De “Londonchistan” à Londonderry, l’étrange dérive hystérique avec le cas exemplaire de Tony Blair

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De “Londonchistan” à Londonderry, l’étrange dérive hystérique avec le cas exemplaire de Tony Blair


7 août 2005 — Au plus ce magnifique politicien qui fait couiner d’admiration la presse parisienne avance dans sa carrière, au plus il nous démontre la puissance de cette étrange évolution de l’intelligence soumise absolument à la bêtise d’un système qui l’enchaîne d’une façon impitoyable. Tony Blair est en voie d’américanisation achevée, non par sa politique mais par la psychologie qui l’anime désormais, — encore plus l’esprit de la chose que la chose elle-même. Les dernières décisions qu’il a annoncées (le 5 août) contre le terrorisme, en même temps que le climat qu’il installe en Angleterre montrent cette évolution. De ce point de vue de l’hystérie, de la représentation virtualiste du monde, de la création totalement artificielle de conflits internes, — toutes choses dépendant également de la psychologie, —l’Angleterre est en passe d’américanisation complète.

Un journaliste et écrivain britannique musulman, Hari Kunzru, explique à The Independent aujourd’hui: « I was in the US for 9/11 and the atmosphere on the Tube and the buses is reminiscent of the atmosphere at airports then. I feel like I am getting funny looks, and the worst of it is I am giving them to other people.It isworrying to see the police so hyped up. If you're young, male and dark-skinned, the dead Brazilian is never far from your mind as you travel. »

Le Guardian, qui a toujours combattu Blair à fleurets mouchetés (nous parlons du journal en tant que tel, dans ses éditoriaux non signés, et ici nous citons l’éditorial d’hier matin), désigne les mesures anti-terroristes annoncées vendredi par le Premier ministre comme « worse than the disease ». Des analystes des services de renseignement, dont on connaît l’habileté depuis quatre ans dans ces matières (les ADM en Irak, la résistance irakienne et l’Irak transformé en école générale de formation des jeunes terroristes, la capture de Ben Laden, la destruction d’Al Qaïda, etc), annoncent au Premier ministre qu’une “insurrection musulmane” (?) est désormais possible en Angleterre ; c’est l’Irlande installée au cœur de Londres...

Il y a deux aspects dans l’acte du premier ministre, dans les mesures elles-mêmes comme dans le fait d’avoir décidé précisément ces mesures. Malheureusement, le constat général auquel on est conduit est bien pessimiste : le gouvernement britannique et son PM sont sur la voie de perdre toute mesure, tout bon sens qui pouvait en général sauvegarder certaines politiques européennes de l’absurdité où conduit la pression américaniste générée par le système (notamment avec le virtualisme conjuguant une perception faussée du monde, la démagogie et la fausse autorité qui s’en déduisent).

Ce qui caractérise les mesures annoncées, c’est leur caractère de confrontation systématique qui n’est tempéré par aucune de ces démarches nuancées, habiles, etc., qui caractérisent en général l’approche du terrorisme par les Européens. Un expert en renseignement, Crispin Black, ancien analyste du MI6 pour le gouvernement devenu directeur de la société Janusian Security Risk Management, pourtant partisan des lois décidées, donne a contrario (dans une déclaration au Guardian) l’exacte mesure de leur faiblesse et de leur insuffisance et, par là, les effets contraires graves qu’elles peuvent entraîner. La référence française de Crispin Black est caractéristique: « I don't think [these laws] are controversial and the overall thrust is what a reasonable percentage of our population will applaud. We need to have laws like this and they will help a little bit although I would like to see more border control and some indication of how we are going to tackle intelligence.

» We need to adopt the French style of intelligence where people report or freely give information, with the communities themselves feeling they have a duty to keep the government updated. »

Il s’agit de lois répressives “de complément”, normalement mises en place pour compléter un dispositif “à la française”, avec coopération et quasi-intégration de la population concernée dans la lutte générale contre le terrorisme. Placer de telles lois au cœur du dispositif les dénature complètement et revient à faire de l’exception la règle, et de la population générale (la communauté musulmane) une population de suspects où il revient au citoyen de prouver son innocence largement compromise par son aspect physique.

Tony Blair montre une fois de plus l’incapacité de se dégager de son carcan de Premier ministre martial, de “Churchill-II”, où il s’est glissé lors de la guerre du Kosovo, et où il s’est enfermé à double tour depuis le 11 septembre 2001. Blair est prisonnier de lui-même, du rôle qu’il s’est imposé de jouer (sur les conseils de ses directeurs de communication, à commencer par Alastair Campbell), du rôle qu’il s’est imposé de jouer par ailleurs avec délectation. Il a cédé au jeu étrange des leaders politiques postmodernes, particulièrement anglo-saxons, qui ont perdu tout pouvoir politique au cœur du système économiste dont ils font la promotion, et qui ne semblent plus pouvoir exister qu’en mélangeant un scénario de leurs services de communication avec une vision martiale du monde.

Le résultat est extraordinairement déstabilisant et déstructurant. Le “Londonchistan” du laxisme bien connu (l’absence initiale complète de contrôle des flux terroristes au Royaume-Uni), dénoncé par tous les services contre-terroristes européens, a laissé place à l’autre extrême, l’installation d’un nouveau Londonderry au cœur de Londres, à l’image de l’opposition entre catholiques et protestants. Le gouvernement britannique va devoir céder systématiquement à l’alarmisme de ses services de sécurité, parce que cet alarmisme est désormais sa politique elle-même ; il va devoir vivre dans la hantise, non plus du prochain attentat, mais de la véritable guerre. Un avant-goût de la chose, dans The Independent du jour :


« Intelligence chiefs are warning Tony Blair that Britain faces a full-blown Islamist insurgency, sustained by thousands of young Muslim men with military training now resident in this country.

» The grim possibility that the two London attacks were not simply a sporadic terror campaign is being discussed at the highest levels in Whitehall. Fears of a third strike remain high this weekend, based on concrete evidence supplied by an intercepted text message and the interrogation of a terror suspect being held outside Britain, say US reports.

» As police and the security services work to prevent another cell murdering civilians, attention is focusing on the pool of migrants to this country from the Horn of Africa and central Asia. MI5 is working to an estimate that more than 10,000 young men from these regions have had at least basic training in light weapons and military explosives.

» A well-connected source said there were more than 100,000 people in Britain from “completely militarised” regions, including Somalia and its neighbours in the Horn of Africa, and Afghanistan and territories bordering the country. “Every one of them knows how to use an AK-47,” said the source. “About 10 per cent can strip and reassemble such a weapon blindfolded, and probably a similar proportion have some knowledge of how to use military explosives. That adds up to tens of thousands of men.” »


Et ce pays est le modèle de l’Europe (et président de l’UE, par surcroît), destiné à inspirer l’Europe et à devenir le leader de l’Europe? La réalité est exactement inverse : placée sur cette course et si elle ne l’infléchit pas d’une manière ou l’autre, l’Angleterre est en train de se détacher irrésistiblement de l’UE, plus qu’elle n’a jamais imaginé elle-même pouvoir le faire. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ce vieux pays européen saura interrompre une rupture psychologique construite sur une politique (celle de Tony Blair contre l’Irak) qui n’a reposé sur rien. Évidemment, tout cela est lié : autant les attentats terroristes sont liés à la politique irakienne de Blair, autant la réaction qu’on observe aujourd’hui au niveau des autorités lui est liée ; reste à voir, sur le terme, la réaction du peuple britannique.