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76329 juillet 2007 — Washington résonne de plus en plus de bruits et de spéculations qui sont marquées par un seul mot : la peur, — et ce sentiment dominant dont on peut désormais caractériser l’humeur grandissante par un autre mot qui introduit un facteur nouveau : la panique. Nous sommes encore à plus d’un mois du rapport tant attendu du général Petraeus sur les résultats de l’offensive (“surge”) tactique ordonnée en janvier par Bush pour obtenir un résultat stratégique (?) en Irak et déjà tout le monde semble en préjuger les conclusions. Préjugeons nous aussi: le rapport du général Petraeus, général hautement politique et habile à se ménager les puissances politiques à Washington, sera sans nul doute incompréhensible dans son explication comme tout document bureaucratique et nuancé dans sa conclusion selon ses intentions politiques, — avec l’affirmation que la situation est difficile mais qu’il y a des progrès et qu’il faut continuer, — du type “ce n’est qu’un début continuons le combat”.
Mais il nous semble que ce stade lui-même est dépassé. Aujourd’hui, à Washington, la situation de la décision politique est bloquée. Elle l’est institutionnellement (paralysie réciproque exécutif-législatif) mais aussi politiquement (personne n’ose réclamer un retrait “franc et massif” face à l’entêtement de GW). Dans ces conditions, c’est la poussée bureaucratique qui l’emporte plus que jamais et qui oriente la psychologie générale. Cette poussée se fait dans un cadre de plus en plus marquée par la peur d’événements incontrôlables et la psychologie évolue vers la panique devant une situation qui pourrait tourner au désastre. C’est cette panique naissante qui peut conduire au désastre et c’est la perspective du désastre possible qui alimente la panique. Ils ont au moins inventé le mouvement perpétuel.
Deux nouvelles permettent de mieux embrasser la situation.
• L’article du Times de Londres, aujourd’hui, sur les scénarios envisagés par le Pentagone pour un retrait d’Irak est une bonne indication des spéculations en cours. Le secrétaire à la défense Robert Gates, pressé par la sénatrice Clinton dans ce sens, a révélé que les scénarios de retraits, y compris les plus précipités, étaient “la priorité” du Pentagone aujourd’hui. On retrouve le Gates adversaire du maximalisme bushiste et qui, désormais, ne se dissimule plus d’éventuelles options de retrait précipité des forces US.
«At the Army College in Fort Leavenworth, Kansas, Major Daniel Morgan is studying the lessons for Iraq of the Soviets’ chaotic exit from Afghanistan in the late 1980s. The roads were choked with tanks and heavy weaponry, making the demoralised soldiers easy prey for guerillas. “The Soviet Army actually had to fight out of certain areas,” said Morgan, who has served twice in Iraq.
»There is no easy exit from Iraq, but defence secretary Robert Gates has admitted for the first time that the Pentagon is poring over the options. Under pressure from Hillary Clinton, the senator for New York, defence officials are to give a “closed door” briefing to the Senate Armed Services Committee this week about US troop withdrawals.
»“You may rest assured,” Gates wrote to Clinton, “that such planning is indeed taking place with my active involvement.”
»The Soviet rout from Afghanistan is one of the worst-case scenarios that a rapid withdrawal of combat troops from Iraq could provoke. “They had to airlift out of Kandahar, the fighting was so bad,” Morgan recalled. Another nightmare image remains familiar decades on - the helicopters taking off from the roof of the US embassy in Saigon, leaving desperate Vietnamese allies to their fate.
»Gary Anderson, a retired Marine Colonel, conducted war-games for the Pentagon in which he played the “Red Commander”, Saddam Hussein, on the eve of the US invasion. He has been invited back to role-play US withdrawal strategies for the defence department in the coming weeks.
»“They are starting to think in that direction,” he said. “The Soviet scenario could certainly happen but what really worries me is the example of Vietnam.”
»When America lost the will to sustain the South Vietnamese regime, Congress cut off the funding for the war and the South Vietnamese army collapsed.
»“I can see that happening to the Iraqi army if this Congress says we’re going to pull out our troops and not support the Iraqis. There would be a political collapse and the very real potential of helicopters on the roofs.”»
• Aux divers articles parus dans la presse US sur la commande massive d’armes US impliquant essentiellement l’Arabie Saoudite mais aussi les pays modérés du Golfe, nous préférons l’article, ce matin également, dans The Observer. Lui aussi est caractérisé par le mot “peur”, — peur de l’Iran cette fois. La semaine prochaine, le secrétaire à la défense Gates et le secrétaire d’Etat Rice feront à Riyad un voyage de concert, — occurrence exceptionnelle, — pour annoncer la bonne “nouvelle” aux dirigeants saoudiens également transis de peur: nous vous apportons de la quincaillerie. Il ne faut jamais oublier de faire tourner la boutique.
«The Bush administration is expected to announce a massive series of arms deals in the Middle East tomorrow that are being seen as part of a diplomatic offensive against the growing influence of Iran in the volatile region.
»The centrepiece of the deals is an agreement between the US and a group of Persian Gulf nations, including Saudi Arabia, that could eventually be worth at least $20bn, according to news reports. At the same time, 10-year military aid packages will be renewed with Israel and Egypt.
»The main thrust of the deal is the supply of advanced American weapons to long-term Arab allies in the Gulf. They include Saudi and five other Gulf states: the UAE, Kuwait, Qatar, Bahrain and Oman. All those countries have been jittery over the growing power of Iran and the possibility that Tehran is seeking to build a nuclear bomb. The supply of American arms to the countries not only gives them greater military power to counter Iran's but also cements them further as American allies.
»In fact, so great is the White House's fear over Iran's intentions that the deal appears to ride roughshod over other American strategic concerns — such as Israeli fears over arming Arab countries and concern that Saudi Arabia has been supporting Sunni militants in Iraq. A senior Pentagon official said the deals were being made “to deal with what has been a changing strategic threat from Iran and other forces”.
»The deal will focus on improvements to the countries' air and missile defence systems. It will also upgrade their navies and air forces, giving them a greater strike capability. However, the weapons being sold are mostly defensive and will not boost the countries' offensive military capabilities. Some of the sales will also cover technology that can turn standard bombs into so-called 'precision-guided' bombs of the type that have become common with US forces.
»The deal is the culmination of months of diplomacy…»
«In fact, so great is the White House's fear over Iran's intentions…», écrit Paul Harris de New York : voilà le climat résumé, toujours avec le même mot. La peur le caractérise (peur de l’Iran aussi bien que peur de la déroute en Irak). On peut le compléter par l’image du désordre, comme dans cette précision du Times, qui voit le commandant de théâtre (U.S. Central Command) préjuger du rapport Petraeus, un peu comme s’il parlait à la place du président, cet amiral Fallon qui s’est déjà permis de dire que, sous son commandement, il n’y aurait pas d’attaque contre l’Iran : «Admiral William Fallon, the US Middle East commander, said last week, “We have some really big decisions ahead of us. We have to ask ourselves whether the surge is really working and what do we want to do afterward.”»
… Mais on reconnaît la position de la Navy, partagé par la modération de Robert Gates qui s’empresse de confirmer à la sénatrice Clinton : oui, oui, nous étudions les scénarios d’une retraite précipitée d’Irak, c’est même notre priorité. Drôle d’aveu ou aveu calculé, c’est selon. L'annonce qu'on étudie une telle possibilité, c'est l'aveu que cette possibilité existe, ce qui est une grande nuvelle; dans le climat actuel, possibilité pourrait devenir probabilité.
Pendant ce temps, Bush reçoit Gordon Brown pour s’assurer que les Britanniques partagent effectivement la résolution américaniste en Irak. Là aussi, où le paradoxe est complet (qu’est c’est que cela, la “résolution” américaniste aujourd’hui?), la peur domine. Le titre du Times suffit: «US fears that Brown wants Iraq pull-out.» Jamais les déclarations emphatiques d’un Premier ministres britanniques («the relationship with the United States is our single most important bilateral relationship») n’ont paru si émollientes et convenues, de la bouillie pour chats où l'emphase fait office de substance. Certes, les Britanniques ne changeront pas de politique US pour l'immédiat, pour ce qu’on peut voir aujourd’hui du spectacle de leur monde politique, mais c’est parce qu’ils ont peur de ne savoir quoi mettre à la place, parce que leur intelligence ossifiée ne peut plus concevoir autre chose.
Nous pensons irrésistiblement, parce que nous sommes plongés et replongés dans sa lecture, à la description du monde entre 1789 et 1814 par Guglielmo Ferrero (Talleyrand au Congrès de Vienne). Une période où la peur domine, où tout le monde a peur, à commencer par ceux qui prétendent mener le monde avec leur force et leur puissance. (Mis à part, pour notre époque surréaliste, quelques inconscients qui peuvent encore nuire radicalement vu leur position dans un monde infiniment plus centralisé et totalitaire qu’en 1814, — dito le couple infernal Bush-Cheney.)
Nous retrouvons le constat de notre ami Willim Pfaff : «No door can be closed this time because both Democrats and Republicans have interiorized the idea of the global war against terror. Integral to that is fear. […] This Great Fear will keep America in the Middle East.» La nouveauté depuis le 17 mai (date de la chronique de Pfaff), car les choses vont vite, c’est que la panique s’est glissée dans cette politique de peur, et que l’effet peut être inversé. La panique c’est le désordre, c’est bientôt la fascination de la déroute. Elle peut soudain emporter l’immobilisme qu’impose la politique de peur gérée par la bureaucratie folle de conservatisme et de paralysie. (On a une bonne mesure de cette paralysie lorsqu’on termine la description d’envois massifs d’armes à qui en veut dans la région par ce constat, comme fait Harris : «The deal is the culmination of months of diplomacy…». La diplomatie réduite aux acquêts américanistes de la quincaillerie, — par ailleurs inutile pour la G4G, comme chacun sait, et donc encore un peu plus déstabilisante: comparez avec 1814.)
Si le désordre washingtonien finit par tout submerger et impose la panique comme politique, nous en arriverons au sauve-qui-peut. Peut-être les déroutes du Vietnam de 1975 et d’Afghanistan de 1988 seront-elles les modèles dépassés par une nouvelle maîtrise dans l’art étrange de l’effondrement d’un empire de la communication et du virtualisme. Actuellement, le rythme de la dégradation des choses est notablement rapide. Le résultat est moins le pessimisme, voire le défaitisme, que la perte de contrôle des choses. Ces gens sont ainsi faits qu’ils ne passeront ni par le défaitisme ni par le pessimisme, qu’ils couleront dans le chaos en applaudissant la bannière étoilée et en faisant des proclamations ultra-patriotiques.
Là-dessus, il prendra bien à GW et à son compère Cheney le goût de sauver ultimement la Grande République par une offensive dont ils ont le secret. Il ne faut désespérer de rien et ne rien écarter dans la nef des fous. Rien n’est fait, rien n’est joué, mais tout montre que ce qui sera fait et joué ira de plus en plus évidemment aux extrêmes des possibilités catastrophiques.
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