Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
609
13 mars 2003 — Contrairement à l’apparence qu’il nous laisse voir si souvent comme on alimente un rideau de fumée, Rumsfeld n’est pas une brute. Ce n’est pas un imbécile non plus, encore moins un impulsif. Ce qu’il a dit mardi sur les Britanniques était très précisément mesuré, et aussi le “démenti” qui n’en était pas vraiment un.
Rappel des faits :
« Pressed by reporters at a news briefing on whether Washington might go ahead without British military help because of rising political pressure on Prime Minister Tony Blair, Rumsfeld said it would be a decision for President Bush to make.
» ''I think until we know what the (U.N.) resolution is, we won't know the answer as to what their role will be,'' Rumsfeld said.
» ''And to the extent they are able to participate — in the event that the president decides to use force — that would obviously be welcomed. To the extent they're not, there are work-arounds and they would not be involved, at least in that phase...''
» ''That is an issue that the president will be addressing in the days ahead, one would assume,'' he said in comments that one U.S. defense official said later caused ''a firestorm'' of reaction from British officials.
» And, four hours later, Rumsfeld issued a terse two-paragraph written statement expressing confidence that the forces of America's most prominent ally would be side-by-side with U.S. troops should an attack take place.
» ''In the event that a decision to use force is made, we have every reason to believe there will be a significant military contribution from the United Kingdom,'' he said. »
Donald Rumsfeld a agi de façon délibérée. Il a agi, sans doute de façon concertée (avec certains de ses acolytes), pour pousser les Britanniques dans un sens ou l’autre, pour les placer devant les réalités de leur situation, éventuellement pour accélérer une rupture qu’il(s) juge(nt) irréversible à un moment ou l’autre ; enfin, il a agi pour ménager l’avenir, parce qu’il juge, et ceux de son parti en jugent également dans ce sens, que les Britanniques sont un frein et un poids mort, et pour l’Irak, et pour ce qui va suivre.
Rumsfeld et les autres de son parti veulent agir seuls, ils veulent avoir les mains libres, — pour l’Irak certes, mais c’est comme si c’était déjà fait, et surtout pour ce qui va suivre. Ils ne veulent plus, lorsqu’ils mettront la Syrie au banc des accusés-jugés-condamnés, et dans le viseur des B-52, avoir un Tony Blair qui insiste comme une mouche du coche pour avoir une résolution de l’ONU. Ils se passeront de l’ONU pour la Syrie et le reste.
(Pourquoi la Syrie ? Ce nom n’est pas avancé gratuitement. Un texte publié mercredi matin dans le Herald Tribune, de Larry Collins (co-auteur avec Lapierre de Ô Jerusalem), un texte largement inspiré par les analyses israéliennes, nous dit bien ceci : « The eyes of the world are, quite rightly, focused on Baghdad and a looming U.S.-Iraq war. There is, however, another potentially explosive Middle Eastern area that is not getting the attention it deserves. It is the Lebanese-Israeli border. » (C’est-à-dire, la Syrie, comme Collins nous explique ensuite.) D’ores et déjà, la logique de la suite est en place et, prochainement, les néo-conservateurs vont commencer à battre le rappel pour la Syrie, et Rumsfeld avec eux. S’il le faut, au reste, ce sera plutôt l’Iran, on vous expliquera qu’ils ont des missiles terriblement dangereux. On trouvera un Collins pour s’en charger, ou Collins lui-même après tout.)
La crise britannique qui a éclaté sous le coup de boutoir de Rumsfeld montre que les jours de l’alliance USA-UK sont comptés, Blair ou pas Blair. Après Bagdad, c’est Damas, et Téhéran, — ou Téhéran plutôt que Damas, qui sait ; tous ces gens ont l’analyse souple, changeante, l’analyse adaptable. Ce qui compte, c’est le rythme, la “vie intense” qui a caractérisé les beaux jours de la grande République (l’expression “vie intense” était beaucoup utilisée pour l’Amérique du Gilded Age, du développement hyper-capitaliste, de 1865 à la fin du siècle.). Les Anglais ne pourront pas tenir à ce rythme, avec des millions de gens dans les rues de Londres, une classe politique exaspérée, tout cela menaçant la stabilité d’un système qui a pour vertu fondamentale d’être, de devoir être stable. Ce que Rumsfeld leur a dit, c’est : autant se décider maintenant. Rumsfeld est un homme pressé.