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4729... Notez bien, en passant et avant d’en venir au principal, que la Russie ayant finalement promis son aide à la Loukachenko, après bien des réticences et des hésitations hostiles, il s’avère que l’on se dit que Moscou a finalement pris des dispositions. L’habituelle nouvelle (habituelle depuis 2013-2014 dans cette sorte de crise) est l’annonce conditionnelle et hypothétique du déploiement de missiles tactique à courte portée Iskander-M, à capacités nucléaires (mais aussi conventionnelles, bien entendu), activée sur les frontières de la Biélorussie, prêts à intervenir en cas d’invasion de l’OTAN. Certains milieux sans doute proche des militaires russes ont laissé dire qu’on pourrait même faire intervenir des missiles hypersoniques déjà déployés, sans doute sans têtes nucléaires, mais histoire de montrer à l’Ouest de quoi il s’agit, et combien ils sont dépourvus de toute capacité de défense contre cette sorte de systèmes. L’emploi du missile air-sol Kinjai portés par MiG-31 (Mach 10, 2 000 km portée), à tête conventionnelle dans ce cas, est envisagé par les plus audacieux dans une circonstance où l’audace est proche de l’habileté et de la sagesse, et bien entendu histoire de faire la démonstration que la Russie means business.
Pour les militaires russes, ce serait même une aubaine : faire une démonstration ô combien in vivo, pas nécessairement contre un objectif pouvant être un casus belli, pour que le bloc-BAO mesure dans quelle situation l’on se trouve. S’il y a désormais, – position brusquement nouvelle avec la dramatisation de la situation en Biélorussie et l’évolution tactique de la position de Poutine, – une possibilité pour les militaires russes de disposer d’un champ d’action type-Guerre Civile d’Espagne, avec beaucoup moins de risque d’enlisement, c’est la Biélorussie. Les militaires russes sont clairement partisans de faire sentir opérationnellement le poids et la force de frappe des capacités russes, – sur la perception des USA notamment, en grande agitation et totalement cul par-dessus tête avec leur situation intérieure révolutionnaire-chaotique.
Actuellement, la Pologne et les pays baltes font du lobbying pour une intervention US. Pompeo, dit “Romeo” pour les amis de ce front, est l’homme chargé de la besogne de ce côté. Mais il est peu soutenu, car Trump est tout entier tourné vers le front intérieur et n’attend rien, sinon des ennuis, d’un nouveau front extérieur, y compris de la recette usée d’une ‘révolution de couleur’ dont on a vu le succès triomphal en Ukraine. Quant aux pays otaniens du “front”, qui sont également membres de l’UE qui songe, avec la France en tête, à des sanctions contre Loukachenko, leur activisme est leur maximalisme entraînant ceux de l’UE portent essentiellement un “risque” : celui d’offrir éventuellement à Moscou la bonne affaire qu’on évoquait plus haut.
La Russie était grandement hostile à Loukachenko ces derniers temps, et notamment de ses tentatives de chantage en se rapprochant des USA, – cela déclenchant en bonne partie, quelle ironie, l’actuelle contestation où chacun voit une subversion colorée évidemment subventionnée par, – ‘Who else ?’, – les Etats-Unis. La Russie veut bien venir à l’aide de Loukachenko, mais à un bon prix qui est celui d’un rapprochement biélorusse avec comme finalité une fédération avec la Russie. Dans tous les cas, selon Galia Ackerman (historienne et traductrice, spécialiste des pays de l’ancienne URSS et de l’Europe centrale, interviewée par Figaro-Vox le 14 août 2020), la Russie soirtira gagnante de cette crise :
« Personne ne va accuser la Russie d’ingérence. Mais si l’Union européenne impose des sanctions à la Biélorussie, cela va contraindre Loukachenko à accepter le deal avec la Russie.
» La Pologne et la Lituanie, pays frontaliers et historiquement proches de la Biélorussie, essaient de donner à Loukachenko une porte de sortie. Ces pays l’ont invité à se tourner vers l’Europe et se soumettre à ses lois. Si Loukachenko mérite les sanctions pour son traitement de l’élection présidentielle, les pays frontaliers savent que ces sanctions de l’Union européenne causeront nécessairement un nouveau rapprochement de Minsk avec la Russie.
» Quoi qu’il arrive la Russie sortira gagnante de cette histoire ; soit les manifestations vont obliger Loukachenko à se retirer du pouvoir, laissant ainsi la voie libre à Poutine ; soit Loukachenko se maintient, mais pour réussir à gouverner, sous les pressions de la population et de l’Union européenne, il devra accepter une aide venant de l’Est. »
Madame Ackerman, dans une réponse à une question précédente, avait précisé de quel “deal” il s’agit, de la part des Russes et de Poutine :
« En réalité, Vladimir Poutine souhaite un état d’union entre la Russie et la Biélorussie. Il espère une union supranationale, censée conduire à une progressive ‘fusion’ entre la Fédération de Russie et la République de Biélorussie. Si l’embrasement continue et que Loukachenko tombe, les Russes pourront imposer leur candidat très facilement. »
Ce que monte l’affaire biélorusse principalement, à côté des maladresses de Loukachenko, c’est à quel degré de désintérêt est tombée la politique extérieure, y compris ses poussées déstabilisatrices et ses diverses “révolutions de couleur”. (Nous parlons essentiellement du point de vue de la communication, mais en ayant à l’esprit, ce que nous répétons souvent, que la communication, le système de la communication, constitue aujourd’hui le principal producteur de puissance, voir le principal inspirateur de toute dynamique de puissance.)
Lorsqu’on se rappelle la tension et la perception d’être au bord d’affrontements majeurs qui accompagnèrent les crises diverses des ‘révolutions de couleur’ à partir de 2010, et particulièrement la crise ukrainienne, d’un pays voisin de la Biélorussie et de la Russie, d’une importance stratégique équivalente du point de vue de l’équilibre des forces principales, la différence est stupéfiante. En 2014 (comme en 2010, comme jusqu’en 2015-2016), tension et perception d’affrontement apocalyptiques prévalaient, alors qu’on relève aujourd’hui une espèce d’indifférence marquant les événements de Biélorussie, à peine coupée de l’habituel vote inutile de l’inutile Parlement Européen, et d’une agitation macronienne “au nom de l’Europe-qui-compte”. On comprend alors, avec un peu de souplesse d’esprit, que l’on se trouve dans une époque complètement nouvelle, dans une phase nouvelle de la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES).
En d’autres temps, un candidat en difficultés aux présidentielles US, ou un parti cherchant à s’affirmer dans cette même puissance en année électorale, aurait sauté sur l’occasion de tenter de réunir toute l’opinion US derrière lui en poussant les feux d’une telle crise selon les habituelles attitudes infâmes, illégales et irrespectueuses des lois et des usages de la politique étrangère US. On n’en est plus à ces manœuvres qui supposaient que tout le monde dans la direction US jouait le jeu du simulacre de démocratie qui règne à Washington D.C., et de la toute-puissance sur les esprits de la surpuissance commune de la politiqueSystème des USA. Désormais, là-bas, plus personne ne joue de jeu, ni n’accepte de simulacre où il semblerait reconnaître l’adversaire intérieur comme légitime, ni même ne se justifie par rapport à la politiqueSystème ; c’est “la bourse ou la vie”, au pays des cow-boys et du crime organisé, alors que les grilles de la clinique psychiatrique ont été grandes ouvertes pour permettre au coucou de venir faire un vol au-dessus de son nid.
Les deux partis essentiellement qui s’opposent à Washington D.C. et sur le territoire de l’Union, se haïssent bien plus qu’un Loukachenko ou qu’un Poutine. Les deux, ils jouent leur survie, parce qu’ils n’imaginent pas survivre à une défaite de cette bataille interne, ni laisser survivre l’autre s’il l’emporte. Plus rien désormais, notamment un conflit extérieur soi-disant ‘mobilisateur’, ne peut détourner l’attention de la crise intérieure colossale touchant les USA. Alors, les USA ainsi touchés, et les crises ayant la capacité de diffusion de la globalisation américaniste-occidentaliste, c’est tout le bloc-BAO qui se trouve privé par l’indifférence de cette vertueuse capacité d’ingérence active, d’affirmation impérialiste proclamée, comme ce fut le cas notamment et particulièrement avec l’Ukraine, si proche de la Biélorussie.
C’est tout juste si l’on songe à dénoncer Poutine et à l’insulter, comme ça, en passant. Le bloc-BAO a bien d’autres préoccupations désormais, notamment celle de sa survie, – même s’il ne le dit pas droitement, c’est bien de cela qu’il s’agit. Poutine, lui, est largement moins inquiet que durant l’affaire ukrainienne. Lui aussi sent que leurs préoccupations, à l’Ouest, c’est leur nombril qui ne cesse de cracher le sang d’encre de leurs angoisses et de leurs tensions insupportables.
Cela ne signifie pas que nous sommes quitte d’une crise biélorusse. Quelque esprit finaud pourrait objecter : “Au contraire, puisqu’on ne s’y attend pas !”. Il y a peut-être du vrai là-dedans, comme il y aurait eu du vrai dans quelque commentaire qui eût écrit début janvier 2020 : “Ils sont à mille lieux d’y penser ! Ils ne savent pas ce que c’est que ce sacré Covid19 qui va leur tomber sévère sur la tête !” Nous en sommes tous, pour la prospective, du parti et de la vista de l’aveugle qui irait bien à la place de l’“idiot” shakespearien, ou plutôt qui le compléterait aux dépens du rangement de la métrique : « Une histoire, racontée par un idiot [aveugle], pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »
Par conséquent, la Biélorussie est pour l’instant une crise en mode mineur malgré la hauteur de ses enjeux stratégiques, qui pourrait, sans y prendre garde, évoluer en mode majeur et devenir bruyante et pressante. Ce serait à notre insu, sinon à celui du secrétaire d’État Pompeo, dont les services continuent pourtant, quoique aveuglement et idiotement, leur travail de termites déstructurantes. Mais même dans ce cas, les USA et le bloc-BAO parviendraient à en faire un élément de plus pour en priorité aggraver la crise de leurs affrontements intérieurs.
Mis en ligne le 17 août 2020 à 14H20