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78324 avril 2007 — Le Guardian, toujours imbattable dans la poursuite des nouvelles du cas BAE et de ses innombrables ramifications de corruption, publie aujourd’hui un article où il nous informe de l’extraordinaire campagne montée par la diplomatie britannique contre l’enquête décidée par l’OCDE, contre les fonctionnaires et experts internationaux qui la dirigent, — et cela, par tous les moyens.
Il y a le cas du professeur (suisse) Pieth, qui mène l’enquête :
«The UK is covertly trying to oust the head of the world's main anti-bribery watchdog to prevent criticism of ministers and Britain's biggest arms company, BAE, the Guardian has learned. The effort to remove Mark Pieth comes as his organisation has stepped up its investigation into the British government's decision to kill off a major inquiry into allegations that BAE paid massive bribes to land Saudi arms deals.
»British diplomats are seeking to remove Professor Pieth, a Swiss legal expert who chairs the anti-corruption watchdog of the Organisation for Economic Cooperation and Development (OECD), claiming he is too outspoken.
»At the OECD meeting in Paris last month, British officials tried to stop Prof Pieth addressing a press conference at which he announced his agency was to conduct a formal inquiry into the government's decision to terminate the BAE investigation. They then privately briefed other diplomats involved with the OECD, saying he should be removed.
»When that failed, the campaign against him continued unabated with further back-channel complaints.
»But concern about the conduct of the British diplomats filtered back to Prof Pieth, who confirmed yesterday that he was aware of the attempts to remove him. “I am aware that the British ambassador was asking at the time for action to be taken against me,” he said.
»Prof Pieth refused to elaborate, but he is understood to be privately furious at the way he has been bad-mouthed.»
Le directeur général de l’OCDE, l’ancien ministre mexicain des finances Angel Gurria, est également dans le collimateur du gouvernement Blair. Campagne de rumeurs, fausses infos, tout y passe. Monsieur Gurria n’est pas content.
«The director general of the OECD, Angel Gurría, also believes the UK is encouraging a smear campaign against him. Last Friday he was accused in a British magazine of giving a job to his daughter, getting free football tickets, and spending €733,000 (£500,000) to refurbish his Paris flat in what was described as “the poshest bit of the swanky 16th arrondissement”.
»The article in the Economist quoted an unnamed north European ambassador expressing fears that “the staid old body [OECD] ... may drift into dangerous waters” under Mr Gurría, the former finance minister of Mexico.
»Following the allegations, Mr Gurría issued a combative statement, saying that he was under UK media attack by “innuendo, gossip and partial truths”.
»“It is no surprise that this attack occurs at this time,” he added.»
• Pour autant, la position britannique n’est pas excellente, tant s’en faut, — et l’on pourrait penser qu’effectivement l’action britannique reflète également une crainte profonde de sérieux prolongements. Le Guardian rapporte qu’une source à l’OCDE commente de cette façon l’activisme du gouvernement Blair, en mettant notamment en évidence sa brutalité : «The UK's representatives were sent to Paris to emasculate the [watchdog] and ensure they did not say anything publicly. They failed and were not pleased. They behaved in a manner that would not have been out of place in a boxing ring.» Devant cet échec, les Britanniques ont demandé aux autres pays membres de la commission de l’OCDE sur la corruption (dont la France, les USA, la Russie, etc.) d’interdire toute déclaration d’officiels de l’OCDE tant que l’enquête est en cours. Le Guardian commente que “la demande s’est heurtée à un mur” («…the request has hit a brick wall») et rapporte cette appréciation d’une source à l’OCDE : «The British do not have support from anyone else on this.»
• Cet acharnement britannique, la position dure de l’OCDE et des pays-membres, l’enquête approfondie décidée en mars par l’OCDE, tout indique que l’affaire est très sérieuse. Il se pourrait que l’enquête débouche sur une grave mise en cause du Royaume-Uni, au nom et à cause de BAE. Nous aurons alors quitté la sphère des affaires, de la corruption, etc., pour le domaine politique et des relations internationales.
• Le quotidien britannique précise également que deux autres actions en justice viennent d’être entamées au Royaume-Uni même : «Two campaign groups, the anti-corruption group The Cornerhouse and the Campaign Against the Arms Trade, filed detailed pleadings last week alleging that Britain had broken the treaty banning corrupt payments by companies to foreign politicians and officials.» Il est important de noter, dans ce passage, la chronologie : ce n’est que la semaine dernière que les deux actions intentées ont été lancées, alors que les deux groupes les envisageaient dès le 20 décembre 2006 et qu’ils avaient pris les premières décisions formelles pour les lancer à la mi-janvier. Ils avaient suspendu cette intention, attendant des explications du gouvernement et les résultats de l’intervention de l’OCDE. Ces groupes connaissent le coût financier de telles actions et ne risquent pas de s’y lancer sans assurances. S’ils mettent finalement leur intention à exécution, c’est qu’ils ont conclu, d’une part que le gouvernement est vulnérable, d’autre part que l’action de l’OCDE est sérieuse.
Le cas est exemplaire. Ce n’est pas (plus) seulement l’“Etat-BAE” ou quelque chose d’approchant, c’est l’Etat au service de BAE. Bien entendu, on hésite devant l’emploi de ce mot : “Etat”. Le Royaume-Uni a-t-il encore un Etat ? On comprend que les chantres du libéralisme globalisé donnent le blairisme et son gouvernement comme exemple à suivre, notamment à la France. Avec ce Premier ministre et son gouvernement, cet Etat est le parfait non-Etat, l’Etat déstructuré du temps nihiliste de la globalisation.
On a déjà commencé à mesurer ce qu’est BAE dans le système anglo-saxon et transatlantique, — BAE étant désormais autant sinon plus américaniste que britannique (terme d’“américaniste” et non d’“américanisée”, parce que BAE est américaniste bien plus que sous influence américaniste). Nous avons déjà cité, dans un texte récent, cette phrase du Guardian du 15 décembre : «It is two decades since Margaret Thatcher secured the first of the big Al-Yamamah arms deals with Saudi Arabia, and arms sales have coloured relations with Saudi ever since. The sway BAE Systems holds over the top of the British establishment is extraordinary.»
Nous avons également cité Monbiot décrivant ce qu’est BAE, dans le Guardian du 13 février : «There is a state within a state in the United Kingdom, a small but untouchable domain that appears to be subject to a different set of laws. We have heard quite a bit about it over the past two months, but hardly anyone knows just how far its writ runs. The state is BAE Systems, Britain's biggest arms company. It seems, among other advantages, to be able to run its own secret service.»
Ce que nous devons retirer d’essentiel du rapport que nous fait le Guardian des derniers prolongements (OCDE) de l’affaire, c’est évidemment le degré de corruption psychologique et de fonctionnement auquel a été abaissé l’Etat britannique à cause de ses rapports avec BAE. Il s’agit littéralement d’un Etat réduit au service d’intérêts privés, un Etat parfaitement déstructuré par le processus de globalisation. (Car c’est bien de cela qu’il s’agit, au travers de ses special relationships en général, et de sa position de service des intérêts de BAE dans ce cas particulier , — renvoyant néanmoins aux special relationships par la position très particulière de BAE qu’on connaît.)
Le cas britannique est exemplaire du nihilisme de la globalisation, avec les personnages qu’il faut, la part extravagante faite à la construction de l’univers virtualiste, l’entraînement dans des aventures sanglantes et stupides, la dialectique pompeuse et grotesque oscillant entre la liberté des marchés, la vertu de l’Occident et la résurrection de l’Empire. L’affaire BAE en est plus qu’une illustration. Elle est en train de devenir un cas d’école, d’autant qu’il semble désormais exister une coalition de fait entre ceux qui sont d’habitude les alliés des Britanniques dans la globalisation, ceux qui souffrent des méthodes de “concurrence” de BAE et, sans doute, ceux que l’arrogance britannique finit par lasser (les uns et les autres étant parfois les mêmes).
Dans cette affaire, la société BAE est sûre d’elle et agit avec, en plus de l’impudence qui n’étonnera personne, un sens affirmé de l’impunité. Dans le même article dont nous donnons le lien, nous faisions le commentaire que BAE n’était peut-être pas justement avisée, pour diverses raisons, dont certaines sont confirmées par les nouvelles d’aujourd’hui. Nous posions alors la question d’une “chute” possible, si les différentes pressions en cours aboutissaient. Nous désignions alors la possibilité de la chute de BAE. Aujourd’hui, on peut envisager qu’une telle possibilité aurait également de très sérieux effets sur le gouvernement et l’Etat britanniques, puisque l’un entraîne l’autre dans cette aventure grotesque et scandaleuse.
Il s’agit d’une illustration parfaite et peut-être ultime du libéralisme anglo-saxonien, du nihilisme britannique dans sa stratégie de sacrifice de sa souveraineté à l’illusion des special relationships, — de Thatcher, qui a manigancé l’affaire Yamamah, à Blair qui a achevé le pourrissement ainsi entamé en corrompant absolument le service de Sa Majesté. La question est aujourd’hui posée très sérieusement. Certes, les Britanniques ont le pouvoir de mettre leur veto au renouvellement (en janvier 2008) du Suisse Pieth qui mène l’enquête de l’OCDE. Mais la chose (l’enquête, si elle n’est pas terminée d’ici là) ne dépend plus d’un homme et une telle décision britannique aurait peut-être plus d’inconvénients que d’avantages. D’autre part, d’ici là BAE aura perdu le plus habile de tous les pourrisseurs du gouvernement de Sa Majesté puisque Blair sera parti.