De Suez à Bagdad

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Dans cet article de The Independent du 2 mai, c’est bien plus le titre et l’analogie qu’il propose (qui n’est même pas reprise dans le texte, comme si elle allait d’évidence) qui nous intéressent que le contenu : « Iraq war ‘will haunt Blair’s legacy like Suez’. » (Le contenu reprend les derniers avatars survenus à Blair durant le week-end, dont on s’est fait l’écho ici, par ailleurs.)

L’analogie est éclairante: l’Irak de Blair, c’est comme la crise de Suez de Antony Eden. L’idée était déjà présente dans un texte de l’ancien secrétaire au Foreign Office Robin Cook, le 15 octobre 2004 dans The Guardian:

« The political dilemma for Downing Street is that it desperately wants the nation to move on from the controversy over the origins of the war [of Irak], but is also determined to avoid anyone taking the rap. Yet it is impossible to see how the government can achieve closure on the biggest blunder since Suez without first achieving a catharsis which attributes responsibility and apportions blame. »

C’est une analogie surprenante dans l’esprit des Britanniques, mais qui semble leur venir de façon assez inconsciente. Le désastre de Suez ne fut un désastre que parce que les Américains se conduisirent avec ambiguïté, fourberie, incertitude et irresponsabilité. (Le qualificatif au choix, — lire dans le livre de John Charmley, The Grand Alliance, une analyse remarquablement précise du drame, du côté anglo-américain, ou comment les Américains ont finalement torpillé Anthony Eden et la politique moyenne-orientale britannique.) Quoi qu’il en soit, le désastre britannique de Suez le fut pour l’essentiel parce que le Royaume-Uni s’opposait aux USA. Le cas irakien est exactement inverse : un désastre britannique parce que le Royaume-Uni fut de bout en bout, de par sa volonté même, aux côtés des Américains.

Ainsi l’analogie aurait-elle un côté freudien, — parfaitement inconscient, comme il se doit. Dit autrement et plus clairement : désastre pour désastre, l’Irak est-il perçu, et, dans tous les cas, espéré comme l’achèvement d’une période commencée avec Suez ? (C’est à partir de Suez que l’alignement britannique sur les Américains devint complet, après la liquidation de Eden par MacMillan.) On a vu avec quel entêtement, comme s’il s’agissait d’une chose douée de volonté, la crise irakienne est restée au cœur de la campagne électorale qui s’achève aujourd’hui. Comme si, effectivement, à la lumière de cette analogie, ces cinquante années presque juste (1956-2005) occupaient tout le subconscient britannique.


Mis en ligne le 4 mai 2005 à 10H15