Il y a 4 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
116110 octobre 2009 — Effectivement, cela fait trente jours, ou un mois, qu’a commencé notre phase du “domaine payant” à côté de l’accès libre classique du site depuis son origine. C’est une date importante, ces trente jours, parce que commence aujourd’hui la question, centrale pour nous, du renouvellement des abonnements d’un mois, qui sont l’écrasante majorité, et que nous percevons évidemment comme des “abonnements d’essai” au nouveau service mis en place.
En attendant, nous allons donner de la chair à ce qui serait en passe de devenir une rubrique (ce F&C du samedi concernant dedefensa.org) – mais qui ne l’est tout de même pas, une rubrique, rassurons-nous et rassurez-vous – qui constitue simplement la marque de temps exceptionnels pour nous. Nous allons surtout nous appuyer, dans ce texte, sur deux lecteurs qui sont intervenus directement auprès de nous, et personnellement auprès de Philippe Grasset. C’est pourquoi on retrouvera parfois dans le texte, essentiellement dans la réponse à l’intervention du premier lecteur, le “je” caractéristique de la personne prenant le parole, ou parfois un “PhG” s’y substituant…
Notre premier lecteur, lui-même abonné, se présente sous le pseudonyme de Ad Vitam Etenam. Voici son message.
»Etant votre éternel abonné, et donc à l'abri d'éventuels changements, je pense pouvoir me permettre une remarque: plus ça va, moins je comprends le modèle économique de dedefensa.
»Vous n'êtes évidemment pas contraint à la transparence, mais l'opacité limite à mon avis les efforts consentis par vos lecteurs. Les donations ont été un échec, mais sans connaître vos autres ressources on peine à estimer l'urgence de la situation. L'offre de defensa (une lettre? une autre lettre? une revue?) a un aspect nébuleux, et chaque éclaircissement rend les choses un peu plus floues.
»Votre activité a un coût, et mérite rémunération, c'est entendu. Pourquoi ne pas expliquer, pourquoi ne pas décrire de defensa? Est-ce vous seul, puisque vous signez tous les articles? Quelle part du total représentait votre appel à donations? Quelles autres charges faut-il couvrir? Des salariés, des prestations externes, des frais généraux? Des activités bénéficiaires, d'autres déficitaires? Pourquoi ne pas dire simplement quelles sont vos charges, et demander à vos lecteurs comment ils comptent les couvrir?
»Vous n'êtes sans doute pas dans la même situation que lui, mais il y a maintenant un “précédent Paul Jorion”. La règle est simple: annoncer ses besoins, et compter sur les lecteurs pour les couvrir. L'exercice nécessite la transparence, il impose une grande confiance réciproque, mais il me semble moins risqué que vos derniers tâtonnements.
»Bref, ne le prenez pas mal mais vous me semblez moins clairvoyant pour de defensa que pour la marche du monde. Je ne prétends pas voir la solution, mais je vous propose une piste. Vous avez peut-être mille raisons de ne pas la suivre. Si c'est le cas, disons que je n'ai pas écrit ce mail; dans le cas contraire, je suis à votre disposition pour en discuter.»
Je vous remercie de votre message et, naturellement, par respect pour votre statut d’éternité, j’y réponds précisément.
J’ai accueilli avec intérêt vos remarques critiques, que j’ai ressenties comme dites sur un ton très chaleureux. Vous prendrez ma réponse sur le même ton, j’en suis sûr. Allons-y.
Si je comprends, vous me dites deux choses :
• Que la situation de dedefensa.org est très mal exposée, tant dans son historique que dans son actualité.
• Qu’il me faut, pour obtenir les soutiens auxquels nous prétendons, présenter les choses en exposant la réalité de nos besoins d’une façon précise, presque comptable en un sens.
Sur le premier point, je vous répondrai que j’ai déjà dit beaucoup. Il me semble qu’en consultant simplement deux textes (il y en a d’autres), vous connaîtrez – avec le premier, l’historique du site dedefensa.org, y compris par rapport à la Lettre d’Analyse dedefensa & eurostratégie (dd&e): le 25 août 2007 – avec le second, l’historique rapprochée de la fin de dd&e, de sa transformation en dde.crisis et de son intégration dans le site: le 15 avril 2009.
Enfin, pour la facilité, résumons le destin de la chose jusqu’à aujourd’hui: la Lettre dd&e existe depuis 1985, a bien marché, a nourri son homme. Chemin faisant, PhG s’est convaincu d’ouvrir un site (en 1999), parallèlement, sans rien toucher de la Lettre, sans aucune ambition précise. Le site a grandi, a pris de plus en plus d’importance, sans le moindre effort de promotion, jusqu’à la situation présente. L’aventure s’exaltait d’elle-même, et l’entretien et le développement du site coûtaient de l’argent, de plus en plus, puis le temps pris pour son contenu, qui finit par devenir du temps volé à la Lettre et de l’activité prise à la société éditrice. La danseuse (dedefensa.org) fut nourrie par la Lettre, jusqu’à ce que la Lettre commence à péricliter et que la situation se tende. Il fallut envisager que le site se nourrisse de lui-même, ce qui a son coût si l’on veut faire quelque chose de convenable. Ce fut la tentative (ratée) des donations, lorsque j’entretenais encore des illusions sur une “philosophie” purement de type-Internet. A cette occasion, à la différence de ce que vous observez, les besoins furent clairement chiffrés: un minimum vital de 3 donations de €13.000, soit €39.000 par an. Echec.
Les conditions économiques (la crise) accélérèrent le déclin de la Lettre, jusqu’à l’idée d’intégrer la Lettre dans le site (dd&e devenant dde.crisis), qui est une idée d’abord économique de rentabilisation et de compression des frais. Il y avait des abonnés à cette Lettre, il fallait donc suivre la ligne des abonnements de la Lettre pour englober le tout, avec une formule moyenne accès libre/“domaine payant”.
Pour résumer, ce qui est tenté se démarque de l’habitude. L’habitude, c’est:
• Soit un site complètement Internet, qui s’installe comme tel et adopte complètement la “philosophie” du réseau, qui n’est pas celle du métier de l’information et de l’analyse, mais qui a ses propres règles, où prédominent la liberté le plus souvent indifférente à la responsabilité, et la polémique. Le caractère essentiel de cette “philosophie” est l’irresponsabilité professionnelle. Je ne la condamne en rien et en aucune façon, c’est dit; mais ce n’est pas mon choix, d’une façon de plus en plus affirmée.
• Soit un site émanant d’un support papier comme on en voit avec tant de journaux de la “presse officielle”, complémentaire de ce support. Ce site répond alors aux normes économiques du système officiel. Inutile de faire un dessin ni de développer un long discours puisque ce n'est pas notre dessein. Passons outre.
• Dans le cas de dedefensa.org, il s’agit du mariage d’un site qui se suffisait à lui-même et d’une publication-papier qui se suffisait à elle-même. Les deux suffisances ont périclité et l’on a décidé de les marier pour réduire leur coût. Le but recherché n’est pas la réussite d’un “modèle économique” mais la poursuite d’une aventure intellectuelle en fonction de l’évolution dégradée des conditions économiques qui affectent surtout la composante “édition papier” à cause des coûts techniques fixes. La règle, la “philosophie”, est totalement celle de la responsabilité professionnelle, au sens le plus large de l’expression (éventuellement, avec une dimension éthique).
Lorsque nous parlons (dans des textes précédents) de la “survie” du site, c’est de cela, du site seulement tel qu’il apparaît avec cette fusion dont nous parlons et rien d’autre. En théorie, demain, le vieux bonhomme (PhG) peut décider d’arrêter tout. Il a une retraite plus ou moins décente, une maison qu’il a achevé de payer, très peu de besoin et horreur des vacances. Il passera donc une vieillesse malheureuse (s’il n’écrit plus, ce qui est difficilement concevable) ou heureuse (il écrira d’une autre façon), en mangeant à sa faim et en regardant le monde s’écrouler.
Maintenant, la dernière partie de vos remarques, cher Ad Vitam Eternam: pourquoi ne pas exposer en pleine transparence mes besoins? Parce que cela n’a aucun sens pour ma conception de mon métier. Demandez-vous, en achetant Le Monde Diplomatique, si le mobilier de leur bureau est remis à neuf? Demandez-vous, en achetant Marianne, combien de salariés ils emploient? Tout cela, pour ajuster le prix que vous allez payer, ou la donation que vous allez déterminer? Sur ce point, ma position est complètement intraitable. Il y a un aspect privé, qui ne regarde que moi, de mes activités. J’écrivais dans un des textes cités, le 25 août 2007:
«A ces demandes d’explication comme à d’autres, nous pourrions répondre par le simple bon sens : en quoi tout cela concerne-t-il nos lecteurs? Mais non, jouons le jeu. Nous le faisons, nous l’avouons, selon un réflexe professionnel, — pour vous informer de nos conceptions, de notre façon de voir, autant que de notre situation. Et puis aussi, disons ce mot que nous répéterons : par courtoisie.» Cela est plus vrai que jamais, plus absolu, plus incontestable, plus intraitable, pour le principe évoqué in fine; si j’avais à récrire cette phrase, ce serait en des termes bien plus tranchés. La “courtoisie” demeure également, si nous jugeons que nous pouvons faire telle ou telle remarque pour faire avancer les choses dans l’esprit des lecteurs, mais le principe est totalement et absolument intangible. C’est une question de dignité et d’indépendance de l’individu; et notez bien ceci qui est fondamental: si je sacrifiais cette dignité et cette indépendance, je sais parfaitement que le niveau des réflexions et des chroniques en pâtiraient. Je ne veux pas avoir à jouer une sorte de rôle d’entretenu, venir tous les quinze jours en vous parlant du mobilier qu’il faut remplacer ou d’une fuite d’eau, ou d’un ordinateur qui vieillit; pourquoi ne pas vous parler aussi de mes humeurs dépressives, de mes angoisses, qui sont nombreuses, et demander une contribution accentuée à cause d’un traitement psychanalytique? Non, cela n’a pas de sens pour moi.
Il y a un travail de journaliste, de chroniqueur, d’historien, et c’est la seule chose qui doit être prise en compte. On apprécie cela ou non, on suit le site ou on l’abandonne. Puisque nous sommes dans le système où nous sommes, cela se paye, comme vous-mêmes êtes payés et comme vous payez à votre tour dans toutes les activités de la vie. Les prix fixés sont ce qu’ils sont, et si certains les trouvent scandaleusement élevés, d’autres les trouvent complètement et absolument justifiés. Si certains objectent que Le Monde coûte moins cher, qu’ils aillent voir du côté du Monde et ils verront que dedefensa.org ne s’y trouve pas, dans l’esprit et dans la forme, et dedefensa.org se passera d’eux – et ainsi de suite. Voilà pour les principes.
Bien entendu, hors des principes, on peut, on doit être souple, mais cette souplesse ne s’exercera qu’en faveur de la facilité donnée à la diffusion des écrits, en aidant les lecteurs à y avoir accès. Je sens que l’évolution à venir pourrait donc conduire à certains aménagements. Il y aurait peut-être la formule d’un prix réduit pour ceux qui, en conscience, ne peuvent pas payer €150 pour les articles (pour prendre la référence centrale) – et ce serait aux abonnés eux-mêmes, en conscience, de décider qu’ils choisiront cette formule de prix réduit qui ne nous avantage pas. Mais le barème actuel des prix resterait absolument la référence. (Et les intérêts des abonnés qui n’auraient pas connu ce système, si ce système était installé, seraient absolument protégés – j’insiste fortement sur ce point.) Je ne parle ici que d’une possibilité, rien d’autre.
Une autre évolution, inéluctable celle-là, vue la difficulté d’avoir des abonnements pour nous, ce sera la réduction grandissante du domaine d’accès libre, parce qu’en l’occurrence ceux que nous voulons privilégier sont ceux qui font l’effort de payer. Ce n’est pas à un “lecteur éternel” que je vais apprendre cela. Si cela ne réussit pas pour dedefensa.org, eh bien tant pis pour le site (et pour ses lecteurs?). La loi du nombre aura parlé et cela ne me donnera pas une considération très positive de la “démocratie directe” type-Internet..
P.S. de PhG: entretemps, j’ai reçu une appréciation de Ad Vitam Eternam sur ce texte qui était d’abord ma réponse à son intervention. Il m’a affirmé que nous n’étions nullement en désaccord après ce que j’avais écrit, que j’avais rappelé quelques faits que les lecteurs oublient souvent. Je partage complètement cet avis et voilà confirmé l’intérêt de publier cette rapide correspondance.
Un autre lecteur, que nous remercions également avec chaleur de son intérêt et de ses encouragements, nous a envoyé un court message écrit sous le feu d’un juste sentiment d’indignation devant certaines réticences exprimées ici et là dans tel ou Forum du site. Il nous a autorisé à le publier, et nous le faisons d’autant plus volontiers qu’il résume grandement ce que nous pensons souvent à propos des jugements négatifs concernant le montant des abonnements lorsque le choix et les moyens existent chez ceux qui font ces arguments – et mettant à part ceux qui, naturellement, en sont empêchés par leur situation économique réelle (pour lesquels il sera sans doute recherché une formule adéquate).
Ainsi, monsieur Philippe Bray nous écrit-il ceci:
«300€ par an, c'est moins que ce que la plupart de ceux qui trouvent l'abonnement trop cher paient pour leur précieux GSM. Quant à ceux à qui il manque 120€ pour faire les 150 d'un “demi-abonnement”, c'est juste ce qu'ils paient, en France, pour le droit de posséder chez eux un poste de TV - là encore, question de choix.
»Le système nous rackette et nous conditionne au point que l'on trouve cela normal, et on rétice à contribuer au plus estimable, sinon au seul, site anti-système francophone?
»On est partagé entre l'indignation et la tristesse compatissante qu'inspire un tel formatage des coeurs et des esprits, comme on disait du temps de l'Empire.
»Restez ferme sur les prix.»
… Lisant cela, pour un peu nous avons failli nous précipiter pour prendre notre abonnement.
Forum — Charger les commentaires