De quelle guerre parle-t-on? — Définition de la G4G, suite

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De quelle guerre parle-t-on? — Définition de la G4G, suite

Les analyses commencent à se répandre. S’agit-il d’une nouvelle forme de guerre ? On le dit. Un article du 6 août, de Matthew B. Stannard du San Francisco Chronicle, annonce : « Hezbollah wages new generation of warfare ». Bien entendu, il est question de la fameuse “guerre de quatrième génération”. Nous avons déjà adopté le thème, proposant même d’en faire un acronyme à-la-française (G4G). Tenons-nous-y.

On connaît le “pape” de la G4G : William S. Lind. Bien entendu, il est beaucoup consulté, notamment dans le texte que nous donnons en référence. « “I think it's something new, in that a non-state organization has undertaken a major, sustained, broad-scale, and so far, the successful military offensive against a state,” said William Lind, director of the Center for Cultural Conservatism at the Free Congress Foundation, a Washington, D.C., think tank. “What changes here ... is that non-state forces are able to challenge states militarily — and win.” »

Le succès du concept avec le comportement du Hezbollah sur le terrain invite à une exploration plus détaillée. Il s’agit de tenir compte, essentiellement, de ce comportement du Hezbollah. D’autres éléments et facteurs de cette crise doivent également être pris en compte. La crise Israël-Hezbollah apporte beaucoup d’innovations.

Relativité des enseignements opérationnels

Les engagements durant la crise du Liban depuis le 12 juillet ont largement démontré que la G4G ne dépend d’aucun paradigme opérationnel précis. Le Hezbollah se bat, en nombre d’occasions, d’une façon très conforme à des types de guerre déjà classiques, qu’on estime par ailleurs dépassés ou bien où on estime que c’est Tsahal qui devrait avoir le dessus.

On rappellera ici le jugement (28 juillet) de Fabius Maximus que nous avons rapporté dans un récent F&C : « Israel appears to be losing. Of course the campaign is not over, although the rising civilian causalities in Lebanon suggest that the US might be forced to broker a cease-fire in the next few weeks. There remains time for — as Stratfor believes — a surprise move by Israel to quickly win.

» Still, Israel appears to be losing. Worse, losing not to a 4GW insurgency, but to static defenses more typical of to 2nd generation warfare — which the IDF, skilled at 3rd generation war, should be able to easily defeat. »

Depuis, d’autres indications renforcent cette impression de combats conduits selon des techniques, des tactiques et avec des équipements qui ne relèvent nullement d’une guerre de guérilla “classique”. Il est fait notamment grand usage de missiles anti-chars, aussi bien contre les chars que dans d’autres situations.

Il apparaît même que le Hezbollah fait un usage important de technologies avancées, souvent d’une façon fort peu conventionnelle, imaginative et très efficace. Les Israéliens eux-mêmes ne cachent pas leur surprise.

Ces constats nous conduisent à observer que la G4G n’est pas particulièrement définissable par son aspect opérationnel direct, concret, par la tactique qui y est employée, par les moyens employés. Il ne semble pas y avoir de règles précises ou bien des règles très spécifiques et originale dans ce domaine.

La question de savoir si la G4G est vraiment révolutionnaire pourrait paradoxalement se trouver remplacée par la question de savoir s’il existe vraiment, au niveau opérationnel, un phénomène spécifique qu’on pourrait nommer “G4G”. Il y a eu beaucoup de guerre de guérilla dans l’histoire, dont la forme a varié, dont les usages tactiques ont évolué, un peu dans tous les sens et de toutes les façons. Cette crise-là ne semble rien apporter de techniquement décisif.

Cette “guerre” a-t-elle un aspect décisif ?

Elargissons notre champ de vision, selon une démarche classique, — du tactique au stratégique. Cette guerre a-t-elle un aspect stratégique décisif ? Il faut se rappeler nos exclamations d’il y a à peine un mois, au rythme des éditos néo-conservateurs. La crise était appréciée comme le début d’un embrasement général impliquant au moins la Syrie et l’Iran. Newt Gingrich, toujours armé de ses délicates pincettes, annonçait la Troisième Guerre mondiale.

Un mois après le début de l’offensive, Tsahal se bat sur une profondeur de 5 à 20 kilomètres à l’intérieur du Liban pour tenter de conforter son “avantage” avant le cessez-le-feu ou bien pour élargir son périmètre de combat. En 1982, sur la même période, Tsahal était à Beyrouth. En 1982, le Hezbollah n’avait rien à voir avec le Hezbollah d’aujourd’hui? Justement, toute la différence est dans ce changement d’époque, — car Tsahal n’a non plus, en 2006, grand chose à voir avec Tsahal-1982.

Le Hezbollah manœuvre efficacement et impose sa tactique. Tsahal a des difficultés considérables et ne parvient pas à imposer une dimension stratégique au conflit. On dirait que la dimension stratégique est, opérationnellement, annihilée, anesthésiée par la dimension tactique. D’où notre question en forme d’hypothèse : et si la G4G avait pour effet essentiel au niveau opérationnel, d’annihiler la dimension stratégique dans laquelle les armées puissantes peuvent remporter des victoires importantes ?

Cela ne signifie pas que la dimension stratégique n’existe plus. Cela signifie qu’elle est ailleurs.

Le facteur stratégique est-il virtualiste?

En quoi cette bataille était-elle importante, dès qu’elle a éclaté ? Principalement par deux perceptions, qui relèvent justement de l’interprétation, de la psychologie et, éventuellement, du virtualisme.

• La puissance de Tsahal, qui constitue un mythe impératif. La plus puissante armée de la région, l’une des plus puissantes armées du monde, qui soumet le monde arabe à sa volonté depuis un demi-siècle, se devait d’être irrésistible. En utilisant cette puissance sous une forme massive, par la tactique de l’attaque aérienne tendant à soumettre l’adversaire à elle seule, les Israéliens acceptaient effectivement l’enjeu du mythe. Toute victoire qui ne serait pas une victoire-éclair massive serait perçue comme un grave revers stratégique, — à plus forte raison une victoire qui se fait tant attendre qu’on pourrait commencer à s’interroger sur l’issue du conflit. Cette absence de confirmation du mythe est un grave revers stratégique.

• La narration virtualiste de la crise fut aussitôt confiée aux officines néo-conservatrices, dont on connaît la virtuosité imaginative. Cela fut fait naturellement, comme une chose allant de soi, parce que, depuis le 11 septembre il en est ainsi. Il fut donc aussitôt question d’un Grand Dessein stratégique englobant une éventuelle attaque contre la Syrie, ou/et contre l’Iran. Gingrich nous parle de la Troisième Guerre mondiale, d’autres de la Quatrième. Très vite, il n’est plus venu à personne l’idée de contester la possibilité, — non, la probabilité proche de la certitude de l’inévitabilité de ce dessein. Dans ce cas, le monde virtualiste domine le reste (la réalité). Pour durer et s’imposer dans une telle tension et dans l’incertitude mouvante de la guerre, cette “domination” conceptuelle doit se transformer rapidement en réalité “à la place de la réalité”. Si ce n’est pas le cas, la déception, l’attente déçue, la réputation trahie transforment la chose en une énorme défaite stratégique. Il faut que quelque chose d’énorme se produise («  There remains time for — as Stratfor believes — a surprise move by Israel to quickly win », écrit Fabius Maximus le 28 juillet). Si demain, après-demain au plus tard, quelque chose d’énorme ne se produit pas, l’on se tourne alors vers la réalité comme juge suprême et l’on découvre Tsahal guerroyant sur une bande de 10-20 kilomètres de profondeur à la frontière. La situation est alors perçue effectivement comme un énorme revers stratégique.

L’effet stratégique se fait déjà sentir

Nous évoluons donc dans deux champs bien distincts, complètement séparés et qui, pourtant, interfèrent l’un l’autre. Lorsque les deux champs sont confrontés, l’effet est considérable. Les premiers signes concrets de cet effet se font déjà sentir. C’est là que nous retrouvons la définition de base de la G4G.

Il y a un point qui nous a toujours intéressé dans cette définition, point sur lequel Lind ne manque jamais d’insister. Il s’agit de la question de l’opposition d’un acteur non étatique à un Etat, ce qui est bien le cas d’Israël contre le Hezbollah. Nous y ajoutons la question de la légitimité et ce qui va avec (identité, souveraineté). (Nous avons largement développé ce thème dans notre F&C du 25 juillet déjà cité.)

La G4G, pour être la “guerre” de notre temps, doit reproduire le grand enjeu politique de notre temps. Quel grand enjeu? Celui d’une bataille entre la légitimité, l’identité et la souveraineté contre les pressions déstructurantes d’un mouvement général qui ne dissimule même pas cette ambition. (La Maison-Blanche veut un “New Middle-East”, Condi Rice nous décrit l’affrontement Israël-Hezbollah comme “the birth pangs of a new Middle East”.)

C’est donc une bataille sur ce terrain : la guerre GAG est une guerre où la légitimité est un enjeu parce qu’elle est, littéralement, au centre du jeu. La faiblesse de Tsahal dans cette affaire est bien son absence de légitimité, pour la simple raison, — dénoncée par nombre de commentateurs israéliens, — qu’elle agit comme “proxy” des USA. Contre cela, le Hezbollah y gagne une légitimité à mesure.

On a déjà relevé ce signe qui ne trompe pas : dès la fin juillet, des néo-conservateurs ont commencé à critiquer violemment Israël, pour ne pas attaquer assez fort et assez loin. Charles Krauthammer, Max Boot et Jonah Goldberg, notamment, se sont distingués. La question des relations USA-Israël est posée. Jim Lobe notait le 12 août: « As noted by diplomatic correspondent Ori Nir in this week's edition of The Forward, the U.S.' most important Jewish newspaper, the Israeli government and its military's chief of staff, Gen. Dan Halutz, have been subjected to unusually harsh criticism [from neo-conservatives], including the charge that, by failing to wage a more aggressive war, they were jeopardizing Israel's long-term strategic alliance with Washington. »

Quel piège pour Tsahal?

Le piège, pour Tsahal, était-il celui du Hezbollah ou celui des extrémistes américanistes type néo-conservateurs, et, derrière, du Pentagone? Décidément, la grande “alliance stratégique” entre Tsahal et le Pentagone pose un bien grave problème à Israël.

L’étrange effet de la G4G est de mettre en évidence cette sorte de situation, et d’infliger à celui qui s’y laisse prendre une perte de crédibilité, — c’est-à-dire, plus nettement et clairement dit, une perte de légitimité. Nous revenons à ce thème que nous jugeons dominant. Il nous semble que la G4G du Liban Sud est grosse d’une crise stratégique de première grandeur en Israël : celle de l’alliance des USA.

Comme l’on voit, et pour renforcer notre définition de la G4G, ce n’est pas sur le terrain des opérations militaires que se joue l’essentiel de la partie stratégique. Mais le terrain des opérations militaires est nécessaire pour mettre à jour cet enjeu stratégique fondamental. Comme dirait Condi, les opérations militaires G4G sont les “birth pangs» de la crise stratégique.