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5125L’Homme aux Tweets est passé par tous les stades du déni face à la pandémie actuelle. Il y a quelques semaines, le virus chinois, comme il se plaît à nommer le Sars-Cov-2 et après lui les médias, ne pouvait donner qu’un gros rhume, une grippe tout au plus. C’est ignorer qu’une ‘simple’ grippe a tué plus que la Grande Guerre. Entre 20 et 100 millions de décès en 1918-1920 ont été déplorés sur une population mondiale sans immunité vis-à-vis du phénotype de l’influenza H1N1. On sait maintenant qu’il était né de la combinaison entre la souche humaine H1N8 et des gènes aviaires de type N1. Il s’est manifesté d’abord dans un camp militaire de l’Arkansas avant de toucher le 1/3 de la population mondiale. C’est aussi ignorer que la grippe « banale » fait près de 600 000 victimes en plusieurs mois chaque année.
Ses conseillers en santé publique ont fini par obtenir qu’il énonce publiquement la nécessité de la distanciation physique et celle du port d’un masque de manière générale mais ‘pas pour lui’. Le Sars-cov-2 avait déjà commencé de ravager New York. Le peu d’appui accordé aux gouverneurs des Etats, tant au niveau de la déclaration du confinement que dans l’octroi d’aides en matériel de soins et de protection, désengage la responsabilité de l’occupant de la Maison Blanche, toujours candidat à sa succession, pour la mise à l’arrêt de l’activité économique du pays.
Un petit vent de fronde est venu faire onduler d’une infime vaguelette la dernière réunion des ministres européens des Affaires Etrangères lors de la vidéoconférence du G7 le 25 mars. Ils ont refusé d’emboîter le pas au représentant des Usa qui insistait pour que le Sars-cov-2 soit désigné sous l’appellation ‘ virus chinois’. Depuis quelques années, les prises de position et les déclarations énoncées au G7 ou à Davos n’encombrent plus les unes des journaux, car leur objet était de manifester l’hégémonie étasunienne sur l’économie de la planète. Les pays de l’Union européenne ont bravé les sanctions étasuniennes à l’encontre de l’Iran en envoyant une aide médicale à un pays en proie à l’épidémie de Covd-2 et souffrant des effets sur la santé publique de l’embargo. Ils assurent également la République islamique d’Iran de leur soutien dans sa demande d’un prêt au FMI. La Bulgarie et la Roumanie en bons voleurs de grand chemin ont bloqué les camions de médicaments destinés à Téhéran.
Les excuses, tardives de surcroît, présentées par la présidente de la Commission européenne ne feront pas oublier à l’Italie frappée par l’épidémie l’inertie des 27 à lui porter secours. Elle se souviendra de l’envoi par Cuba de ses médecins, de la Chine et de la Russie pour les aides qu’elles ont fait parvenir. Ce sont trois pays sous sanctions des Usa et de ses provinces en Europe, les pays de l’Otan.
Trop bon élève des directives budgétaires et monétaires de l’UE, l’Italie a connu une croissance nulle depuis l’adoption de l’euro. Sa jeunesse, au chômage à 40%, a souffert de l’austérité qui a dégradé les compétences industrielles du pays. Elle en a payé le prix par l’insuffisance de ses infrastructures sanitaires publiques. Elle a dû obtempérer aux injonctions de la rigueur prônée par la Commission au bénéfice de la seule entité excédentaire, celle du Deutsche Mark. L’Allemagne plastronne néanmoins de moins en moins en raison de la récession mondiale établie depuis 2019.
Les grands ensembles artificiellement agrégés dans une fédération, les Usa, ou une union, l’Union européenne sont naturellement en train de se démanteler sous l’effet du séisme de la petite particule qui se réplique à toute vitesse, prend le train, le bateau et l’avion pour inonder les continents. Elle colonisera tous les humains qui respirent les microparticules transportées dans l’haleine des infectés ou déposées sur des surfaces qu’elle contamine longuement.
La tendance centrifuge des certains Etats de la fédération nord-américaine déjà exprimée dans le Vermont et la Californie risque de s’affirmer avec l’inévitable arrêt économique qui accompagne la pandémie alors que l’Etat fédéral a abandonné son rôle de garant de la sécurité nationale. L’impréparation de la Health and Human Services (HHS) à faire face au risque prévisible et prévu par les conseillers en santé publique d’une pandémie de l’ampleur de la grippe de 2009 n’est pas fortuite. Renoncer à organiser un stock stratégique de ventilateurs, de médicaments et de masques de protection correspond à un déterminisme plus qu’à un choix politique, celui de privilégier les achats d’armement afin de protéger la nation contre un ennemi improbable. La réserve fédérale stratégique en ventilateurs est passée de quelques millions en 2009 à 16 000 en 2020. La pénurie en masques N95 résulte également de l’insuffisance du budget alloué à cette réserve. Actuellement, les gouverneurs des différents Etats se font concurrence pour obtenir les équipements médicaux essentiels. Ils ont demandé à Trump qu’il déploie la Loi de Production de Défense (LPD) promulguée en 1950 qui permet au gouvernement fédéral d’orienter la production nationale en cas d’urgence en forçant les entreprises à fabriquer les équipements et en les distribuant. Trump a choisi l’option de l’incitation plutôt que celle de la contrainte. La LPD se traduit par la licence pour des actes de piraterie. 200 000 masques N95 commandés pour la police de Berlin à la firme 3M en Chine ont été ‘confisqués’ par un avion de l’armée américaine à Bangkok. Un acte similaire de détournement de masques FFP2 a eu lieu à Shanghai, des millions d’unités destinés à la région Grand-Est en France ont été payés trois fois leur prix et envoyés aux Usa.
Cette concurrence entre les pays occidentaux indique à la fois leur manque de solidarité et leur dépendance vis-à-vis de pays tiers pour des ressources vitales.
Alors que des médecins cubains sont venus à la rescousse des Antilles, la France au sein de l’UE approuve les plans étasuniens de changement de gouvernement au Venezuela, pays tragiquement aux prises avec les effets des sanctions étasuniennes et du gel de ses avoirs aux Usa.
L’administration fédérale est donc incapable de fournir le matériel de soins et de protection, elle majore son insuffisance en n’édictant pas le confinement qui réduirait les contaminations et la mortalité. Cette difficile et nécessaire ressource de lutte non thérapeutique contre l’épidémie est laissée à l’appréciation et la responsabilité des instances politiques locales. L’Etat de New York, de l’Illinois, de New Jersey, du Connecticut et de Californie ont tardivement adopté (après la mi-mars) cette mesure. New York, en raison de ses activités financières et la Californie qui abritent les firmes des nouvelles technologies et d’internet représentent près de 25% du PIB.
Brusquement, avec un grand retard, les Etats les plus performants se mettent à l’arrêt.
On croyait arrivée la fin de l’histoire. La seule puissance d’agir appartenait au Marché.
La fragmentation de l’activité des firmes sur plusieurs pays et continents avec l’impératif de répondre aux besoins du marché en flux tendus les a rendues performantes, rentables, puissantes, les a transformées en entités vivantes, plus essentielles que l’humain en charge d’acheter leurs produits. La firme transcende les petites unités humaines, elle confond dans son Etre créer les besoins, produire et consommer. Elle les surplombe, les abolit comme sujets constitués en classes qui interviennent et contredisent la fabrication de l’histoire. Elle abolit l’espace, la nation, devenant transnationale. Prend un statut où le temps est détruit, remplacé par la succession des générations des téléphones portables. De 3M et de ses masques FFP2 produits sous régime d’extraterritorialité dépend la sécurité sanitaire de tous et chacun, cible potentielle du Sars-Cov-2. Les États, ces non-machines engluées dans des décors factices aux factures figurant dans la rubrique lobbying, se bousculent dans les aéroports, surenchérissent, se disputent, volent et capturent le voile vital.
Nous payons l’air que nous respirons, car il nous faut le filtrer. L’urbanisme a transformé les humains en grappes migrantes et cohésives à l’intérieur desquelles s’échangent les haleines chargées de particules odorantes et de micro-organismes. La barrière oro-nasale devient l’impôt à payer pour individualiser les unités humaines au sein des ensembles transportés pour travailler, consommer et s’endetter.
Brutalement, les cohortes voyageuses et ouvrières doivent se disloquer. Sans quoi chaque maillon succombera et leurs ensembles disparaîtront.
Dans la grande segmentation des firmes transnationales, la sous-traitance de la gestion des données et les services à la clientèle sont confiés pour près de leur bonne moitié à l’Inde avec une compétition ardue de la Malaisie, du Vietnam, des Philippines et de la Chine. Le confinement décidé par Modi ne s’applique pas aux taches subalternes externalisées par les firmes occidentales principalement étasuniennes et britanniques. Citibank, Bank of America et General Electric y ont recours. Quelques européennes sont en train de leur emboîter le pas. L’outsourcing emploie plus de 4 millions d’Indiens dans les secteurs de la finance, les soins médicaux et les télécommunications. Le télétravail n’est pas possible dans ces cas car il suppose une délocalisation des données ‘sensibles’ dans des postes informatiques domestiques ou une logistique de connexion sécurisée permettant le travail à domicile. Le niveau de chômage est tel (8% en février 2020)que des jeunes Indiens avec une formation dans le supérieur courent l’inacceptable risque d’être contaminés d’autant que le confinement détruit des millions d’emplois dans le secteur important du tourisme. Un arrêt de leur activité volontaire ou en raison de la progression de l’épidémie mettra à mal une bonne partie de l’industrie bancaire anglo-saxonne.
La pandémie va remodeler tous les secteurs d’activité, comme l’avaient fait les précédentes. Ce sera aussi le cas de l’agriculture qui a été organisée sur le plan mondial avec répartition de la production entre pays et régions. Les programmes de restructuration ‘pour les aides au développement’ et la puissance des firmes ont détruit les productions vivrières et construit en même temps que des spécialisations, des zones entières dévolues à des monocultures. Rares sont les pays qui ont conservé leur souveraineté alimentaire.
Le dogme radicalement appliqué du libre-échange a rendu la France dépendante pour ses fruits et légumes dont la moitié est importée, pour la volaille et nombre de ses denrées. L’Europe est tributaire du soja transgénique brésilien pour l’alimentation de son bétail. La basse-cour qui piaille dans les médias dominants a su rendre péjorative la notion de souveraineté, lui attachant un complexe de signifiants comme nationaliste, extrémiste de droite comme de gauche, bref un ‘truc’ sale, impraticable et inavouable. Il s’agit pourtant ici de sécurité alimentaire.
L’équilibre de plus en plus instable du système des échanges mondiaux repose une composante majeure. Le pilier de cet édifice est une fiction : La croyance dans une monnaie garantie par un Etat endetté à un niveau qu’il en viendra à emprunter pour couvrir uniquement les intérêts de la dette. Cet Etat est amputé de ressources fiscales par le législateur qui exonère ceux qui pourraient être de gros contributeurs. Il ne peut qu’aggraver ses déficits pour la guerre, indispensable, les dépenses sociales et de santé, de plus en plus lourdes, et le paiement des intérêts de la dette. Le besoin de recyclage des dollars des pays tiers qui maintient la fiction va s’atténuer. La Chine en particulier réduit ses avoirs en dollars et préfère orienter ses échanges de manière à les traiter dans sa propre monnaie. C’est la direction prise avec le projet de la nouvelle Route de la Soie.
Brusquement, les échanges commerciaux s’effondrent.
La fermeture des frontières pour confinement fait craindre des pénuries alimentaires liées à des difficultés d’approvisionnement. De plus les peines des paysans à se ravitailler en intrants les obligent à se tourner vers une production à usage domestique. La baisse des prix des matières premières, pétrole et minerais, risque de rendre insolvables nombre de pays.
D’ores et déjà, des rayons alimentaires vides dans des supermarchés à Taïwan font craindre une pénurie. Des données du Département de l’Agriculture étasunien indiquent que le rapport stock/utilisation des aliments de base dans le monde est plus favorable que lors de la crise de 2008-2009, crise alimentaire qui a été l’un des facteurs déclenchants des printemps arabes.
La tonne du riz blanc thaïlandais, référence en matière de prix pour les denrées de base, était passée de 350 dollars à 1000 dollars en 2008. Elle oscille actuellement autour de la pointe de 570 dollars. Certains pays gros fournisseurs mondiaux comme le Vietnam, la Birmanie et le Cambodge, ont annoncé séparément la suspension des exportations afin de protéger leurs populations. Indépendamment des restrictions des gouvernements, le confinement prive l’agriculture d’une main d’œuvre ouvrière saisonnière qui ne peut plus se déplacer.
A son tour, la Russie a annoncé la restriction des exportations de ses céréales. Un groupe de sept pays et parmi eux, quatre , le Canada, le Chili, la Nouvelle Zélande, l’Australie sont de grands exportateurs alimentaires, ont signé un accord fin mars pour maintenir leurs chaînes commerciales ouvertes.
Seule une coopération internationale pourrait éviter des ruptures d’approvisionnement au niveau mondial. Le comportement indécent de la fédération des Etats d’Amérique du Nord avec à sa tête un personnage irresponsable tout droit sorti de comics autorise le plus grand des scepticismes. Avec une quasi-unanimité rare, l’ensemble des pays demande la levée des sanctions économiques contre l’Iran, le Venezuela et la Syrie qui valent par leurs effets crimes de guerre contre des peuples. L’Homme aux Tweets répond en durcissant les sanctions contre l’Iran et met à prix la tête du Président du Venezuela pendant que l’artefact israélien renforce son appareil répressif contre les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.
Les Usa vont aborder une zone de rupture car aucun dispositif efficace n’est disponible pour porter un secours alimentaire aux millions de chômeurs attendus d’une économie de services à 70%. Ils en viendront à se servir là où ils le pourront et s’il le faut, les armes à la main. Lors de la catastrophe de l’ouragan Katrina qui avait endommagé la Louisiane et la Nouvelle Orléans en 2006, le gouvernement Bush avait envoyé des soldats de la Garde Nationale, juste rentrés d’Irak, pour fusiller les personnes affamées qui se servaient dans les grandes surfaces dévastées. Les forces de répression de l’armée comme de la police qui seront elles aussi atteintes par le virus risquent de ne pas venir à bout d’un chaos social en cas de famine.
L’Egypte est le pays qui combine les deux facteurs de risque d’un soulèvement de la faim. Il est le plus gros importateur de blé du monde, auto-suffisant en grain à moins de 50% de ses besoins. Il est le prototype des pays avec énormes inégalités de revenus entre une superclasse de très riches confondue ou très proche des milieux militaires et une énorme base de très pauvres et précaires. Les chars dans les rues ne materont pas les émeutes. Comme les virus, les révoltes sont contagieuses et embraseront des jeunesses qui n’ont rien à perdre.
A moins que la pandémie ne soit rapidement maîtrisée.
Ce dont il est permis de douter.
Et des tas de digues de se rompre.
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