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4909• Merkel s’en est allée ou est-elle sur le point de le faire, et déjà l’on commence à l’oublier. • Dans un pays qu’on croit réglé comme du papier à musique depuis sa récupération d’après le sanglant apocalypse nazi, la succession d’une Kaiserin qui a régné lourdement et avec entêtement pendant près de vingt ans suscite la question se pose de savoir s’il peut y avoir un changement de quelque importance. • Après tout, pourquoi l’Allemagne échapperait-elle au vent de changement cul-par-dessus-tête et de folie invertie qui secoue le monde ? • C’est avec cet esprit profondément subversif, toujours à la recherche de ce qui peut ébranler le Système, que nous considérons les possibilités qui s’offrent à l’Allemagne. • Or, il semble qu’elles soient paradoxales et se résument à la possibilité de ceci : en suivant naturellement ses ambitions naturelles, l’Allemagne post-Merkel pourrait bien mettre le feu aux poudres dans les soutes de l’UE. • Les nouveaux/nouvelles-venues n’ont rien d’excitant et sont très conformes : c’est bien cela qui est potentiellement explosif. • Badaboum par inadvertance ?
1er décembre 2021 – Le nouveau gouvernement allemand va bientôt prendre ses fonctions : l’accord entre les trois partis (SPD, Verts et libéraux-FDB) est bouclé, signé, pesé... 178 pages ou 59 000 mots, c’est du lourd. Merkel va donc nous quitter avec dans son sillage près de vingt ans de règne sans partage, pleins de fausses-crises désamorcées, de pseudo-incertitudes vite dissipées, une sorte de lourdeur qui nous la faisait percevoir de plus en plus indéboulonnable. Sous sa direction, l’Allemagne est devenue une puissance à la fois effacée et étouffante, une puissance qui a retrouvé avec une discrétion exemplaire une conscience d’un destin remarquable où traînent quelques restes des temps anciens, à l’ombre vertueuse de la démocratie, des droits de l’homme et du migrant, et de la manipulation comme allant de soi de l’Union Européenne.
Dans le même temps de l’I.G. Merkel, et avec l’élégance brillante qu’on lui connaît, la France s’évertuait, sous la succession de trois présidents de plus en plus calamiteux, de plus en plus médiocres et de plus en plus bien de leur temps, à perdre avec application et à la fois, tout ce qui lui restait de tous les outils et de tous les attributs qui faisaient son originalité et sa puissance souveraine au cœur de l’Europe. La France a donc servi sur un plateau d’argent serti de joyaux divers (Airbus, Ariane, etc.) la direction naturelle de l’Europe à la société I.G. Merkel. La récipiendaire a accepté avec un sourire pincé mais une poigne ferme.
Aujourd’hui se pose alors une question : cet empire discret qui pèse sur l’Europe, et dont on ne voit pas qui pourrait le lui contester, que vont en faire les successeurs de I.G. Merkel ? C’est là une question du plus grand intérêt, conclut-on après avoir lu l’article de Paul A. Nuttall, historien, auteur et un ancien politicien qui fut membre du Parlement Européen entre 2009 et 2019, et un fervent partisan du Brexit. Bref, selon notre point de vue, un connaisseur, ce qui explique que l’on doit être intéressé par sa thèse selon laquelle, très-paradoxalement, « la nouvelle direction allemande constitue une menace majeure pour l’UE ».
On imagine qu’un document de 59 000 mots scellant un accord de gouvernement indique que nombre de sujets ont été passés en revue. Dans ce bouquet, ce qui retient particulièrement l’attention de Nuttall, c’est la rubrique « développement d'un État européen fédéral ». Le principal négociateur des sociaux-démocrates SPD qui dirigent la coalition, Udo Bullmann, a exposé que « l’époque l’exige et [que] les gens l’attendent », cet « État européen fédéral »...
« Mouais, commente Nuttall. C’est ce que nous verrons. »
C’est tout vu, pour Nuttall, comme on l’imagine. A partir de cette description des événements, où il apparaît que la nouvelle coalition veut bruyamment une époque très-complètement fédérale, Nuttall explique pourquoi elle risque d’obtenir son contraire sous la forme d’une explosion. Voici le cœur de l’argument :
« Les ambitions fédéralistes du nouveau gouvernement allemand susciteront des inquiétudes dans un certain nombre de pays, dont la Pologne, dont le gouvernement a clairement indiqué qu’il était opposé à un super-État européen. En juin dernier, j’avais prédit que les ambitions fédéralistes de l’UE finiraient par provoquer une rupture avec les Polonais, et ce document ne fait que rapprocher cet affrontement inévitable.
» En outre, un porte-parole du bureau du premier ministre hongrois a déclaré que le document de la coalition allemande “n’est pas un programme européen mais un programme distinctement ouest-européen”, qui est “extrêmement éloigné de ce que nous pensons du monde et des sociétés dans la partie centrale de l'Europe”.
» Il a ajouté que le nouveau gouvernement allemand “veut clairement des États-Unis d’Europe, mais au moins il l’annonce ouvertement, plutôt que par un élargissement furtif des pouvoirs des institutions européennes et un affaiblissement des pouvoirs des États membres”.
» C’est un commentaire vraiment intéressant, car l’UE obtient généralement ce qu’elle veut lorsqu’elle agit subrepticement. Lorsque ses plans d’intégration sont présentés au grand jour, ils sont généralement rejetés. En effet, la dernière fois que l'UE a exposé ses ambitions pour une Europe fédérale sous la forme d’une Constitution européenne, l’idée a été rejetée en bloc par les Français et les Néerlandais lors de référendums.
» Le document de la coalition allemande souhaite également que l’on s'oriente vers une politique étrangère européenne cohérente. Il vise à abolir le principe de l’unanimité et à le remplacer par le vote à la majorité qualifiée (VMQ), ce qui signifie que les États membres n’auront plus de droit de veto. Les États membres n'ayant donc plus de droit de veto en matière de politique étrangère, cela pourrait entraîner des pays dans des engagements étrangers qu’ils n’approuvent pas nécessairement.
» Pour atteindre ses objectifs fédéralistes, le nouveau gouvernement allemand veut qu’on donne plus de pouvoirs au Parlement européen. Pour ce faire, il prévoit de permettre au Parlement de prendre l'initiative de la législation, ce qui, à l'heure actuelle, est du ressort exclusif de la Commission européenne. Ce manque de pouvoir législatif a conduit de nombreuses personnes à considérer le Parlement européen comme un simple “salon de discussion”.
» Bien que le projet du gouvernement allemand de donner plus de pouvoir aux députés européens élus puisse être un pas vers une plus grande responsabilité démocratique, il pourrait également être contre-productif.
» Le Parlement européen est la plus fédéraliste de toutes les institutions de l’UE, et c’est aussi, et de loin, la plus extrémiste. En effet, la Commission européenne agit souvent comme un frein à certains excès du Parlement. C’est pourquoi les conflits interinstitutionnels sont légion. Prenons par exemple le cas récent où le Parlement poursuit la Commission pour ne pas avoir sanctionné assez rapidement la Pologne et la Hongrie qui refusent de se conformer aux diktats de l'UE.
» Si les députés européens obtenaient gain de cause, les objectifs climatiques seraient encore plus extrêmes, l’UE disposerait déjà d’une armée permanente et s'impliquerait dans des conflits partout dans le monde, et l’intégration totale serait accélérée. En outre, les pays qui s’écarteraient des objectifs du projet s’exposeraient à des sanctions encore plus sévères. Il n'est pas étonnant que des députés européens ultra-fédéralistes comme l'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt acclament le nouveau gouvernement allemand. »
Des clameurs d’approbation de l’ayatollah Verhofstadt, c’est une référence qui nous conduit à bien comprendre ce que Nuttall veut dire et ce que la coalition Olaf Scholz a en tête. « Et qu’en est-il des Français ? », interroge également Nuttall. Certes, Scholz a annoncé que son premier déplacement à l’étranger serait pour Paris. On n’en attendait pas moins puisqu’il s’agit de faire perdurer les images d’Épinal qui illustrent la grande ambition européenne. Pour le reste, Nuttall note que la période électorale en France n’est guère propice à ce genre d’aventure, que même le candidat Barnier, ancien négociateur européen du Brexit, fait campagne sur l’idée de reprendre des pouvoirs confisqués par Bruxelles, notamment concernant l’immigration. Venir là-dessus avec un « État européen fédéral »...
• On ajoutera que le choix probable du ministre des affaires étrangères, prévue pour la dirigeante des Verts et Vice-Chancelière Annalena Baerbock, promet également quelques coups de roulis. Telle que la décrit Tarik Cyril Amar sur RT.com, on peut en attendre un durcissement allemand, et en accord sinon en position d’influence sur la politique de l’UE qui ne demande que cela, dans les relations avec la Russie.
« [Cette nomination aurait] des implications particulières pour la relation de l'Allemagne avec la Russie. Quoi que les Verts aient pu dire en faveur du pacifisme et contre l’OTAN, Baerbock, comme la plupart des gens de son parti aujourd’hui, est une atlantiste assumée qui exige une ligne plus dure envers Moscou (et Pékin aussi). Elle s’est prononcée à plusieurs reprises contre le gazoduc Nord Stream 2 et, plus récemment, elle s’est jointe à ceux qui, à tort mais de manière spectaculaire, imputent à la Russie la pénurie de gaz dans l'Union européenne. Pour cela, la ministre putative a été couverte d’éloges par la bienpensance des élites.
» Baerbock se livre généralement à une rhétorique des valeurs [conforme au Système] et insiste sur le fait que l’Europe occidentale ne doit pas subir de “chantage” de la part de Moscou. La qualification de “chantage” semble s’appliquer à chaque occasion où la Russie a la témérité de protéger ou de promouvoir ses intérêts nationaux. Baerbock n'a pas non plus conscience qu'une UE qui s’oppose à Moscou à tout bout de champ ne doit pas s’étonner de recevoir des réponses peu aimables. La réciprocité nécessaire à toute diplomatie ne semble pas être évidente pour elle... »
• Un autre aspect de la nouvelle direction allemande est l’annonce de la nomination d’un général de la Bundeswehr à la tête d’un nouveau service, ou “cellule de crise”, instituée par cette même direction et chargée de la lutte contre le Covid. Le Major Général Carsten Breuer, chef du commandement territorial la Bundeswehr, n’a aucune capacité virologiques ou médicale particulière et ses différents commandements l’ont conduit dans divers services opérationnels de l’armée, au ministère de la défense, à l’OTAN, etc. Cette nomination éveille chez ‘WSWS.org’ une ire particulièrement virulente, selon l’argument particulièrement évident que la lutte contre le Covid semble être appréciée par le nouveau gouvernement allemand, d’abord comme une mission de maintien de l’ordre plus que comme une mission sanitaire. Écoutez Peter Schwarz éructer en mélangeant allègrement les querelles covidiennes et les indices boursiers et capitalistiques :
« La décision de confier la direction de la cellule de crise COVID-19 à un général de la Bundeswehr en activité ne permet qu'une seule conclusion : la nouvelle coalition ne considère pas la pandémie comme un problème médical, mais plutôt comme une question de sécurité.
» L'objectif de la cellule de crise n'est pas de protéger la population du virus, mais de protéger le gouvernement de la population. Le nouveau gouvernement allemand s’apprête à déclarer l’état d'urgence afin de supprimer toute résistance à sa politique fondée sur le sacrifice d’innombrables vies pour assurer l’augmentation des profits et du cours des actions. Il s’agit d’une politique qui joue à la roulette russe avec la santé de toute une génération d'enfants et d'adolescents.
• Après ce rapide passage en revue de quelques aspects de la nouvelle équipe, on revient à Nuttall et à sa conclusion concernant le projet d’un « État européen fédéral ».
« Je crois sincèrement que le navire fédéraliste a pris le large. Ces idées étaient en vogue dans la première décennie du siècle, mais plus maintenant. Il suffit de voir comment les partis eurosceptiques se sont développés sur tout le continent au cours des 20 dernières années pour comprendre que les citoyens se lassent de l'ingérence de Bruxelles.
» Si le gouvernement allemand tient sa parole et poursuit agressivement l'objectif de créer un super-État fédéral européen, cela entraînera des tensions massives entre les membres. En effet, à plus long terme, cela pourrait amener certains pays à se retirer complètement du bloc et à suivre leur propre voie. »
De ces diverses observations sur ce que devrait être cette nouvelle coalition post-Merkel, on peut tirer deux conclusions qui ne nous paraissent nullement sollicitées :
• C’est un gouvernement “de gauche” qui entend durcir toutes les positions traditionnelles (si l’on peut dire) du Système : une fédéralisation dans le sens de la globalisation, sous la direction explicite de l’Allemagne ; un atlantisme pur et dur, correspondant à la position de l’UE, mais cette fois sous la houlette affichée de l’Allemagne ; un antirussisme affirmée correspondant aussi bien à l’OTAN qu’à l’UE ; un durcissement d’une attitude répressive, dans le cas du Covid comme c’est évident, et sans doute contre toute autre manifestation disons “de dissidence” ; un durcissement à mesure dans la transformation vertueuse de l’économie et de la société face à la catastrophe écologique qui est un des thèmes favoris des “conversations” dans ces régions.
• Sa volonté affichée, officielle sinon bruyante, d’aller vers un « État européen fédéral » apparaît à un moment où, effectivement, l’idée du fédéralisme européen est mis en cause dans de nombreux pays, et notamment en France, – malgré Macron et du fait de la radicalisation imposée par Zemmour sur la question de l’immigration où les institutions européennes sont en pointe pour une libéralisation totale. Même un Macron doit se voir naviguer au plus près malgré ses convictions européennes, tant il va être pressé sur cette question où le public réclame une plus grande dureté et une souveraineté retrouvée pour la France, – l’archi-antithèse du fédéralisme.
Nuttall n’a finalement pas tort lorsqu’il écrit, à la suite de la réaction du gouvernement hongrois :
« C’est un commentaire vraiment intéressant, car l’UE obtient généralement ce qu’elle veut lorsqu’elle agit subrepticement. Lorsque ses plans d’intégration sont présentés au grand jour, ils sont généralement rejetés. En effet, la dernière fois que l'UE a exposé ses ambitions pour une Europe fédérale sous la forme d’une Constitution européenne, l’idée a été rejetée en bloc par les Français et les Néerlandais lors de référendums. »
A ce dernier argument sur les référendums de 2005, on observerait que ces votes furent rattrapés par la trahison des élites et la décision de Lisbonne d’adopter la Constitution européenne. Là-dessus, on objecterait aussitôt que nous ne sommes vraiment plus en 2005-2008, et un débat aujourd’hui, avec référendums ou pas, sur l’institution d’un fédéralisme-maxi provoquerait effectivement des tensions extraordinaires en Europe, jusqu’à certainement des ruptures. En ce sens, on comprend parfaitement l’argument de Nuttall faisant du gouvernement Scholz et de son hyper-fédéralisme à visage découvert, « une menace majeure pour l’UE ».
On le comprend d’autant plus qu’on en vient à se demander quelle mouche a piqué la nouvelle direction pour envisager de telles outrances ? (Même chose d’ailleurs pour la quasi-“militarisation” de la lutte contre le Covid, – nous sommes donc bien « en guerre » ? – qui alimente à satiété toutes les interprétations les plus extrêmes sur les “complots”, la “dictature sanitaire”, l’état d’urgence jusqu’au “coup d’État”, etc.).
Deux explications sont possibles, qui peuvent d’ailleurs parfaitement se compléter ou bien cohabiter selon les circonstances.
• Il y a d’une part le sentiment général, très répandu, très reconnu et dénoncé en France, de l’absence complète d’une perception raisonnable et acceptable de la réalité, notamment des sentiments populaires, par les élites (allemandes, européennes, etc.). En Allemagne, pays extrêmement conformiste et totalement aligné sur la doxa dont nous sommes bercés, cette situation est encore plus forte qu’ailleurs et plus susceptibles de conduire ces élites à des décisions radicales saupoudrées de certaines mesures radicales et arbitraires à la fois. Emmitouflée dans sa vertu démocratique et sa repentance perpétuelle particulièrement en vogue dans cette “gauche” institutionnalisée à la limite du wokenisme, – autre point de convergence transatlantique, – l’Allemagne “de gauche” n’hésitera certainement pas devant des mesures intérieures, contre sa population, rappelant la brutalité de certaines périodes d’antan.
• Il y a d’autre part l’inverse, qui ne demande pas à être réalisé en toute conscience. A côté de cette certitude de leur propre vertu d’au-dessus les divers fascismes encombrant la voie publique, on veut ici parler d’un sentiment de panique qui affleure parfois la perception des élites devant la possibilité entrevue que les conditions crisiques colossales que nous connaissons, les dissidences, les rébellions contre la bienpensance, puissent constituer des obstacles infranchissables pour la globalisation et la moralisation du monde. Ces moments de panique donnent alors l’obligation d’une allure extrêmement pressante aux divers projets du ‘Meilleur des mondes’, – si nécessaire “le meilleur”, avec son bonheur et sa vertu, étant imposé à coups de trique. Rien ne vaut la “gauche”-allemande pour cette sorte d’entreprise.
Panique ou non, perception raisonnable-acceptable ou pas, on reste objectivement confondu qu’une nouvelle direction dans ce pays-clef qu’est l’Allemagne ressorte aujourd’hui l’immonde serpent de mer de la fédéralisation-maxi de l’Europe. On pourrait observer, pour poursuivre dans l’objectivité, qu’on ne trouverait pas mieux aujourd’hui, si l’on va au fond des choses et des conséquences, comme mesure suicidaire, – pour l’Europe et tout son train qui va avec et qui défilerait ensuite. Nous allons donc terminer sur cette idée en observant qu’elle correspond parfaitement à la fameuse équation caractéristique du Système : surpuissance-autodestruction. Par conséquent, nous sommes bien en route vers ‘Le meilleur des mondes’, puisque galopant vers l’autodestruction.
Déconstructuration à l’allemande, certes, ce qui manquait à notre florilège de ces temps-devenus-fous.