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157613 février 2009 — Il s’agit d’un système extraordinairement conformiste, au cœur d’une puissance (les USA) où les choses les plus évidentes doivent être actées d’une façon officielle, voire sous forme de lois, pour prendre leur réelle dimension dans la pensée des dirigeants et dans la politique qu’ils appliquent. Il y a donc un processus très formaliste qui, même s’il charrie des évidences déjà connues, doit être mené à son terme. C’est dans ce cadre qu’il faut considérer comme d’une grande importance le rapport annuel du renseignement US instituant la “crise économique globale” comme première menace à court terme pour les USA. Les menaces qui faisaient la mode et conditionnaient depuis 9/11 les pensées stratégiques selon les consignes officielles, comme le terrorisme et tout ce qui va avec, occupent désormais une place de strapontin.
C’est hier que ce rapport annuel a été présenté hier au Congrès par l’amiral Dennis Blair, qui assure la direction coordonnée des 16 agences de renseignement constituant l’essentiel de l’énorme système de renseignement des USA. Reuters présentait l’événement dans une dépêche datée d’hier soir à Washington.
«The global economic crisis has become the biggest near-term U.S. security concern, sowing instability in a quarter of the world's countries and threatening destructive trade wars, U.S. intelligence agencies reported on Thursday. The director of national intelligence's annual threat assessment also said al Qaeda's leadership had been weakened over the last year. But security in Afghanistan had deteriorated and Pakistan had to gain control over its border areas before the situation could improve.
»“The financial crisis and global recession are likely to produce a wave of economic crises in emerging market nations over the next year,” said the report. A wave of “destructive protectionism” was possible as countries find they cannot export their way out of the slump. “Time is our greatest threat. The longer it takes for the recovery to begin, the greater the likelihood of serious damage to U.S. strategic interests,” the report said.
»The report represents the findings of all 16 U.S. intelligence agencies and serves as a leading security reference for policymakers and Congress. Besides reviewing adversaries, it also considered this year the security impact of issues including climate change and the economy. It said a quarter of countries have already experienced at least “low-level” instability, such as government changes, linked to the economy. There have been anti-government protests in Europe and the former Soviet Union, and growing economic strains in Africa and Latin America, the national intelligence director, Adm. Dennis Blair, told Congress in delivering the report.
»“Instability can loosen the fragile hold that many developing countries have on law and order, which can spill out in dangerous ways to the international community,” Blair told the Senate Intelligence Committee. Steps such as devaluations, tariffs and export subsidies were possible from countries desperate to boost economies.»
Le rapport est rendu public alors que d’autres indications montrent qu’effectivement la politique générale des USA, dans ce cas également comme politique inspiratrice des grandes tendances occidentales, va dans le sens de la déconstruction de l’époque ouverte avec l’attaque du 11 septembre 2001. C’est le cas pour l’orientation budgétaire du Pentagone, moteur structurel du système avec ses dépenses abracadabrantesques, de l’économie et de la politique “de guerre” de l’époque 9/11. Toutes les indications tendent à montrer que le budget du Pentagone est réorienté dès l’année FY2010 vers une politique de restriction.
Bien entendu, l’action conjoncturelle, avec la lutte entamée par l’administration Obama contre la crise économique, doit être située dans la logique de ce cadre conceptuel qui est mis en place par le rapport des services de renseignement. Toutes les pièces officielles se mettent en place pour une nouvelle époque. La crise est officiellement consacrée comme le cadre fondamental d’une époque nouvelle. C’est désormais dans ce cadre qu’il faudra juger des politiques et des perspectives.
Effectivement, nous ne répéterons jamais assez combien le conformisme, l’uniformité règlent les pensées et les politiques aujourd’hui, – et aux USA, pays de l’innovation et de l’audace, plus qu’en aucun autre lieu. Ainsi, le caractère d’évidence ressenti par tous les observateurs attentifs et point trop liés au système d’un rapport qui reprend avec pompe le résultat du travail d’un énorme appareil de renseignement ne doit pas nous décourager d’une réflexion à cet égard. C’est d’ailleurs un enseignement de taille qu’une telle masse de travail, fait sous le sceau du secret le plus strict, avec des moyens d’une puissance extraordinaire, par le plus formidable apparatus de renseignement de l’Histoire, aboutisse à des conclusions que tout le monde, vous et moi et d’autres encore, ont tiré avec la plus extrême certitude depuis un laps de temps qui n’est pas négligeable. Nous sommes dans cette époque du conformisme le plus complet où l’affirmation pompeuse et déclamatoire d’une évidence complète constitue un événement d’une grande importance. Ainsi soit-il.
Mais tout s’éclaire. Ce qui compte, ce n’est pas la réalité que nous connaissons tous, mais la consigne générale du système donnée au conformisme formidable qui conditionne les pensées des élites dirigeantes, d’avoir le droit, sinon le devoir désormais, de penser la réalité évidente et fracassante (la crise) comme l’élément le plus important et le plus menaçant de notre époque. L’événement est là et nullement dans la description d’une “menace” que nous connaissons bien pour la vivre quotidiennement.
Il n’y a, par conséquent, rien de bien original dans ce rapport sur la situation présente. Il lui manque notamment, parce qu’il s’agit d’une appréciation des menaces extérieures, selon la classification également conformiste qui différencie extérieur et intérieur et l’orientation vers l’extérieur de ces services, l’observation évidente que cette menace décrite implicitement comme une manigance venue du monde extérieur contre la vertu américaniste a, d’une façon criante cette fois, son origine fondamentale au cœur même de la puissance qui se dit menacée; que cela se manifeste, directement cette fois, par la destruction du système financier US, par la crise économique en cours, pour aucune autre raison que l’activité de la puissance US; que cela risque de s’étendre également, au cœur de cette puissance elle-même, par une instabilité nouvelle qui pourrait toucher la population elle-même, et qui ne naîtrait de rien d’autre que des conditions générales du système en pleine crise. Tout cela ne peut étonner, puisque les conceptions des USA, totalement perverties et inconsciemment faussaires, ne peuvent envisager de faire le rapport quasiment exclusif entre une situation générale fautive et leur propre activité.
Il reste le résultat net de cette évolution sans surprise. Il s’agit, pour les USA, de la fin d’une époque qui fut ouverte avec l’attaque du 11 septembre 2001, qui fut aussitôt aménagée comme si l’on n’attendait que cela, selon un schéma maximaliste, voire millénariste (fin du monde éventuellement). Il faut se rappeler qu’après 9/11 on parlait d’une “nouvelle Guerre de Cent Ans”, d’une guerre pour plusieurs siècles, d’une guerre sans fin contre la terreur, le terrorisme, etc. Les pensées exprimées par Bush, Cheney, Rumsfeld & compagnie étaient effectivement de cette ampleur et de cette ambition philosophique, et elles rencontraient complètement la pensée générale de l’establishment et le sentiment populaire. Elles étaient également acceptées sans un pli, sans l’ombre d’une mise en cause sérieuse, par toutes les élites et les directions occidentales, notamment en Europe où il est coutume de situer le berceau et le cadre privilégié de la très grande intelligence qui caractérise notre civilisation. Aujourd’hui, elles sont confrontées au vent glacé de la réalité et se dissolvent aussi vite qu’elles sont venues. Même parmi les pouvoirs officiels, certains s’en sont déjà avisés.
Il ne faut pas se cacher non plus, autre aspect des choses, que si l’establishment de sécurité nationale adopte cette façon de voir la situation, et il n’y a aucune raison qu’il ne le fasse pas, la nomenclature “amis-ennemis” va être profondément modifiée. Là aussi, il est nécessaire d’investir le conformisme, ce qui est effectivement en cours avec un document comme celui-ci. Le produit en sera une réappréciation peut-être radicale, et même sûrement radicale, des priorités de sécurité nationale. Le cas de la Chine est exemplaire; le soupçon, voire l’hostilité latente des milieux stratégiques US à l’encontre de ce pays étaient essentiellement stratégiques et militaires; ils tendent aujourd’hui à devenir de plus en plus économiques et commerciaux. C’est une évolution intéressante parce que, si l’on passe de l’appréciation militaro-stratégique à l’appréciation économico-commerciale pour identifier ses “ennemis”, l’identité des “ennemis” risque fort de changer. Par exemple, attendez de lire et de voir ce qu'on pourrait dire à Washington, dans quelques temps, à propos de l'Europe, ce groupe de pays concurrents, avec des pratiques commerciales et interventionnistes (subventions, etc.) inacceptables, protectionniste presque comme les USA, – ces Européens, ces pelés, ces galeux...
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