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205228 octobre 2010 – Le 23 octobre 2010, comme on le signalait sur ce site, on ne parlait que des “fuites” de Wikileaks sur la guerre en Irak. Le soir, et sans intention de nuire ni de comparer, nous le jurons, nous regardâmes à la télévision, par les moyens discrets et néanmoins habituels, le film Green Zone. (Voyez Wikipedia pour une rapide et sommaire présentation du film… «“Green Zone” ou “La Zone verte” au Québec est un film d'action écrit par Brian Helgeland et réalisé par Paul Greengrass, adapté du livre “Imperial Life in the Emerald City” de Rajiv Chandrasekaran, sorti le 14 avril 2010.» – et notez en passant que les Québécois usent de la langue française, pas les Français. puisque le film est programmé en France sous son titre original... ). Nous y avons trouvé matière à analyse tant ceci (le film Green Zone) expliquait bien cela (l’épouvantable comportement des armées américanistes en Irak, avec les effets sur leurs associés irakiens, exposé, ou plutôt confirmé par rapport à ce dont on était informé de source dissidente, par les fuites orchestrées par Wikileaks).
Green Zone est remarquablement réalisé, et nous dirions que c’est bien plus qu’un “film d’action”, sans prétendre savoir si ceux qui l’ont réalisé savaient, eux, ce qu’ils faisaient. Rajiv Chandrasekaran, dont le livre a inspiré le film, a été journaliste en poste à Bagdad durant la période de guerre. Bien qu’il travaille pour le Washington Post ((il lui sera beaucoup pardonné), il semble bien qu’il ait conservé de son passage en Irak des éléments intéressants. Les acteurs sont excellents, notamment bien sûr Matt Damon (Roy Miller), dans le rôle du sous-officier ayant des fonctions et des responsabilités de commandement tactiques équivalentes à celles d’un officier – un “Chief Warant Officier”, désigné traditionnellement et familièrement sous le nom de “Chief” (Chief Miller), qui pourrait être l’équivalent d’un sergent-major ou d’un adjudant-chef (les sous-officiers les plus élevés en grade, susceptibles de devenir des officiers “sortis du rang”, occupant souvent dans l'U.S. Army et le Marine Corps des positions importantes d’adjoint à l’officier commandant l’unité où ils opèrent). (Ces précisions sont importantes pour comprendre que le Chief Miller, s’il a un poids tactique important et respectable, n’en est pas moins privé de l’autorité formelle dont dispose un officier.) Le Chief Miller est détaché de son unité organique de l’U.S. Army et placé à la tête d’un petit détachement chargé de trouver des armes de destruction massive (ADM) sur des sites identifiés par une source connue sous le nom-code de “Magellan”.
L’action se situe immédiatement après la “fin de la guerre” et la “victoire” des USA, fin avril et début mai 2003, autour de la décision hautement contestable et fortement contestée de dissoudre l’armée irakienne, accélérant sans doute décisivement la plongée du pays dans la guerre civile. C’est Paul Bremer III, nommé comme “pro-consul” US en Irak, qui prit cette décision. (…Décision qui a continué à être très controversée, longtemps après qu’elle ait été prise, notamment sur l’identification de la responsabilité finale ; en septembre 2007, Bush et Bremer ont polémiqué indirectement sur cette responsabilité, Bush affirmant qu’il n’avait pas explicitement approuvé la décision, Bremer affirmant le contraire, avec un échange de courrier avec le président à l’appui… Aujourd’hui encore, ce point d’histoire reste incertain.)
L’intrigue se développe à partir du constat de Miller que les sites qu’on lui indique ne recèlent aucune ADM. Le doute naît chez Miller sur la qualité des informations de “Magellan”. Il est bientôt confirmé dans ses doutes par un contact avec Martin Brown, un officier de la CIA qui dirige le détachement de l’Agence dans le conflit irakien, – lequel Brown lui propose de faire équipe avec lui pour dénouer cette affaire (c’est-à-dire mettre à jour l’imposture “Magellan”). En même temps, Miller est contacté par Clark Poundstone, qui est au courant de ses doutes, qui représente les services de renseignement et d’influence spécialement montés par les neocons au sein du Pentagone pour précipiter la guerre (l’organisme général à cet effet était l’OSP, ou Office of Special Plans, dissous depuis) ; Poundstone lui propose, à l’instar de Brown et de la CIA, de faire équipe avec lui, ce qui serait bon pour sa carrière (celle de Miller)… Peu importe la suite, y compris que Miller, qui a choisi la CIA, tombera finalement sur “Magellan”, un général irakien qui serait prêt à coopérer avec les USA si l’armée irakienne n’était pas dissoute, qui lui rapporte avoir affirmé avant la guerre à ses contacts US (les neocons, dont Poundstone) qu’il n’y avait pas d’ADM en Irak, ce que les neocons ont transformé en son contraire, en distribuant des listes de sites censés recéler des ADM et qui n’en recèlent point. Et ainsi de suite… Arrêtons-nous là pour passer à l’essentiel.
Le film, qu’on a dit fort bien fait, qui est basé sur une documentation de première main, apparaît également comme une sorte de documentaire sur divers aspects : la guerre civile en gestation en Irak dans cette période, les rivalités entre les différentes tendances existantes à Washington, les erreurs considérables des forces américanistes, etc. Tout paraît absolument conforme à la réalité, et notre conviction est effectivement que ce film se rapproche certainement et précisément de la réalité, dans l’esprit sans aucun doute. Il donne une bonne image du fonctionnement des forces armées US dans cette “guerre contre la terreur”, et une non moins bonne image du véritable conflit irakien (à partir de mai 2003).
Mais nous allons nous attacher à un point très spécifique qui nous a arrêté, qui n’apparaît pas d’une façon éclatante mais qui recèle, à notre sens, l’enseignement le plus fondamental. De ce point de vue, on le verra, nous retrouverons notre sujet introductif : le lien avec les fuites de Wikileaks et la situation que ces fuites colossales décrivent de la guerre en Irak.
@PAYANT Ce point fondamental, c’est la nature et le fonctionnement structurel des forces armées U.S. combattantes, dans le sens le plus large, dans une de ces guerres postmodernes de la catégorie G4G, dont l’Irak est le premier type achevé, – l’archétype fondateur, si l’on veut. C’est un des aspects les moins spectaculaires, mais, finalement, les plus remarquables du film.
Nous détaillons ci-après quelques-uns des aspects fondamentaux de ce fonctionnement structurel et de la nature qu’il révèle, et des enseignements qu’on peut en déduire.
• Une autonomie exceptionnelle. La disposition d’une automatisation systématique au niveau de l’information, dans un environnement informatique extrême avec la circulation systématique d’une masse énorme d’informations, avec d’autre part la disposition de moyens sans limites de déplacement, sont les deux caractéristiques essentielles. Elles correspondent à des tendances dominantes et extrêmes, non seulement des forces US, mais de la civilisation américaniste elle-même. Il en résulte une fragmentation extrême, en petites unités autonomes, chargées de missions spécifiques pour lesquelles elles sont laissées libres de leurs décisions d’action, qui paraissent ainsi de plus en plus échapper à une hypothétique autorité centrale à mesure que l’action se développe, et dans la mesure où ces unités rendent compte, toujours par communication informatique, de certains résultats de leurs missions (pas nécessairement tous) à un réseau général d’information disponible pour toutes les forces mais n’ayant lui-même aucune fonction d’autorité. (Ainsi les informations circulent-elles dans tous les sens dans le courant de l’action, sans qu’aucune autorité régulatrice soit systématiquement en action : il y a une centralisation technique, avec diffusion à mesure, mais aucune autorité centrale, – toujours pour ces situations d’actions en cours.) Ces unités évoluent donc indépendamment les unes des autres, d’une façon absolument autonomes, ce qui conduit à des situations parfois systématiques de concurrence et d’affrontement. Ainsi, l’unité de Miller (une trentaine ou une quarantaine d’hommes dans 5 ou 6 véhicules Humvees) passe-t-elle de la recherche des ADM sur sites, à la recherche de chefs irakiens clandestins à partir de renseignement obtenus sur place, sur simple initiative de Miller (il espère obtenir d’eux des renseignements sur “Magellan”). Ayant fait quelques prisonniers, ce qu’il a signalé sur le réseau général d’information, Miller, avec son unité, est soudain confronté à l’intervention héliportée d’une unité des forces spéciales US contrôlée par Poundstone, qui veut ces prisonniers. On en vient aux mains et les forces spéciales se saisissent des prisonniers à la pointe du fusil après qu’on ait évité de justesse un véritable affrontement armé entre deux détachements de la même U.S. Army.
• Dans les briefings généraux, les points de concentration des centres de coordination (peut-on nommer cela des QG classiques ?), tout le monde est présent. Il y a les chefs d’unité, des officiers l’état-major, l’antenne de la CIA, les représentants du renseignement du Pentagone, un général de passage, etc., et tout cela évolue également d’une façon autonome, sans l’apparence d’une autorité suprême de coordination, puisque chacun dépend d’une autorité spécifique, souvent installée à Washington. Ainsi, l’affrontement des centres d’intérêt et de pouvoir qu’on connaît bien à Washington est-il retranscrit en grandeur réelle au sein des “forces combattantes” en général. Du coup, les situations deviennent d’intrigue, de concurrence, d’alliances temporaires, de trahisons, de coups fourrés, etc. Miller est d’abord sollicité en tant que tel, lui comme simple sous-officier avec une unité d’une quarantaine d’hommes, par la CIA, pour agir avec elle, puis par le groupe des neocons du Pentagone représenté par Poundstone, ennemi juré de la CIA. Et Miller choisit la CIA, en pleine autonomie et en pleine autorité, se lançant dans la mission qu’il s’assigne à lui-même, au travers de la recherche de prisonniers, de découvrir la vérité sur “Magellan” (ce qui correspond en partie à sa mission, estime-t-il de lui-même et sans consultation de sa hiérarchie par ailleurs bien nébuleuse, puisque “Magellan” est la source qui a soi-disant fourni des informations sur les sites ADM). Les propres autorités de Miller (son chef d’unité organique) lui donnent comme seule consigne, surtout de ne “pas faire de vagues” par rapport aux consignes de Washington et de ne pas trop clamer qu’il ne trouve pas d’ADM. Effectivement, à Washington, on se fout des opérations sur le terrain et on ne s’intéresse qu’à prouver que la guerre est justifiée par la présence des ADM.
• La virtualisme triomphant ? On observera, dans cet océan de manipulations, de cynisme, de défense des intérêts, où chacun peut faire ce qui sied à ces mêmes intérêts, l’extraordinaire naïveté, dans une situation spécifique, des plus cyniques d’entre tous, les neocons, – cynisme ou, véritablement, dérangement mental du au virtualisme, c’est-à-dire foi absolue dans la réalité inventée ? Ils savent, ces neocons, qu’il n’y a pas d’ADM puisqu’ils ont inventé leur présence (le film est conforme à la réalité), ils ont tous les moyens d’agir d’une façon autonome, et ils ne font rien pour aller “planter” de vrais ADM US pour figurer de faux ADM soi-disant irakiens sur les sites que le Chief Miller va investiguer, selon les propres informations qu’eux-mêmes, toujours les neocons, ont fabriquées. Dès cette époque, en 2003, nous soulevions cette question étonnante… Le 14 mai 2003: «Cette situation explique par conséquent cette appréciation donnée par une source indépendante, tentant d’expliquer la situation irakienne, et notamment le fait qu’aucune tentative n’a été faite pour fabriquer de fausses ADM (WMD en anglais) : “Les gens du Pentagone, autour de Rumsfeld et de Wolfowitz, étaient si sûrs d’en trouver qu’ils n’avaient rien préparé pour parer à la situation actuelle, notamment en “plantant” quelques faux-WMD. Dans l’entre temps, l’U.S. Army, qui contrôlait l’Irak et qui déteste Rumsfeld et son groupe civil a tout fait pour qu’on ne puisse pas réparer cette “faute”.» La deuxième partie du commentaire doit être largement mise en question à la lumière de ce que Green Zone nous montre, notamment que l’U.S. Army en tant que telle ne contrôlait pas la situation, puisque cette situation était le champ d’affrontement d’intérêts concurrents et que personne précisément ne la contrôlait. La question est alors encore plus criante : pourquoi n’ont-ils pas fait ce montage (de faux ADM), si évident, si aisé à faire ? La réponse se trouve-t-elle dans le virtualisme et la psychologie, rayon pathologie, – ...parce qu’ils y “croyaient” malgré tout ?
• La presse, enfin. Les journalistes sont présents, notamment sous la forme d’une journaliste du Wall Street Journal. Certes, la presse est totalement alignée sur la narrative générale, mais elle n’en cherche pas moins le scoop, l’information exclusive, et elle cultive ses sources, et elle est très présente. De leurs côtés, chaque groupe cultive ses propres contacts avec la presse, promettant ou donnant des informations qui rencontrent ses propres intérêts, tout cela sur fond consensuel de références à la démocratie devant des murs tapissés d’immenses bannières étoilées… (Le commerce du drapeau national est, aux USA, une branche prospère.) Finalement, le Chief Miller aura recours à la presse pour dénoncer toute la manœuvre qu’il a mises à jour mais contre laquelle il n’a rien pu faire, – sous la forme d’un envoi collectif de sa version aux principaux journaux US. Donc, si la presse est alignée, aux ordres du système, elle n’en joue pas moins son propre rôle autonome, perturbateur, toujours pour ses propres intérêts, à l’intérieur du système, ce qui est pure logique de type marché libre, spécifique au système…
• Les seuls qui présentent une apparence d’équilibre et de dignité, ce sont les Irakiens. Pilonnés, humiliés, massacrés, eux seuls peuvent présenter un discours sans réplique parce que marqué d’une complète légitimité : celui de la souveraineté bafouée par la force aveugle et stupide…
Le résultat est l’image d’un véritable chaos en apparence régulé par la circulation intense de la masse d’information et par l’autonomie que donnent des consignes générales nécessairement assez vagues assorties de conseils de prudence ou de manœuvres politiques en général très appuyées. Du coup, la guerre contre les Irakiens, ou contre les résistants irakiens en cours de regroupement, n’apparaît-elle que secondaire, au profit des affrontements de groupes de pouvoirs politiques concurrents, restituant sur le terrain la parcellisation, l’antagonisme féroce, l’absence totale de fraternité et de solidarité, pour ne pas parler d’estime et de compassion, des pouvoirs politiques à Washington.
Bien entendu, tout cela est grandement favorisé par cette forme de guerre G4G, “contre-terroriste” ou “contre-guérilla”, où les évolutions par grandes unités constituées sont très rares, où le renseignement joue un rôle essentiel, avec chaque service de renseignement à l’œuvre, avec ses propres sources et contacts, et ses propres intérêts politiques. L’argent est également partout, de simples soldats transportant des sacs bourrés de liasses de dollars, pour acheter tel ou tel informateur, récompenser telle ou telle source, – ou la liquider, si l’on a déterminé que cette source, ou soi-disant source, s’avère travailler pour un service concurrent. Ces circonstances extrêmes, ajoutées à l’ignorance complète des mœurs, coutumes et langue du pays où se déroule l’action, facilitée par l’enfermement de ces soldats dans leurs techniques, leurs véhicules, leurs consignes autonomes, leurs équipements où tout est fait pour les lier à leurs seuls réseaux internes de communication, conduisent à des erreurs, des liquidations sauvages, etc., – tout cela constituant sans doute le pire des crimes de guerre, voire contre l’humanité, qui est le déni de la réalité par la force la plus brutale. (Il y a, nous semble-t-il, une évolution subtile dans le film, – voulue, pas voulue, ou bien naturelle ? Au début, Damon/Miller porte son casque et ses lunettes noires standard, style-robot US, puis il met de moins en moins ses lunettes, puis plus du tout, de moins en moins son casque, puis plus du tout, – ni lunettes noires, ni casque ensuite, tout cela, nous semble-t-il encore, à mesure que son action s’est “humanisée” , en un sens…) On comprend alors que les circonstances extrêmes qui conduisent à la demande d’appui-feu extérieur, souvent de l’aviation, soient déterminées dans ces mêmes occasions, à partir de ces unités parcellaires, qui exigent un appui immédiat pour elles-mêmes sans qu’une autorité générale puisse juger de la situation générale qui est elle-même parcellisée par la multitude de sources d’information alimentant une masse énorme d’informations difficiles à interpréter d’une manière cohérente dans l’immédiat. De même cette parcellisation aboutit-elle à des situations où les petites unités autonomes ont leurs propres règles d’engagement, leur propre “politique” vis-à-vis des prisonniers, cela conduisant à tous les excès possibles. Tout cela conduit aux “bavures” et “dommages collatéraux”, exécutions sommaires, massacres, tortures, etc.
Les forces armées US sont donc parfaitement à l’image du système de l’américanisme tel qu’il a évolué depuis trente ans, sous la pression de la privatisation du système libéral, avec la corruption, la parcellisation des pouvoirs, la perte de légitimité et la dilution de l’autorité, le conformisme extrême, jusqu’au virtualisme, etc. (Pour les forces armées, cette évolution a effectivement pris le nom de RMA, ou Revolution in Military Affairs, qui a introduit cette systématisation de la communication, de l’information, et de l’autonomie qui en découle, qui s’avère déboucher sur cette parcellisation générale.) Cet immense “ordre” imposé par l’omniprésence du déluge d’informations internes, recommandant comme une vertu l’autonomie d’action dont les défauts sont supposés complètement éliminés par l’information, conduit à son contraire : un immense désordre. Ainsi, et malgré qu’elle soit professionnalisée, voire “privatisée” par pans, jamais une armée n’a aussi bien reflété la nation dont elle est issue, et qui n’est pas une nation, comme chacun sait, et qui ne l’a jamais été, – mais un système, rien qu’un système… (Il est utile d'ajouter qu'à cette lumière, l'appel aux société privées de sécurité, aux mercenaires, etc., n'a plus rien de choquant ni de révolutionnaire. Ces mesures s'intègrent dans un cadre préexistant, l'armée US ayant déjà, elle-même, nombre de ces caractères.)
On comprend alors combien cette image générale rencontre l’image générale que nous ont restitués les fuites de Wikileaks (y compris le fait même de la masse de près de 400.000 documents, qui correspond au flot monstrueux d’information). Le chaos de l’information, la disposition de moyens permettant la complète autonomie, les concurrences de pouvoirs, la méconnaissance complète des pays où l’on opère et qui apparaissent évidemment secondaires, voire inexistants, dans l’ordre des priorités par rapport aux querelles internes et washingtoniennes, aboutissent effectivement à tous les débordements possibles, les liquidations, les abus de toutes sortes. Les forces agissent aussi bien comme des entreprises concurrentes au sein du corporate power que comme des gangs concurrents au sein du “crime organisé”. Toutes les erreurs possibles sont faites, parce que ce qui compte en vérité est moins la situation sur le terrain que la situation de chaque groupe et de ses intérêts à Washington.
Au niveau psychologique et communautaire, il s’agit du plus complet individualisme, imposé par le système ; le “devoir” se détermine selon une mesure judicieuse de l’équilibre des forces (l’équilibre des pouvoirs et de leurs intérêts) pour activer le choix le plus judicieux, le plus intéressant. Les individus ne sont pas nécessairement complètement fautifs, ils sont pris dans l’engrenage du système qui apparaît évidemment comme le diabolus ex machina incontestable et dictatorial. (Un Chief Miller est toujours possible, mais son action restera limitée dans ses effets, comme on s’en doute.) L’autorité générale y est diffuse, hors le discours virtualiste, conformiste et martial, et l’omniprésence jusqu’à la nausée, bien entendu, de la bannière étoilée.
Il s’agit de la barbarie postmoderniste, fondée absolument sur le déchaînement des systèmes du technologisme et de la communication. Barbarie à visage humain ? Mais non, BHL, cette thèse-là est bonne pour le Concours Général et les éditeurs Rive Gauche, rien de plus… La matière règne en maître, comme si elle était un Dieu absolument subverti (d’où notre emploi du masculin), et l’homme en est son piètre serviteur, éventuellement exécuteur des basses œuvres. Cette barbarie-là, évidemment, dépasse et synthétise toutes les barbaries qui ont précédé. C’est la barbarie devenue la norme et la nature du monde.