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240204 janvier 2018 – L’article mis en ligne 3 janvier 2018 (du Saker-US avec notre commentaire) sur la mentalité américaniste, sur la psychologie US par rapport à la guerre principalement, nous a conduits à proposer une réflexion prolongeant le sujet vers certaines de ses racines historiques et l’illustrant principalement par un extrait du livre La Grâce de l’Histoire, Tome-I, dans sa Cinquième Partie consacrée à la communication (« Le pont de la communication »). Effectivement, c’est de communication qu’il est question, et cela autour et à propos de la Deuxième Guerre mondiale ; communication parce que cette guerre « fut le premier film dans lequel chaque Américain pouvait avoir un rôle » ; Deuxième guerre mondiale, parce que ce conflit fut l’occasion, grâce à la communication, d’une “victoire stratégique majeure” des USA qui a transformé l’époque et orienté l’histoire du monde vers où nous nous trouvons :
« La transmutation de la Deuxième Guerre, en Europe, en victoire américaine et américaniste est le fait stratégique majeur du conflit, – et une victoire, puisque victoire il y a, de la communication. »
Avec la Deuxième Guerre mondiale, la psychologie américaniste est conduite vers l’abandon du culte de l’isolationnisme et orientée après un étrange “trou noir” qui aurait pu tout faire basculer mais qui agit finalement comme un sas de décompression, vers l’entrée dans le monde comme si le monde était une immense Amérique-en-devenir, attendant ainsi cette mutation de la psychologie américaniste pour s’offrir lui-même à l’américanisation. A partir de l’après-Deuxième Guerre mondiale s’affirmèrent dans les relations internationales tous les travers et les difformités de la mentalité américaniste que le Saker-US relève dans son article, et également le bellicisme maximaliste qui caractérise cette psychologie. Bien entendu, tout cela existait depuis l’origine en germe ou déjà activement, sur les fondements de ce pays qui ne sut jamais se constituer en nation, comme Tocqueville le voyait bien déjà en 1831, qui n’avait en commun que “l’intérêt” ; cela déboucherait nécessairement sur l’“idéal de puissance” et le culte de la force transmutée par la communication en vertu faussaire que l’on nommerait “démocratie”.
Tocqueville : « Ils n’ont ni religion, ni mœurs, ni idées communes ; jusqu’à présent on ne peut dire qu’il y ait un caractère américain à moins que ce soit celui de n’en point avoir. Il n’existe point ici de souvenirs communs, d’attachements nationaux. Quel peut donc être le seul lien qui unisse les différentes parties de ce vaste corps ? L’intérêt ».
Dans l’extrait de La Grâce que nous présentons sont esquissés deux thèmes fondamentaux qui engendrent ou s’arrangent c’est selon, de tous les vices et distorsions psychologiques relevés dans le comportement US dans les conflits, et qui par conséquent développent et confortent le phénomène psychologique qu’on identifie, – avec ses caractères que nous avons déjà présentés de l’inculpabilité et de l’indéfectibilité... Le premier de ces thèmes est la communication, dans le sens de la création d’une fiction, ou narrative, ou bien encore dans un sens plus achevé, simulacre bien entendu ; le second est le rôle fondamental, primordial sinon exclusif, de la politique politicienne US prise dans son sens le plus large et le plus vulgaire, avec bien entendu les différents intérêts et forces de l’argent dans le jeu, dans la détermination, le choix et la provocation des conflits.
• On voit notamment, dans ce texte, comment on pourrait considérer effectivement la Deuxième Guerre mondiale du point de vue américaniste, comme l’écrit le professeur Roeder Jr., comme un véritable spectacle où chaque Américain serait à la fois spectateur et acteur, et spectacle évidemment hollywoodien comme du Debord avant son heure. Il se serait agi ainsi d’atteindre à une certaine perfection du stéréotype hollywoodien où la production de “l’usine à rêves” se confondrait avec son consommateur, faisant du “rêve” à prétention expansionniste une réalité désormais intangible :
« La Deuxième Guerre mondiale fut le premier film dans lequel chaque Américain pouvait avoir un rôle. [...] La Deuxième Guerre mondiale offrit à chaque citoyen [américain] le double rôle de spectateur et de participant. »
Pour cette raison, la Deuxième Guerre mondiale fut confisquée, avec la complicité aveugle d’un Churchill (on cite dans le texte l’admonestation de De Gaulle à l’intention d’un Churchill gêné, qui ne répond pas, – parce que Churchill cède toutes les commandes de la guerre aux USA alors qu’à cette époque [novembre 1942] l’Angleterre assume l’essentiel de l’effort de guerre à l’Ouest) ; d’une manière plus générale, pour parler du sort de la machine de guerre allemande en soi, la Deuxième Guerre mondiale fut confisquée au détriment des Russes, comme ces derniers ont pu s’en apercevoir ces dernières années où le rôle de l’URSS/Russie dans la défaite de l’Allemagne a été minorée, et parfois niée dans des conditions invraisemblables de falsification historique. On voit ainsi, avec ce dernier exemple, combien l’opération de “rapt” réalisé par les USA en 1941-1945 constitue le socle de la falsification historique soutenant la politique russe actuelle des USA (et du bloc-BAO, surtout des anciens pays-satellites de l’URSS). Elle ne cesse d’être “authentifiée” par les productions hollywoodiennes, comme ce film de Spielberg, ‘Il faut sauver le soldat Ryan’, où les Américains sont seuls à débarquer le 6 juin 1944 et où les indigènes se révèlent être des sauvages sans le moindre intérêt, connus sous le nom de “les Français”. L’arrogance, le mépris pour le reste du monde, la certitude de la supériorité, etc., tous ces travers cités par le Saker-US sont déjà là, ils font partie de la recette et de la tambouille qui continuent à nous être servies.
(Voilà donc bien le suprémacisme, – non pas “blanc” comme on se le barbouille aujourd’hui pour les besoins de la cause postmoderne et sociétale en cours, mais bien suprémacisme américaniste, ou anglosaxoniste quand les Britts parviennent à se maintenir sur leur pathétique strapontin. Les blacks du Congrès comme les dames féministes d’Hollywood s’arrangent aussi bien de ce suprémacisme-là, dans leur vie courante, avec les privilèges et le sentiment de puissance que cette vie américaniste réservée aux élites-Système leur fournit.)
• Le deuxième point important que l’on retrouve dans le texte ci-dessous existe toujours, lui aussi, – sinon plus que jamais jusqu'à la caricature tellement voyante de l'actuelle “D.C.-la-folle”, – comme un des caractères fondamentaux de l’américanisme et des guerres sans nom et sans nombre que l’américanisme répand dans le monde. Il s'agit du désintérêt complet pour les situations extérieures dans le cas de ces guerres extérieures, qui sont décidées et conduites dans la mesure où elles occipent une place dans les affrontements politiciens sans pitié qui se déroulent dans les couloirs du Congrès et dans les bureaux richissimes des lobbyistes.
(Avant-hier encore, un long et intéressant article nous révélait, – car c’est bien une révélation par rapport au catéchisme qui nous est imposé, – que la guerre de Corée fut conduite essentiellement pour des raisons politiciennes internes à Washington D.C., – “D.C.-la-cynique” qui n’était pas encore “D.C.-la-folle”...)
Ainsi voit-on les méandres et les incompréhensions qui accompagnent la décision solitaire de Roosevelt, contre l’avis de tous ses conseillers, chefs et alliés, d’exiger le 23 janvier 1943 une “capitulation sans condition” de l’Allemagne. On doit finalement reconnaître qu’il s’agit d’un décision politique-politicienne, comme sans doute également (c’est clairement l’avis de PhG dans l’extrait) la décision de larguer la bombe atomique sur le Japon prise par Truman. Rien d’historique au sens haut du qualificatif, rien qui ne s’embarrasse de la moindre vision, de la moindre pensée d’une certaine hauteur, dans ces décisions pourtant historiques et dont les premiers effet directs et visibles furent un terrifiant supplément de massacres.
On retrouve facilement le fil rouge devenu corde grossière qui nous ramène à notre époque, lorsqu’on voit en fonction de quels éléments et selon quels calculs sont prises aujourd'hui les décisions de guerre, les menaces, les pressions, etc., contre des pays étrangers et desarrangementsinterationaux. La seule différence, grâce au bienheureux processus d’effondrement en cours, est que “D.C.-la-cynique” est devenue “D.C.-la-folle”. Ainsi, du fait de la conséquence de la transformation de l’arrogance et de l’ignorance du reste du monde en un délire exacerbé vécu dans un monde intérieur fermé sur lui-même et complètement fictif, c'est-à-dire un spectacle à-la-Debord où les acteurs sont aussi les spectateurs d’eux-mêmes et croyant du simulacre qu’ils interprètent, “D.C.-la-cynique” devenue “D.C.-la-folle” se heurte désormais durement aux vérités du monde. Les défaites qui se succèdent ont de plus en plus de mal à se parer du doux nom de “victoires”, à un point où l’on sentirait chez de nombreux chefs militaires américanistes une prudence, voire une réticence pour partir en guerre. La mascarade montée de toutes pièces par la folie encore dissimulée de cette psychologie démoniaque s’est transformée en tragédie-bouffe interprétée en exclusivité pour l’établissement psychiatrique de “D.C.-la-folle” qui jouxte l’usine à gaz de America Inc. où l’on ne distingue plus que l’ombre devenue maigrelette du grand et gras Albert, dit-Al Capone comme référence historique du businessman postmoderne...
« Des studios du cinématographe, nous passons aisément à la réalité puisque la réalité est désormais celle qui sort des studios, et rien d’autre ne s’y peut comparer en vérité. Le professeur George H. Roeder Jr., qui est professeur of liberal art, dont l’image du cinématographe fait partie, et nullement historien, nous présente la Deuxième Guerre mondiale sous les traits d’une “guerre censurée” ; mais bien au-delà de cet aspect somme toute conjoncturel, il nous instruit dans ses remarques introductives de ceci qui résume notre propos à merveille : « La Deuxième Guerre mondiale fut le premier film dans lequel chaque Américain pouvait avoir un rôle. [...] La Deuxième Guerre mondiale offrit à chaque citoyen [américain] le double rôle de spectateur et de participant. » George H. Roeder Jr. nous dit bien plus de la réelle substance de l’événement de la Deuxième Guerre mondiale, de sa puissance et de son influence sur la psychologie américaniste (et sur le renforcement de l’américanisation de la psychologie des Américains), dans cette façon “cinématographique” de l’aborder, et il nous dit bien plus par conséquent sur l’histoire américaniste ainsi sortie du spectre de la Grande Dépression, cette épouvantable agression de la réalité, cette scandaleuse provocation en vérité ; certes, il nous en dit bien plus que toutes les studieuses et laborieuses, et nécessairement conformistes, études historiographiques enfantées par le système. Il ne s’agit pas ici de signaler un à-côté, un aspect intéressant mais tout de même marginal de la perception du grand conflit, notamment chez les Américains mais également sur les terres extérieures. Au contraire, nous prétendons décrire la substance, et même l’essence de la chose, telle qu’elle fut modelée par la communication. L’appréciation de George H. Roeder Jr., si elle paraît sortir du laboratoire original mais limité du spécialiste, concerne au contraire l’entièreté du phénomène. La politique générale, les appréciations des dirigeants de cette politique, du moins ceux qui sont acquis au système, montrent une transcription en des concepts “sérieux” de cette façon de percevoir l’événement. Il s’agit d’une véritable mise en scène de l’Histoire dans laquelle croit entrer l’Amérique, alors que ce qu’elle fait est de tenter d’annexer l’Histoire pour la faire “traiter” par les régiments de scénaristes de Hollywood. Pour un certain temps, quelques décennies au moins, on put considérer que le tour avait réussi, du passe-passe, certes, mais dans le cadre sérieux de l’industrie cinématographique. Il s’agit de convenir là encore que la communication constitue l’arme absolue de l’américanisme.
» Puisque la Deuxième Guerre mondiale fut un film où les Américains étaient acteurs et dont ils étaient les spectateurs, il importait que ce film fût tourné à Hollywood, que les bons y triomphassent sans qu’on puisse émettre le moindre doute sur leur vertu et leur puissance, que les mauvais y fussent punis à mesure, que les acolytes fussent mis à leur place et ainsi de suite. Ainsi la Deuxième Guerre devint-elle une guerre américaniste et, véritablement, l’aube claire et radieuse d’une époque nouvelle et sans précédent. Certains nommèrent cela, avec le sens de l’à-propos et du raccourci, The American Century. Monsieur Henry Luce, qui a imposé la formule en 1941, était encore modeste, avec l’arrière-goût délétère de la Grande Dépression et l’humeur morose, sinon anxieuse ; il aurait pu écrire plus justement, pour désigner la période qui s’ouvrait : The American History as the History of the World ou, plus prestement dit, America as the World. Même les non-Américains qui comptent, les “amis” les plus proches, les fidèles porteurs d’eau qui prétendent garder leur verbe libre au nom d’une parenté vertueuse entre toutes, au nom du cousinage anglo-saxon, même ceux-là acceptèrent, en se conformant aux théories fumeuses et aux manœuvres qualifiées d’habiles, le scénario du cinématographe. Nul ne doit douter que, derrière cette raison, se dissimule à peine, je veux dire maquillée à la va-vite et très vite découverte, une passion extrême qui se nourrit des apparences séduisantes, des illusions enjôleuses, des rêveries entreprenantes, qui est absolument vulnérable au charme général de la communication, qui lui cède avec un délice à peine dissimulé ; cette passion dévorante, brûlante, irrésistible, éprouvée pour l’idée de l’Amérique comme Nouveau Monde et Terre Promise… Certes, on est en droit de se trouver confondu par cette passion acceptée, dévorée presque avec un délice anthropophagique pour l’apparence, pour la construction artificielle, pour le montage de la communication, et tout cela couronné du nom de “nation” qu’elle, l’Amérique, ne mérita jamais vraiment, et surtout pas en cette circonstance ; cette passion pour l’apparence de cette pseudo-nation, ignorant tout de ce qu’il importe d’être pour faire une nation, au rythme de l’Histoire, de la patience et de la cruauté, de la mort et de la souffrance, de la tragédie et de la durée, pour faire une nation qu’on pourrait bientôt qualifier de “vieille”, qui deviendrait, si l’on veut, pour retrouver notre référence, la Grande Nation. Ce goût pour l’absence de substance et l’ignorance de l’essence, pour le refus de la grâce, pour le mépris des choses hautes et pourtant qui poserait à être hautain, voilà bien le mystère qui enrobe l’énigme américaine.
» En novembre 1942, le général de Gaulle, qui n’est pas de ce troupeau des porteurs d’eau de l’Amérique, admonesta sévèrement Winston Churchill, qui, lui, aurait tendance à en être, même lorsqu’il se pare de la crinière flamboyante du vieux lion britannique. Cela se passait le 18 novembre 1942, une décade après le débarquement allié en Afrique du Nord, l’opération Torch dont le général avait fortement pris ombrage de n’en avoir pas été averti. La cause de cet ostracisme, inacceptable pour lui puisque l’Afrique du Nord était territoire français, lui semblait évidente, dans la révélation que lui avaient fait les Britanniques en l’informant du débarquement, de la direction américaniste de l’affaire ;
« je comprends mal, avait-il dit à Churchill et à Eden, que vous, Anglais, passiez aussi complètement la main dans une entreprise qui intéresse l’Europe au premier chef. »
Puis ce furent ses observations pleines de fureur contenue, à l’intention de Churchill, ce 18 novembre 1942 :
« …Quant à vous, je ne vous comprends pas. Vous faites la guerre depuis le premier jour. On peut même dire que vous êtes, personnellement, cette guerre. Votre armée progresse en Lybie. Il n’y aurait pas d’Américains en Afrique si, de votre côté, vous n’étiez pas en train de battre Rommel. A l’heure qu’il est, jamais encore un soldat de Roosevelt n’a rencontré un soldat d’Hitler tandis que, depuis trois ans, vos hommes se battent sous toutes les latitudes. D’ailleurs, dans l’affaire africaine, c’est l’Europe qui est en cause et l’Angleterre appartient à l’Europe. Cependant, vous laissez l’Amérique prendre la direction du conflit. Or, c’est à vous de l’exercer, tout au moins dans le domaine moral. Faites-le ! L’opinion européenne vous suivra. » (Selon les Mémoires de guerre du général.)
» L’idée offerte par cette intervention est fondamentale, et c’est à partir d’elle qu’on peut rapidement observer que la Deuxième Guerre fut aussi un film de cinématographie pour d’autres que les citoyens américains, beaucoup d’autres, et parmi eux des dirigeants aussi grandement historiques que Churchill. La transmutation de la Deuxième Guerre, en Europe, en victoire américaine et américaniste est le fait stratégique majeur du conflit, – et une victoire, puisque victoire il y a, de la communication. Un simple survol de l’histoire militaire doit nous en convaincre, c’est-à-dire nous confirmer ce que nous devrions savoir déjà. L’intervention substantielle des forces armées US dans la guerre contre l’Allemagne (disons, autour de 50% du potentiel allié sur un front donné) commence avec le débarquement de Normandie, en juin 1944 ; même l’offensive stratégique aérienne ne commença à sortir ses effets, d’ailleurs différents de ceux qu’on attendait, qu’à partir du printemps 1944. Mais l’on sait, ou l’on devrait savoir, que le tournant de la guerre se situe en 1943, et que cette guerre fut véritablement gagnée avec les batailles de Stalingrad et de Koursk, avec la Wehrmacht battue, sur la pente de la destruction, – tout cela, sans les USA. Même la puissance de l’industrie de guerre des USA, si elle joua sans doute un rôle important et progressivement de plus en plus important, ne joua jamais ce rôle exclusif d’une condition sine qua non de la victoire qu’on lui attribua.
» Qui s’intéresse à cela ? La Seconde Guerre est entrée dans les esprits, et plus encore, dirais-je, dans la psychologie pour devenir un réflexe du jugement, comme la “guerre américaine”, la “Grande Guerre américaniste”, l’on dirait par substance même. Pour compléter l’hypothèse et ajouter le destin aux manipulations inconscientes, on observerait que par un acte essentiel posé à un moment essentiel, Roosevelt joue un rôle clef dans la poursuite de la guerre et sa transformation décisive en une “guerre américaniste”, comme s’il voulait s’assurer, en la transmutant, de la scène grondante et terrible à partir de laquelle l’Amérique installera son empire de la communication sur le monde. Le président est l'ordonnateur et le grand prêtre de la transmutation, autant que le magouilleur de ses prémisses ; ainsi est-on conduit à avancer une interprétation hyperbolique de la conviction de fer de Roosevelt et de l'insistance inattaquable qui en résulte, pour la capitulation de l'Allemagne sans conditions (cette exigence sera également énoncée pour le Japon, mais l'antériorité est incontestablement pour l'Allemagne, et, d'une certaine façon, la même politique fut appliquée pour le Japon parce que la logique politique et idéologique interdisait après ce précédent-là de faire autrement). Appréciée d'un point de vue simplement historique, classique dirions-nous, cette politique est maladroite et stupide, selon l’appréciation la plus modérée qu’on puisse en avoir. Lorsque Roosevelt l'annonce, au début de 1943, le 23 janvier lors d’une conférence de presse à Casablanca, c’est contre l'avis quasiment unanime qu’on connaîtra ensuite, du monde politique washingtonien, de ses propres chefs militaires, des Britanniques (Churchill en tête), de Staline lui-même. L’historien Thomas Fleming, dans son livre The New Dealer’s War, écrit :
« L’ironie ultime est que l’idée de la capitulation sans condition ne fit aucune impression sur l’homme pour qui Roosevelt affirma qu’il avait pris cette décision : Joseph Staline. Le dictateur soviétique considérait, selon des arguments presque semblables à ceux des généraux Eisenhower, Wedemeyer et Eaker, que cela ne ferait qu’accroître la dureté et la pugnacité de la résistance allemande. »
» Tous les arguments militent contre ce choix et l’histoire confirmera cela, en ajoutant à la maladresse et à la stupidité de cette politique, son caractère indirectement criminel. Fleming détaille, avec bien des arguments sinon l’évidence, les diverses circonstances, pertes, massacres et destructions qui eussent été réduits ou évités, selon lui, sans parler de bouleversements géostratégiques déstabilisants, si l’exigence de capitulation sans conditions n’avait pas été émise. Il poursuit en constatant qu’elle interféra décisivement dans les négociations engagées notamment par les services de renseignement britannique et US avec une résistance constituant une opposition démocratique allemande, s’appuyant sur les SR allemands (amiral Canaris), qu’ils auraient pu aider dans le projet d’un renversement de Hitler, de l’établissement d’un régime démocratique avec lequel une paix de compromis était envisageable. Fleming rapporte le contenu d’un mémorandum du capitaine Basil Liddell Hart, le futur fameux historien militaire :
« Liddle Hart pensait qu’il existait une très réelle possibilité d’un coup d’État qui entraînerait la chute de Hitler. (Il ne savait rien de l’existence du mouvement allemand de résistance.) Il mit en évidence le fait que l’exigence de capitulation sans condition constituait un obstacle insurmontable pour une telle initiative. Les gens qui se sentiraient eux-mêmes “l’objet d’attaques sans aucune retenue”, […] seraient inclinés à continuer à soutenir ou à rallier le régime qui, bien qu’il fût une tyrannie, organisait au moins leur défense. »
» Il est apparu difficile de donner une explication à l'attitude de FDR alors qu'il existait une telle unanimité contre sa décision lorsqu’elle fut annoncée, alors que les graves faiblesses de la politique de la capitulation sans conditions étaient évidentes dès l'origine. Plusieurs hypothèses furent avancées. En désespoir de cause, nombre d’historiens ont accepté l'explication sommaire et extraordinaire de FDR, selon laquelle l'idée de la capitulation inconditionnelle lui était « venue à l'esprit » pendant la conférence de presse de janvier 1943, où il annonça effectivement cette exigence. Les notes prises par FDR pour cette conférence portaient des indications précises sur cette politique de capitulation inconditionnelle qu'il allait annoncer. Thomas Fleming observe que
« l'exigence de capitulation sans conditions était tout ce qu'on veut sauf accidentelle et son but était extrêmement sérieux et élaboré. Elle représentait une tentative de FDR pour rassurer ses critiques libéraux en Amérique et donner [au pays] un but moral, un cri de ralliement qui avait manqué jusqu'alors. »
» Cette appréciation convient effectivement à la situation intérieure difficile où se trouvait FDR, alors qu'aucun résultat encourageant de la guerre n'était venu conforter le moral de la population (l'insistance de FDR pour l’opération Torch de novembre 1942 répondait pour une bonne partie à son désir de fouetter le moral défaillant des Américains). Cette appréciation qui concerne une situation intérieure par définition secondaire des grands engagements historiques, paraîtrait bien maigre en regard, justement, de l’importance historique de l’exigence de la capitulation sans conditions. Mais c’est bien ainsi que le système de l’américanisme fonctionne, d’abord attentif à ses exigences internes puisque sa puissance extérieure, dans son esprit, ne pose aucune espèce de problème. Dans nombre de cas, on rencontre de ces exemples de décisions de considérable importance, qu’on cherchera ensuite à habiller des atours de la démarche historique, voire morale, et qui s’avèrent être de pure tactique interne dans leur conception initiale. On comprend mal le système de l’américanisme si l’on ne comprend pas que la maîtrise des réseaux et des obligations de tactique interne prime tout dans un arrangement qui n’impose aucune obligation supérieure, aucun engagement régalien et aucune réelle vision historique. Une autre décision, aussi historique sans aucun doute que celle de l’exigence de “capitulation sans conditions”, et pour la cause de laquelle les historiens continuent de s’affronter, est celle de la décision de l’utilisation de la bombe atomique par Truman. Ma religion est faite là-dessus depuis que j’ai entendu (dans le documentaire filmé Le Soleil noir, de 1995) le témoignage de l’aide de camp de Truman lors de sa décision, alors capitaine de vaisseau de l’U.S. Navy, rapportant que le président craignait une procédure d’impeachment du Congrès contre lui s’il n’utilisait pas la bombe. L’argument était simple, selon lequel le Congrès jugerait injustifiable d’avoir dépensé près de $2 milliards pour développer une arme qu’on n’utiliserait pas. La crainte de cette procédure parlementaire aurait décidé Truman, dont la rouerie d’une culture parlementaire sans faille était bien connue, et ma conviction est bien que ce point a joué un rôle essentiel dans sa décision historique.
» Dans ce cadre général de jugement, l’explication de Fleming est complètement acceptable, logique et naturelle au système de l’américanisme. Loin des clichés hollywoodiens sur la grande unité nationale acceptés avec empressement par des esprits si prompts à succomber à la fascination de la grandeur supposée du modèle, la situation en Amérique en 1941-42, avec une opinion intérieure réticente, une remontée des républicains (victoire électorale de novembre 1942), des conditions intérieures, sociales et raciales, notablement difficiles, – cette situation pouvait apparaître fort inquiétante pour un homme politique washingtonien avisé. Il importait de la redresser sous peine de voir l’érosion du soutien des Américains à la guerre se transformer en une situation de crise. Le président avait besoin d'une cause, d'un étendard, comme Lincoln en 1862, alors que la Guerre Civile tournait à l'avantage des “rebelles” (certains disent même “terroristes”, aujourd’hui, en parlant des forces sudistes). En 1863, Lincoln choisit la cause des Noirs comme acte sublimant le conflit, avec l'Acte d'Émancipation, cette solennelle proclamation de la fin de l'esclavage qui était, à sa façon, une exigence proche de la reddition sans conditions que demandait FDR en 1943. Dans les deux attitudes, la même façon de radicaliser la cause, de porter la guerre à son paroxysme, qui force à la mobilisation populaire et ne laisse plus de choix. Dans les deux cas, c'est Cortez qui brûle ses vaisseaux. Dans les deux cas, et cela pour nous conforter dans la validité de notre thèse, on observera qu’il s’agit de l’appel à la communication, à son système magique…
» Or, pour l’Amérique elle-même, pour sa situation générale et dans l’interprétation qu’on donne à cette situation, c’est vraiment l’occurrence de “Cortez qui brûle ses vaisseaux”. Dans son texte fameux de 1941 que nous avons mentionné plus haut, The American Century, Henry Luce annonce l’empire américain en le présentant sur les fonts baptismaux d’un désarroi profond et d’un pathétisme anémiant ; ces sentiments du désespoir de la Grande Dépression interrompus pendant une poussière d’années par Roosevelt le magicien du verbe, renés devant l’évidence des conditions économiques de la dépression persistante, confortés par la réalisation que Roosevelt avait sauvé la psychologie mais nullement le système et son économie. C’est ainsi que la guerre, celle que Henry Luce au fond de lui appelait de ses vœux secrets, apporte un répit à l’Amérique, et qu’elle apporte peut-être plus encore. Pour en exploiter toute la latence américaniste, il faut qu’elle devienne la “Grande Guerre américaniste”, qu’elle soit portée à son comble et à son paroxysme de rupture apocalyptique (reddition sans condition, l’Allemagne écrasée, Hiroshima), que sa représentation quasiment cinématographique nimbe, en exaltant sa vertu évidente et sa destinée exemplaire, la puissance américaniste d’une sorte de légitimité presque surnaturelle, pour établir sur le monde un empire qui ne puisse être contesté en vérité ; et un empire lui aussi d’une nouveauté qui le mettrait en dehors de l’histoire et de ses lois contingentes détestées puisque désormais configuré dans son entièreté par cette Amérique destinée à s’étendre sur le reste de l’univers en l’américanisant. C’était cela ou bien c’était la fin de la Grande République des Pères Fondateurs. Ainsi en fut-il du dilemme qui, en vérité, conduisit à l’entrée dans la guerre ; ainsi la Seconde Guerre entra-t-elle “dans les esprits, et plus encore, dans la psychologie pour devenir un réflexe du jugement, comme la ‘Grande Guerre américaniste’”. Une nouvelle vérité était née. »
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