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121312 février 2009 — Depuis hier, des députés hollandais sont en Suède, aux usines SAAB, pour étudier la proposition suédoise de l’avion de combat JAS39 Gripen. Ils sont onze, désignés par la Commission de défense de leur Parlement, à effectuer ce déplacement, de mercredi à samedi prochain. Les députés vont s’informer, et être informés à propos de l’adversaire du JSF dans le marché des avions de combat. Une autre visite suivra, chez Lockheed Martin, pour s'enquérir du JSF.
Le site de la commission de défense du Parlement hollandais donne effectivement la liste des parlementaires qui effectuent ce voyage: «De heer L. Blom (PvdA), delegatieleider; De heer R. Knops (CDA); Mevrouw S. Uitslag (CDA); De heer M. van Dam (PvdA); Mevrouw A. Eijsink (PvdA); Mevrouw K. van Velzen (SP); De heer A. Boekestijn (VVD); De heer H. Brinkman (PVV); Mevrouw M. Peters (GroenLinks); De heer J. Voordewind (ChristenUnie); Mevrouw F. Koser Kaya (D66). »
Ccette initiative est inédite et remarquable, compte tenu de l’importance de la question en débat, avec ce second processus de sélection en cours entre JSF et Gripen, avant une éventuelle décision (qui supposerait le choix fait en faveur du JSF) de commande de deux exemplaires de première série du JSF (exemplaires LRIP, dont on pourrait dire qu’ils correspondent approximativement à la dénomination ancienne d’avions de “pré-série”). Elle suit divers débats politiques en Hollande, en marge de la compétition entre le JSF et le Gripen, au cours desquels le malaise autour du programme JSF s’est accentué. Il y a eu divers épisodes qui ont montré une attitude du ministère hollandais concerné (défense) très restrictive pour donner accès aux parlementaires aux véritables conditions des deux offres en présence. A plus d’une reprise, l’argument du “secret industriel” a été opposé aux demandes des parlementaires. Il existe une réelle tension politique à l’intérieur du cabinet sur cette question du JSF.
L’intérêt, voire l’importance de la visite en Suède sont réels, notamment à cause de la présence de Angelien Eijsink, qui est la principale représentante du Partij van de Arbeid (PvdA, correspondant à un “parti travailliste”), lui-même second parti de la coalition au pouvoir. Angelien Eijsink est partisane du choix du Gripen.
Parallèlement à cette initiative, mais pour la compléter en un sens, il y a des indications selon lesquelles la relance des programmes d’avions moyen-courrier Fokker 70 et Fokker 100 par la société Rekkof (nom de Fokker à l’envers) pourrait être envisagée, avec l’éventuel soutien de SAAB. Une telle initiative se placerait dans les offres de compensation industrielles de SAAB en cas de choix du Gripen par la Hollande, et elle aurait un poids politique non négligeable pour le parti PvDA, dans la mesure où elle “rachèterait” le comportement de ce parti qui fut l’un des principaux instigateurs politiques de la faillite de Fokker en 1997.
Plaçons cette initiative parlementaire hollandaise dans le cadre qui convient. Il y a un malaise certain en Hollande, depuis plusieurs mois (depuis le printemps 2008), devant l’évolution du dossier, avec l’opacité des choix et des procédures qui ont pour effet une rétention ou une dissimulation de l’information; la sensation que l’affaire est menée par le petit groupe de sélection de la force aérienne couvert par le ministre de la défense Jack de Vries (du groupe chrétien-démocrate CDA, le seul parti du gouvernement à soutenir nettement le JSF); ce petit groupe représentant clairement la tendance pro-américaniste majoritaire dans la force aérienne; etc. (On a vu diverses indications à ce propos, qui montrent l’opacité et les doutes qui caractérisent cette affaire hollandaise, du côté du gouvernement et, surtout, du ministère de la défense.)
La visite des parlementaires en Suède devrait être suivie d’une visite chez Lockheed Martin, pour parler du JSF, entre le 21 et le 26 février. LM s’apprête à présenter un dossier qui devrait absorber et tenter de transformer en informations “acceptables” les récentes mauvaises nouvelles concernant le programme. (La nouvelle campagne de désinformation est en route, nous indique Eric L. Palmer sur son site Worldwidewarpigs le 12 février, signalant des articles de Stars & Stripes reprenant comme formule pour le prix du JSF (fixé officiellement au coût plancher de $83 millions): «...depending on the variant — JSF has a price tag of somewhere in the $60 million to $90 million-plus range…»)
Il se passe quelque chose de très important, si l’on apprécie l'événement d’un point de vue plus inhabituel qu'il n'est de coutme. Il s’agit de considérer que le destin du programme JSF, dans son entreprise hollandaise, commence à devenir extrêmement intéressant. La démocratie hollandaise est secouée dans cette affaire, avec un comportement des diverses équipes dirigeantes concernées, à la fois ambigu, gêné, hermétique, autoritaire, etc., après tout un peu à l’image du programme JSF lui-même.
Ce qui se passe en Hollande est le passage subreptice du programme JSF de sa sphère où il paraissait intouchable, – celle des spécialistes, des milieux otaniens, des experts et industriels transatlantiques acquis aux propositions américanistes, des hommes politiques à mesure, servant de courroies de transmission, – à une sphère nouvelle pour lui, que certains nommeraient “démocratie”, que d’autres dénonceraient comme “désordre”, – on verra… On comprend évidemment que cette évolution n’est pas tombée du ciel. Depuis quelques années, le programme JSF cahote entre une image ripolinée de plus grand programme de tous les temps, “stratégie industrielle à lui seul”, “too big to fail/to fell” et ainsi de suite, et une réalité qui se révèle de plus en plus catastrophique.
On admettra évidemment que les nouvelles venues des USA y sont pour quelque chose. La sensation, là aussi, est que le JSF est forcé d’entrer dans la réalité, poussé de force si l’on veut. L’administration Obama a commencé à s’y intéresser sérieusement; les dépassements de coût du programme ont été officiellement actés et le prix unitaire de l’avion annoncé officiellement à $83-$95 millions; des bruits sérieux ont commencé à circuler concernant une réduction importante du budget du programme pour l’année FY2010. Enfin, la diffusion d’un mémorandum interne de John Young, pourtant si peu relayé (sans doute un peu de pudeur devant la réalité), vous annonçant comme Young le fait à l’adresse de son secrétaire à la défense Gates, que le programme JSF est un programme vicié dès l’origine et que rien de sérieux ne semble possible pour éradiquer définitivement cette tare originelle, cette diffusion a marqué, du point de vue de l'importance de la chose, le point d’orgue de cette entrée du JSF dans “sa” réalité. (On ne devrait pas manquer, si l’on veut des comparaisons instructives, de comparer ce vice structurel de cet énorme programme “too big to fail/to fell” au vice également fondamental du système financier également “too big to fail/to fell”, à ces toxic assets que personne n’arrive à isoler et à éliminer, et qui pèsent de plus en plus dans la crise du système.)
L’événement parlementaire hollandais marque également un développement important, d’une façon plus générale et extrêmement instructive. Il faut pour cela accepter une interprétation “systémique” si l’on veut, c’est-à-dire placer l’affaire hollandaise dans le cadre général de la crise en cours. Pour la Hollande, l’affaire signale un déclin remarquable de l’autorité légitime du pouvoir politique devant ce qui (le choix du JSF) pourrait être en train de devenir une affaire très épineuse, voire une crise pour ce pays; ce déclin est dû au comportement du pouvoir politique, qui protège des choix dont on peut observer qu’ils sont pour le moins douteux et dissimulés, et éventuellement arbitraires, avec tous les soupçons qui vont avec, alors que le climat politique général est marqué par la crise et par le déclin accéléré de la puissance et de l’influence US. L’initiative parlementaire elle-même, quelle qu’en soit le résultat, est la marque de ce malaise, et son existence même est importante.
On pourrait alors observer une similitude entre ce mécanisme hollandais et le mécanisme plus général de l’impuissance du pouvoir politique devant la crise. Nos sources en Hollande estiment que cette visite pourrait constituer, selon certaines circonstances, le détonateur pour la constitution d’une majorité parlementaire hostile au choix du JSF, ce qui constituerait évidemment un événement remarquable. On devrait alors en tirer la conclusion qui s’impose pour la position du pouvoir politique dans ce pays (perte d’autorité et de légitimité), et observer également que cette évolution s’inscrirait évidemment dans la perte d’autorité et de légitimité en général des pouvoirs politiques occidentaux. La cause profonde rejoindrait le constat général d’une perte d’autorité et de légitimité à cause de l’impuissance de ces pouvoirs face à une crise déstructurante dont notre interprétation est qu’elle doit affecter tous les domaines du système même si son origine première est d’être financière et économique. C’est-à-dire que nous trouverions un renforcement de notre schéma selon lequel effectivement cette crise est fondamentale et affecte la structure même de notre système (de notre civilisation).
Bien évidemment, nous jugerions, et jugeons d’ores et déjà à la lumière de l’affaire hollandaise, que l’importance systémique du programme JSF, avec tous les remous qui l’affectent désormais fondamentalement, est avérée. Ce programme énorme, aux ambitions démesurées, est sans aucun doute une illustration militaro-industrielle, et donc “complexe” par conséquent, de la crise qui secoue le système de fond en comble. Sa “démocratisation” en Hollande, c’est-à-dire sa sortie des cercles opaques qui en tiennent les accès verrouillés, est à cet égard un événement d’importance. L’événement fait partie de la mise en cause générale du système, à sa “déstructuration” violente en cours (déstructuration paradoxale selon ce que nous nommons la “technique” du contre-feu, retrouvée dans nombre de domaine, qui est la déstructuration d’un système lui-même déstructurant).
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