Debra Medina, ou l’inconnue du Texas

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Parmi les diverses activités brouillonnes et insaisissables du mouvement Tea Party, dont nous parlons par ailleurs ce même 1er mars 2010, il y en a certaines qui s’avèrent parfaitement conformes au processus politique habituel aux USA. Voici le cas de Debra Medina, qui s’est imposée en quelques semaines comme une candidate de poids dans la course pour la fonction de gouverneur du Texas (un sondage la donne en troisième position avec 24% des voix, juste derrière le n°2 de la course, le sénateur Kayle Hutchinson). Ancienne infirmière et dans la politique locale depuis les années 1990, Medina a commencé sa campagne il y a 13 mois par le classique porte à porte de cette sorte de candidature. Son but est de parvenir à arriver en deuxième position dimanche prochain, pour le premier tour de l’élection, et rester seule face au gouverneur en place, Rick Perry.

• Le 28 février 2010, l’Observer publiait un reportage sur elle. Paul Harris se trouvait notamment dans la petite ville texane de Lytle…

«Until Debra Medina, that is. When Medina breezed into Lytle's community hall the locals found themselves confronted with a Texan version of Sarah Palin. She wore a sharp scarlet skirt suit, librarian-style glasses and a puffed-up hairdo. More than 60 Lytle residents had gathered to meet her, a hefty turnout on a weekday at 11am for a Republican primary election in the race to be Texas governor. Medina has become a political phenomenon in Texas. Emerging as a genuine star of the rightwing populist Tea Party movement, she delivers a fiery message of slashing taxes and the abolition of almost all forms of federal government, and issues dire warnings that President Obama is taking America down a slippery slope to Soviet-style communism.

»It's working. Previously unheard of by the vast majority of Texans, Medina has set the race for governor on fire, upsetting the primary contest between the incumbent, Rick Perry, and Senator Kay Bailey Hutchison.

»Those gathered to see Medina in Lytle loved her. Young and old, men and women, Latino and white, listened with rapt attention as she outlined her agenda and asked them to back her in this week's first round of voting. If she can beat Hutchison into second place, she can secure a runoff against Perry. That would raise the possibility – distant but real – of a Tea Party activist capturing the government of the second biggest state in America. The Tea Party movement would have gone from being a bunch of ragtag protesters to heading one of the largest single economies in the world. "If we can change politics as usual in Texas, then we can change politics as usual across America. This is not just about Texas, but about changing the whole country," Medina told the Observer before addressing her supporters in Lytle. […]

»… But when it comes to speeches Medina is no Sarah Palin. She has no need to write on her hand to remember her talking points. Instead her speech was a complex walk through her extreme anti-government philosophy, citing sources as varied as the Austrian school of economics, St Augustine and modern French philosophers. She said she wanted to get rid of property taxes and allow Texans to do whatever they wanted with anything they owned, whether that was dig for oil or build an extension. There was, she said, no constitutional basis for a federal Department of Education or an Environmental Protection Agency or the Federal Reserve. Texas should assert its rights almost as a nation-state, controlling over its own National Guard units. The disdain for government was visceral. The American way, she said, was simple. “There are two rights essential to freedom: private property and gun ownership.”»

• Medina a attiré l’attention nationale. Les réactions sont diverses. La gauche progressiste et “dissidente”, suivant son attitude habituelle qui donne comme résultat final, même involontaire, de privilégier l’idéologie sur la lutte contre le système, se montre en général très hostile. Il y a par exemple cet article de Yasha Levine and Mark Ames, du 24 février 2010, sur Truthdig.com. Medina y est présentée comme l’archétype d’un “complot” de la droite extrême («Behind the Tea Party Facade, Just Another Bush-League Republican»), tandis que la personne elle-même de la candidate y est largement discréditée par des attaques autant politiques que personnelles.

Notre commentaire

@PAYANT Le cas Medina est effectivement stéréotypé comme une illustration du phénomène Tea Party (plus que mouvement dans ce cas), tel que la vision conformiste tend à le comprendre. Elle est aussitôt assimilée à Sarah Palin, pour nous faire découvrir ensuite qu’elle est d’une toute autre dimension que Palin, avec notamment des idées précises sur la question de la souveraineté des Etats (le Texas , dans ce cas) par rapport à l’Union. Elle est présentée comme le produit d’un “complot” du système (la droite bushiste sous un faux masque) alors que Tea Party est présenté notamment comme un rassemblement de “complotistes” antisystème (voir Frank Rich), alors que les indices s’accumulent d’un antagonisme de plus en plus marqué entre Tea Party et le parti républicain. Au reste, le Texan Ron Paul, qui est devenu la bête noire des bushistes, est plutôt favorable à Medina.

La candidature Medina, en attendant de voir les résultats qu’elle va donner, est très intéressante parce qu’elle nous donne une perception intuitive, archétypique cette fois, des fondements de ce mouvement. Ce qui domine la démarche de la candidate telle qu’elle est décrite, à côté des diverses allusions et froncements de sourcil de la bien-pensance type-système, c’est bien un réflexe localiste marqué, naturel mais très affirmé et très structuré face au centre washingtonien. Peu nous importe ici les mesures proposées, la forme des invectives, etc., à l’encontre de Washington; peu nous importe les contradictions à cet égard (on peu trouver peu judicieux de s’opposer à l’action au niveau de l’Etat de l'Environmental Protection Agency et complètement révolutionnaire et remarquable de condamner la Federal Reserve). C’est la structure de la démarche qui nous importe, – effectivement, une démarche indirectement mais fondamentalement structurante puisqu’hostile au cadre de la structure fédérale, dont on sait que la finalité est violemment déstructurante dans le conflit général qui caractérise la crise. Son affirmation de la souveraineté de l’Etat dans l’Union nous importe plus dans le principe qu’elle pose, que dans le cas spécifique du Texas dont on connaît les caractères réactionnaires et autres…

C’est justement tout le piment de l’affaire, ce qui la rend complexe et nécessite qu’on fasse le classement des priorités. Le Texas, dont les caractères propres, – super-capitalisme, américanisme, etc., – sont très proches de ceux du système, devient le théâtre d’une attaque contre la structure fédérale US, qui est elle-même la dynamique déstructurante par excellence du système. Ce phénomène paradoxal avec le cas du Texas avait déjà été effleuré par l’attaque, l’année dernière, de l’actuel gouverneur évoquant la sécession possible de l’Union de l’Etat du Texas. (Cela, comme ça se trouve, dans le cadre de la première grande série de manifestations à l’échelon national de Tea Party.)

La question que nous posent Tea Party et le foisonnement de ses positions est bien la question des priorités. Une analyse idéologique venant de la “dissidence” anti-système conduirait à la condamnation pure et simple au nom des réflexes anti-réactionnaires qui ont la jeunesse et la nouveauté de deux siècles de luttes menés en leur nom, souvent avec succès, et dont l’aboutissement est, quoi qu’on en veuille, l’installation du système général qu’on connaît, qui est une machine oppressive sans précédent dans l’Histoire. Une analyse “structurelle” conduit à une conclusion complètement inverse. Par sa poussée anti-washingtonienne, anti-fédérale, qui fait l’essentiel de son discours, et son succès incontestable, on voit Medina conduite à affirmer, encore plus que les droits des Etats, in fine leur souveraineté elle-même. C’est retrouver l’un des principes essentiels des forces structurantes qui s’opposent à la poussée déstructurante du système, représenté dans ce cas par le centre fédéral. Que cela passe par l’affirmation du droit de posséder des armes ou quelque autre joyeuseté de la sorte n’a qu’une importance mineure, dont l’appréciation relève de la capacité qu’on a de distinguer l’essentiel de l’accessoire.

Le jour où il y aura une poussée sécessionniste sérieuse dans l’Etat du Texas, Etat pourtant typique du système américaniste et qui nous a donné notamment GW Bush, on pourra penser qu’il existe désormais une occurrence majeure d’une dislocation du système. Ainsi vont les paradoxes dans une époque où il importe d’abord de distinguer où se trouve l’ennemi, et qui il est. Medina est peut-être le signe sérieux de l’amorce d’un tel événement. Elle est donc à suivre avec intérêt.


Mis en ligne le 1er mars 2010 à 06H27