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1216On relève dans les témoignages des ministres concernés au Congrès une opposition qui semble prendre une certaine vigueur et une réelle signification, entre le Pentagone et le département d’État sur la question de l’intervention en Syrie. Le cas posé autour de la possibilité ou non d’une intervention n’est pas nouveau, mais il ne fait que s’amplifier (on a vu, le 17 avril 2013, qu’il y a des bruits d’intervention pour le mois de juin)… Justement, il s’agit de savoir si les USA doivent envisager une intervention en Syrie, pour le cas principal du problème que pose la Syrie ; savoir, d’autre part, d’une façon plus concrète et plus immédiate, si les USA doivent envisager des initiatives de livraisons importantes d’armements aux rebelles.
Les deux ministères sont de plus en plus dans des positions antagonistes. La situation, qui pourrait paraître inattendue, est en fait très classique, avec des situations notablement similaires. Elle a été notamment remarquable dans ce sens dans les années 1980, lorsque l’équipe Weinberger-Powell (le ministre et son chef d’état-major) édicta des règles très strictes pour le moindre engagement, signifiant par là la réticence extrêmement forte du Pentagone pour des engagements extérieurs. Après quelques ministres aux positionnements moins affirmés, l’épisode Rumsfeld a interrompu brutalement cette tendance, qui s’est ensuite peu à peu rétablie, mais dans le mode mineur, avec Gates et Panetta. Cette fois, avec un Hagel qui se présente comme une personnalité politique de grand poids, le Pentagone affirme une position nettement anti-interventionniste, avec une dimension politique indirecte marquée.
Antiwar.com rapporte cette tendance, et l’évalue contre celle du département d’État qui reste partisan du soutien aux rebelles syriens et qui garde un oeil sur une possibilité d'intervention. (Texte, ce 18 avril 2013.)
«Secretary of State John Kerry took the line that everything is going swimmingly with the rebels, that the US aid is bring them closer together than ever and that America’s focus should be on forcing President Bashar Assad to step down in favor of them.
»That’s been his position for awhile, but Secretary of Defense Chuck Hagel told a dramatically different story of the rebel movement’s increasing internal conflicts and a growing sense of confusion among Pentagon officials over where the rebels actually are, and which factions are the prime movers in them. Joint Chiefs of Staff Chairman Gen. Martin Dempsey seemed to be moving closer to Hagel’s side on the matter, saying that his previous claims that the US was able to identify which rebel factions to arm and which not to arm no longer was true, saying there was a big shift in the past six months and the situation had gotten a lot more complex.
»Hagel also sought to emphasize his opposition to intervention in Syria, warning that joining the “lengthy and uncertain” war could have unforeseen consequences and push the US into a full-scale regional conflict. He added in testimony that Congress “better be damned sure” before they approved US military involvement, saying even the “minor” actions like a no-fly zone or a humanitarian corridor could force the US into a protracted commitment far beyond what they were expecting.»
La position du Pentagone n’est donc pas une surprise, y compris sur la Syrie (voir notamment, à propos de Dempsey notamment, le 8 mars 2012). Mais l’arrivée d’Hagel transforme la position du Pentagone d’une position “technique“ à une position clairement politique. Le poids de Hagel, notamment et paradoxalement acquis durant sa très longue, très controversée et très difficile confirmation dans ses nouvelles fonctions, tend à donner au Pentagone une position nouvelle, effectivement très politique. Il s’agit d’une réelle nouveauté à cause de cette dimension politique, parce que les deux précédents secrétaires à la défense manquaient pour des raisons différentes de ce poids politique, et Rumsfeld avait un très grand poids politique mais dans un sens interventionniste et belliciste. On observera bien entendu que cet engagement politique de Hagel rencontre évidemment les très grandes inquiétudes budgétaires et structurelles du Pentagone, la réduction de ses capacités d’intervention, etc. Cela rend encore plus cohérente la position de la direction de ce ministère, et renforce Hagel lui-même.
La position de Kerry est plus complexe et beaucoup moins affirmée. L’impression générale est que Kerry devrait être sensiblement moins belliciste qu’Hillary Clinton, mais il reste très dépendant de la bureaucratie du ministère qui est, elle, profondément marquée par l’“interventionnisme libéral” des années 2009-2012. De ce point de vue, Kerry est moins à l’aise que Hagel parce qu’il n’est pas exactement représentatif des grandes tendances de son ministère alors qu’il est bien sûr obligé de tenir compte des positions de sa bureaucratie. D’autre part, il reste à voir si la personnalité de Kerry peut s’affirmer, si cette personnalité est elle-même affirmée, et il s’agit là d’autant de points d’interrogation sans réponses évidentes. Le ministère Kerry pourrait s’avérer être une période de relatif effacement du secrétaire d’État au profit de sa bureaucratie si le secrétaire d’État ne prend pas très vite le dessus et ne s’affirme pas ; mais il ne peut s’affirmer qu’en prenant une position de “colombe”, contre la tendance libérale-interventionniste du ministère, et rien ne dit que ce soit la véritable position de Kerry, d’autant que cette affirmation l’amènerait en fait à se retrouver à la remorque de Hagel. Il y a, pour le secrétaire d’État, une sorte de cercle vicieux qui rend bien difficile pour lui d’assurer une succession à son avantage du ministère Clinton marquée par un bellicisme du type courant très postmoderniste.
Par conséquent, on est en droit de penser qu’on est en train d’assister à la mise en place d’une puissance politique nouvelle et solide dans le chef du Pentagone en général, et d’un secrétaire à la défense d’un poids politique considérable qui va retrouver, mais inversée pour le sens de la politique, le poids politique du Pentagone sous la direction de Rumsfeld. D’autre part, il semble qu’on puisse envisager qu’on tient là la réponse à la question qu’on se posait lors du pire de la bataille de la désignation de Hagel face au Congrès. (Voir notamment le 16 février 2013.) Cette bataille n’a absolument pas abouti à la capitulation et à la réduction du poids personnel de Hagel, mais elle semble au contraire devoir le conduire vers une affirmation de lui-même. Hagel est puissamment aidé en cela par la volatilité extrême du Congrès et, peut-être, par l’apparition au sein de ce même Congrès, depuis quelques semaines, – les positions évoluent vite dans le cadre paralysée des institutions du pouvoir washingtonien, justement parce que cette paralysie ne permet plus de fixer les grands axes politiques, – d’une tendance nettement distancée de la politique interventionniste chez les républicains . (Voir notamment le rôle nouveau et important du sénateur de Rand Paul, le 11 mars 2013.)
Mis en ligne le 18 avril 2013 à 12H53