intervient dans les effets immédiats et très forts, très émotionnels, là où la manipulation est très aisée. Mais il peut servir à la cause exactement inverse, pour la mise en cause du système, lorsqu’il intervient sur le long terme, en servant à diffuser une évolution plus lente, une prise de conscience comme celle à laquelle Wallis fait allusion. Dans ce cas, le système de la communication peut être retourné contre le système général qu’il est censé défendre.)

Le paradoxe assez épouvantable de la catastrophe de Deepwater Horizon, c’est que sa vertu est dans sa durée et dans l’apparition progressive de sa profondeur catastrophique et eschatologique. Cela conduit à l’évolution lente de l’état d’esprit, à la réflexion incontrôlable par les défenseurs du système parce que cette réflexion est par nature insoumise à l’émotion immédiate et à la manipulation qui l’accompagne. Dans ce cas, même nombre de défenseurs du système qui auraient réagi dans ce sens si l’effet immédiat avait été de mettre en cause le système, sont conduits peu à peu à réagir dans l’autre sens. C’est alors que le système de la communication, défenseur du système dans le cas d’une grande émotion immédiate, peut devenir le véhicule, le “complice” si l’on veut, d’une attitude inverse sur le terme. Il est ainsi très caractéristique de la lenteur et de l’imprégnation de l’esprit de l’américanisme par l’économisme que des réactions telles que celle de Wallis ne soient pas apparues, ou n’aient bénéficié d’aucune publicité, dès les premiers jours suivant le 20 avril.

Pendant six semaines, il n’a été question que de la querelle technique, économique, juridique, administrative, etc., entourant le rôle de BP. Cette polémique a eu la vertu de désamorcer la réaction de l’économisme dans le sens d’une tentative d’étouffement des véritables dimensions de la catastrophe. Elle permet au second stade, le plus important, celui de la mise en cause du système, d’apparaître sans provoquer de réactions particulières des facteurs humains et de communication de défense du système, ceux-ci et ceux-là surtout occupés à la querelle autour de BP. Il est possible que des réflexions comme celles de Wallis puissent se développer avec un grand écho public, sans entraves réelles, d’autant plus que les effets de la catastrophe continuent, s’accroissent, commencent à avoir un effet général de communication impressionnant, et touchent directement au cœur du moteur du système puisque ce sont les USA qui sont affectés… Il est possible que nous entrions dans la deuxième phase de la catastrophe du point de vue du système de la communication, celle où la mise en cause du système, après avoir été une idée introduite dans le débat sans crier gare ni attirer l’attention, apparaisse comme pouvant s’imposer comme le facteur majeur de la réflexion. Il n’est pas indifférent que, six semaines après la catastrophe, un site comme Huffington.post, avec son audience énorme mais dont on sait qu’il reste tout de même lié au système malgré ses divers choix critiques, continue à consacrer régulièrement l’essentiel de sa mise en page de tête à la catastrophe, mais cette fois (comme c’était le cas encore ce matin) dans ses effets écologiques et environnementaux, – de l’“oil spill” à la catastrophe environnementale systémique.


Mis en ligne le 4 juin 2010 à 08H16

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