De moment de vérité en moment de vérité…

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De moment de vérité en moment de vérité…


15 janvier 2007 — Comme tout bon journaliste dissident, comme tout chroniqueur pressé d’en arriver à l’essentiel, nous employons souvent des expressions définitives. Cette fois est une occasion qui vaut de s’arrêter. Nous pensons avec la plus ferme conviction que l’une ou l’autre de ces expressions à sa place, ici et maintenant, — “moment de vérité”, par exemple.

Nous tenons cet article du New York Times (NYT), d’ores et déjà signalé par ailleurs sur ce site, comme un “moment de vérité”. Il ne provoque pas des événements historiques ni n’annonce des bouleversements violents immédiats, des émeutes, une insurrection, une polémique, etc., — non, rien, de tout cela. C’est un “moment de vérité” correspondant à une époque, l’ère psychopolitique, où les puissances essentielles sont l’information et la communication. L’Histoire se fait sous nos yeux et cet article est un Moment de l’histoire de notre temps.

Il nous signale que la Grande Crise américaniste est entrée dans sa phase terminale. Il s’agit sans aucun doute, dans la manière policée du NYT mais tout de même avec des phrases carrées qui en disent long sur le degré d’exaspération, d’un véritable appel à un coup de force. “Si GW ne comprend pas et puisqu’il ne comprend pas, à toi Congrès des Etats-Unis, à toi de faire…" En d’autres mots, l’establishment, — car c’est bien cette force toute puissante dont le NYT est la voix quasiment “autorisée” — n’en peut plus. “Enough is enough” . L’autorisation est donnée, la chasse est ouverte. (Ce n’est pas pour cela que la cause est entendue, on le verra plus loin.)

Relisez ces mots où GW n’a même pas droit à son titre de “président”.

«If Bush refuses to deliver this ultimatum to Maliki, Congress will have to do so in his stead. That's not the usual division of labor between the executive and legislative branches, but it is one that Bush has made necessary by his refusal to face realities. The potential consequences of his failed leadership are so serious that neither the new Democratic majorities in Congress, nor the public at large, can afford the luxury of merely criticizing from the sidelines.

»So far, Congress is off to an encouraging start, holding substantive oversight hearings and asking probing questions of administration officials for the first time in too many years. Similarly encouraging has been the bipartisan character of this reinvigorated oversight. Congress should continue asking hard questions. And it must insist on real answers before acting on any new requests for money to support Bush's plans to send more troops to Baghdad. Congress has the authority to attach conditions to that money, imposing benchmarks and timetables on Bush, who then would be forced to impose them on the Iraqi government.

»It's now up to Congress to force the president to live up to his constitutional responsibilities and rescue America from the consequences of one of its worst strategic blunders in modern times.

»History will surely blame Bush for leading America into Iraq, but it will blame Congress if it does not act to push him onto a more realistic path.»

C’est un moment de vérité parce que c’est l’aveu que le système est au bout de sa patience et au bout de ses possibilités, qu’il ne lui reste que la “manière forte”. C’est l’aveu que la Grande Crise américaniste est arrivée à terme. (Car c’est bien là, à Washington, qu’est l’épicentre de la crise du monde, et nullement à Bagdad ni dans les camps afghans des terribles terroristes qui menacent notre civilisation sans exemple. Cela est vrai d’une façon éclatante et désormais imprescriptible au moins depuis le 11 septembre 2001.)

Le rouge est mis mais la cause est loin d’être entendue parce que nous sommes dans un système verrouillé et qui fut conçu pour être verrouillé. Le système américaniste est un système quasiment parfait, à condition que ceux qui en assurent le fonctionnement soient au-dessus de tout soupçon, bons petits soldats du système et conscients de l’intérêt collectif de la bonne marche du système, à condition qu’ils jouent le jeu. Ce n’est plus le cas.

• Le système est vraiment démocratique, — c’est-à-dire avec des valves de sécurité qui se tiennent les unes les autres. (Soyons précis et peu vertueux: par “démocratique”, nous n’entendons pas, bien évidemment, que le peuple puisse s’exprimer parce que cela n’a jamais été le but de la démocratie bien comprise, — dito, l’anglo-saxonne. Par “démocratie”, nous entendons l’idée que le système puisse être contrôlé par tous les pouvoirs qui ont voix au chapitre. Depuis que la Constitution débute par les mots «We, the people…», on sait que le peuple de la plus glorieuse démocratie du monde n’existe plus per se, qu’il n’existe que dans le chef de ses représentants, que ceux-ci sont le peuple.) Le système de “check & balance” organise la paralysie mesurée et correspondante des différents pouvoirs du système, pour qu’aucun ne puisse affirmer sa prééminence. Les Founding Fathers l’ont voulu ainsi. Cela signifie que le Congrès, s’il peut effectivement parvenir au blocage de l’action du Président, voire à son élimination du processus politique, ne le peut que lentement et d’une façon restreinte (la procédure de la destitution prend du temps). Or, le temps presse à Bagdad et dans le bunker de la Maison-Blanche.

• Le “grain de sable” dans la mécanique parfaite du système n’est pas un dissident, ni un révolutionnaire, ni un socialiste, ni un Français déguisé en Anglo-Saxon mais un pur produit du système. C’est pourquoi il est si “efficace” dans sa fonction destructrice du système. GW est un hyper-capitaliste, inculte, pro-riche et anti-pauvre, ami du Big Business et des passe-droits pour les amis, ennemi des environnementalistes, laudateur de la démocratie et de l’américanisme, pas très malin et manichéiste, partisan de la manière forte et Croyant zélé du Dieu de l’Amérique. Et c’est lui qui, aujourd’hui, est aux commandes de l’Apocalypse. GW est-il fou ? Peut-être… Alors, il est devenu fou le 11 septembre, et le système est fautif, qui n’a rien prévu pour ce cas et qui a laissé faire, — pour ne pas dire pire, — ce 9/11 qui les a tous rendus mabouls. Dans tous les cas, le système (et le NYT) est bien mal à l’aise et cela explique sa lenteur et son inefficacité dans ses réactions. Qui l’a fait roi, GW? Qui a soutenu avec enthousiasme sa folle guerre en Mésopotamie? Qui a dénoncé le terrible Saddam, pire-que-Hitler, et ses terribles armes de destruction massive? Qui en rajoute couche sur couche sur le terrorisme et la “Long War” pour sauver la civilisation? Même le NYT, qui s’est pourtant opposé à la guerre mais du bout de la plume, est obligé d’avouer piteusement qu’il crut en tant de chimères américanistes agencées par GW…

«Unlike Mr. Bush’s views on the American military presence in Iraq, our views have evolved as the evident realities on the ground have changed. At the outset, although we opposed Mr. Bush’s invasion, we hoped the United States military could provide enough security to allow an elected government to build the foundations of national unity and eventual democracy.

»As it became increasingly clear that Iraqi political leaders had other, less noble intentions, we still hoped that a substantial American military presence could be used to shield innocent civilians from the growing violence, train reliable and professional Iraqi security forces to take over that task, and exert leverage on Iraqi leaders to follow a less divisive and destructive course.»

La chasse est ouverte à Washington, et la guerre déclarée par le Congrès, avec la caution fiévreuse du NYT. Pour autant, les opérations seront lentes. Il y a de fortes chances que la crise dévore jusqu’aux entrailles le système qui n’avait pas prévu le cas du “grain de sable” venu de lui-même. Ce fut là sa suprême erreur.

Et l’Europe, pendant ce temps

Et l’Europe, pendant ce temps? C’est un cas historique.

«Nous sommes tous Américains», écrivait l’autre de sa plume satisfaite et componctueuse. Après tout, nous pourrions dire notre accord et nous enchaînerions, dans la logique du propos : alors, en bons citoyens de la Grande République, il serait temps de s’intéresser à ce qui se passe à Washington. Ce n’est pas rien et ce n’est pas triste.

Mais il faut être réaliste. Ils ne suivront pas ce conseil.

L’Europe est l’Europe, malgré qu’elle lise avidement les consignes des éditos du NYT. Sa paralysie du caractère, sa fascination hébétée devant le reste des dorures de l’américanisme représentent un cas clinique intéressant qui commande toute sa politique. Les mornes faces des Merkel, Barroso & compagnie se bousculant au portillon du bunker de la Maison-Blanche pour pouvoir saluer leur président ont quelque chose de réjouissant tant elles justifient à posteriori et presque à la perfection un “non” roboratif à tous les référendums du monde. Elles nous fixent également sur le destin de cette Europe institutionnelle à 25 ou à 27 — ou à 37, ou à 82, qui sait et qu’importe. Au point où ils en sont, qu’ils nous montrent donc leur complète inconsistance jusqu’à la lie. Comme ils disent à Hollywood, the show must go on et nous en voulons pour notre argent.