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657814 novembre 2022 (17H15) – On connaît, je crois, l’estime assez nouvelle que l’on porte sur ce site à Alexandre Mercouris, avec son compare Alex Christoforou, concernant l’analyse et le commentaire des affaire internationales, de l’‘Ukrisis’ ukrainien, bref de la GrandeCrise. Alors, je m’arrête à une vidéo (13 novembre) dont la vision m’a particulièrement frappé et intéressé. Le sujet en est la position russe en Ukraine, mais bien plus que cela, la position de Poutine, que dis-je, la psychologie de Poutine.
Remarque PhG-Bis : « Il est évident que l’on laisse de côté les innombrables développements et courants de pensée dominants dans notre belle situation américaniste-occidentaliste, portés par l’anathème, l’insulte, le slogan, l’automatisme de la bienpensance, l’hypocrisie à fragmentation multiple, tous ces excès indignes et grossiers, et si affligeants, qui se déversent comme bennes à ordures pleines à craquer au seul mot de “Poutine”. A tous ceux-là, Montherlant, que PhG aime bien citer, disait : “Vas jouer avec cette poussière”.
»...Et l’on notera alors, en Post-Scriptum, que dans les phrases et jugements qui nous sont rapportées, nullement on ne voit, nullement il ne faut voir la moindre leçon de morale ni une “variable d’ajustement” de la vertu poutinienne... »
Le point de départ de la conversation est la prise en compte de la situation en Ukraine telle qu’on la perçoit de façon générale, sans se perdre, ni dans les détails, ni dans les hypothèses, ni dans les grandes constructions stratégiques et théologiques. Durant cette campagne, les Russes n’ont subi aucune défaite mais ils ont accepté, sinon suscité des revers sous forme de reculs plus que de retraites, d’ailleurs tactiquement justifiables, qui n’en ont pas moins été exploitées dans la perception et dans la communication comme des victoires ukrainiennes. Ce n’est pas exactement une question militaire, technique, etc., mais bien de perception... On sent, par rapport aux évidentes capacités russes, une certaine lenteur, voire une certaine langueur du rythme opérationnel, avec des à-coups qui vous font croire que l’on change de rythme, qu’on le hausse, pour se voir bientôt en partie démentis.
Voici un premier échange de départ (dans le dialogue, Christoforou joue comme d’habitude le rôle de l’interrogateur, du faire-valoir, du “relanceur” comme on dit au tennis, mais dans ce cas d’une façon très enrichissante).
Christoforou : « Je voudrais poser deux simples questions ... Tout le monde connaît la situation à Kherson, ce qui est arrivé, le retrait russe... Je veux dire, comment la Russie, la deuxième puissance militaire du monde, avec tous ses moyens, a-t-elle pu laisser se constituer un corps de bataille de, je ne sais pas, 40, 50, 60 000 hommes [près de la ville] sans réagir ? ... Et cela conduit à ma deuxième question : Poutine est-il un bon président de guerre [‘A War President’] ou bien simplement un bon président administrateur, ou bien les deux ? »
Mercouris : « Je pense que nous commençons à découvrir qu’il n’est pas un président de guerre idéal, en ceci qu’il lui est très difficile d’accepter le fait que son pays est en guerre. »
Mercouris développe son approche d’abord en parlant de l’évolution de la situation sur le terrain, avec constamment la patte de Poutine à partir de Moscou, signe de son attention excessive bien plus que d’une quelconque mégalomanie. (‘Opération Militaire Spéciale’ ou pas, il est complètement extraordinaire qu’il ait fallu attendre septembre pour voir nommé un commandant en chef de théâtre [le général ‘Armageddon’] dirigeant toutes les forces et les composants du corps de bataille expéditionnaire, les coordonnant directement selon la situation opérationnelle.)
Les arguments externes ne sont pas oubliés, surtout celui de ne pas mener une guerre trop brutale pour ne pas compromettre le rassemblement diplomatique et géopolitique autour de la Russie. Poutine a été aussi brillant dans ce domaine qu’il a été hésitant et fort incertain sur la conduite de la guerre. Il s’est imposé comme le moteur d’une évolution (r)évolutionnaire dans les relations internationales. Ses divers “partenaires” (le mot est utilisé ici à bon escient) le reconnaissent, et également la brutalité du traitement qui lui est appliqué, et la façon qu’il résiste. Par exemple, Erdogan, qui n’est pas un tendre et vous planterait un poignard dans le dos pour un oui pour un non, commentant de cette façon à l’occasion d’une communication téléphonique personnelle avec Poutine vendredi dernier :
« L’Occident, et surtout les États-Unis, attaquent la Russie quasiment sans la moindre retenue... Bien sûr, la Russie fait preuve d'une grande résistance face à tout cela... La Russie n'est pas un État ordinaire, mais un État puissant... Je salue sa grande résistance face aux actions hostiles de l'Occident collectif. »
Enfin, pour en revenir au sujet principal de la conversation Christoforou-Mercouris, le second en vient à évoquer la psychologie du président russe, qu’a renforcée son expérience d’officier de renseignement (où comptent les méthodes “douces” de manipulation, de conviction, de compréhension, bien plus que les méthodes brutales de police, y compris dans le contre-espionnage qu’écartent avec horreur les véritables officiers de renseignement).
Voici donc quelques remarques de Mercouris sur Poutine “président de guerre”.
« Je pense que Poutine, pour diverses raisons, n’était pas prêt, en mai-juin, à accepter le fait que l’Ouest se lançait à fond dans la guerre... Je suis assez surpris d’en venir au constat que s’il avait pris la décision de mobilisation en juin, comme on le pressait de le faire autour de lui, au lieu d’attendre septembre, il n’y aurait pas eu les revers de Kharkov et de Kherson... »
« Je pense que Poutine est quelqu’un qui a beaucoup de difficultés à prendre une décision où il y a la probabilité de répandre beaucoup de sang russe...»
« Il a aussi horreur de prendre des risques et il est obsédé par la situation de la stabilité interne... Alors qu’au niveau interne, il a une énorme popularité, et que la population voudrait qu’il montre beaucoup plus de fermeté...Toutes les indications montrent que le soutien de la population russe est très solide, et qu’elle voudrait en fait qu’il se montre beaucoup plus agressif ... Mais, quelque part, il y a quelque chose en lui qui le pousse à ne pas accepter pour garantis ces faits avérés. »
Disant tout cela, Mercouris rencontre un vague sentiment que j’ai connu à plusieurs reprises, lorsque, jugeant objectivement l’action de Poutine, je m’irritais : “Mais pourquoi n’est-il pas plus net, plus carré, plus ferme ?”, là où la situation lui demandait de l’être. Par exemple, – choisi justement pour son côté anecdotique montrant jusqu’où va la tendance, –pourquoi nommer jusqu’au bout ces pays qui sont ses adversaires, ses ennemis déclarés depuis au moins 2014, « nos partenaires » ? Cela fait partie du même sentiment qu’exprime Mercouris. Mais à ce point apparaît une occurrence inattendue et pourtant logique.
Le comportement de Poutine a sans aucun doute ralenti le cours de la guerre et, du point de vue russe, desservi la cause de la Russie dans l’immédiat. En même temps, il a permis à la crise de prendre les dimensions-‘Ukrisis’ avec la formation de ce qui devient une coalition anti-occidentale à la suite de l’engagement antirusse du bloc-BAO, donc de prendre les dimensions qui l’inscrivent dans la GrandeCrise.
Finalement, la progression de Poutine, plus lente qu’elle n’aurait dû être, s’est inscrite juste à ce moment où cette Grande Coalition prenait corps, avec la mobilisation en septembre, la création d’un gouvernement de guerre et la militarisation de l’industrie russe, selon une technique dont les Russes ont une grande expérience. Sur l’économie russe, par contraste avec les économies américanistes-occidentalistes en pleine débâcle, Mercouris répond à la question de savoir si la Russie peut soutenir l’effort de guerre par une affirmation très nette :
« Oui, je pense qu’ils le peuvent... Je pense que l’économie russe est structurée pour cette sorte de situation [économie de guerre]. Je pense qu’ils ont les ressources financières et industrielle, non seulement pour soutenir l’effort actuel, mais pour l’augmenter. »
« Je pense que les Russes, mais surtout Poutine, ont commencé à accepter que ce sera une Longue Guerre, continuant pour au moins un an, peut-être plus... »
Le résultat paradoxal de ce constat du comportement de Poutine, de son incroyance à la guerre, est ceci qu’en ralentissant la dynamique de la guerre à ses débuts, ou le rythme de la dynamique de la guerre, il a (involontairement pour l’impulsion exercée, et sans lier ceci à cela bien entendu) créé les conditions de l’élargissement de la guerre et précipité un conflit qui pouvait n’être que local en une étincelle qui a allumé un immense affrontement entre deux conceptions du monde. En même temps, ce temps passé sinon gaspillé, cette irritation devant les réactions de Poutine jugées trop faibles, ont fait naître le sentiment de l’inévitabilité de cette Longue Guerre, d’autant que Poutine n’a cessé d’exacerber sa dénonciation favorite qui concerne la montée de la dégénérescence occidentale menaçant les vertus conservatrices de la Russie.
... Parce qu’en vérité, cette guerre avec ses soi-disant héros d’opérette que nous mettons en avant montre bien qu’une “montée” peut se vivre comme une descente, c’est-à-dire comme la descente irrésistible qu’est la dégénérescence. Tant il est vrai qu’en cette époque de l’inversion où des fissures immondes se forment, toutes les monstruosités sont possibles...
« Entre le vieux monde qui se meurt et le nouveau qui tarde à apparaître, naissent des monstres » (sage jugement du marxiste culturel Antonio Gramsci).
Où sont les monstres ? Qui sont-ils ? “Poser les questions...”, disait le guillotiné à son bourreau, – “c’est y répondre”, fit le couteau de la guillotine dans un sifflement caractéristique.
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