Déroute du système

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Déroute du système


9 juin 2007 — Pour juger de ce sommet, – pour juger de la réalité de ce sommet d’une part, de sa présentation virtualiste et désinformatrice d’autre part, – deux textes suffisent après tout.

• Celui de l’excellent Julio Godoy, de l’agence IPS, du 8 juin. IPS a fait un excellent travail de couverture du sommet. C’est la marque du succès de la presse “dissidente” qui a acquis une voix principale au chapitre, via sa diffusion par Internet, et qui est désormais l’instrument principal de l’information sérieuse.

• L’édito du Financial Times du 8 juin. C’est un monument d’arrogance virtualiste, de tromperie même pas délibérée, on dirait par automatisme d’une presse “de référence” si habituée à sa “servilité volontaire” qu’elle n’y prend même plus garde. Par ailleurs, le rythme dithyrambique du texte, son excès de satisfaction, sa pompe, son entrain vers un avenir meilleur sont, par simple antithèse de la réalité, la marque de la trouille grandissante de l’establishment anglo-saxon, libéral, libre-échangiste, globaliste et tutti quanti devant la marche des événements. (Soit dit en écrivant rapidement, un autre texte du même FT-guignol sur Tony Blair, le 7 juin, est un autre monument de flagornerie alors que l’“ex-Premier ministre” est en train de faire ses comptes à la loterie BAE-Yamamah)

Voici quelques paragraphes du compte-rendu sérieux de IPS, avec même mentionnée l’exaspération de Bono, du groupe U-2 :

«This year's summit of the G8 heads of government will likely be remembered as a ''how not to'' organise such an event, for the contrast between the expectations it raised and its negligible accomplishments, and for its enormous security costs.

»The three-day Group of Eight summit, held in this Baltic seaside resort, ended with two vague, non-binding promises — more aid for Africa, and negotiations towards a post-Kyoto Protocol international agreement to reduce greenhouse gas emissions — and failures in numerous other items on the agenda.

»This G8 failure in Heiligendamm to pass its self-imposed test of credibility will certainly mark the future of its summits.

»The leaders of the G8 countries (Britain, Canada, France, Germany, Italy, Japan, Russia, and the United States) said their farewells without an agreement on international trade negotiations, or on eliminating subsidies for agriculture in the industrialised world, a move that would give development a boost in Africa, Asia, and Latin America.

»No agreement was reached either on a new regulation of the highly speculative, and therefore risky, hedge funds, nor on the political status of the Serbian province of Kosovo.

»At the same time, the only accords the G8 leaders reached in Heiligendamm — on a medium-term reduction of greenhouse gas emissions and new aid for Africa — are considered as weak compromises, tailored only to avoid the impression that the summit was a total failure.

»On Friday, the G8 leaders agreed to allocate 60 billion U.S. dollars “over the coming years” to finance the fight against AIDS, tuberculosis and malaria, and a further 500 million dollars for the ‘Education for All’ programme in Africa.

»But development and aid experts consider this new pledge as a step backwards, compared to the promises made by the G8 at the 2005 summit in Gleneagles, Scotland, to double development assistance by 2010. The Gleneagles deal would mean an annual increase of aid levels by 50 billion dollars starting in 2006.

»“The whole declaration (on aid for Africa) is just cosmetic”, Ulrich Post, development expert at the German non-governmental organisation Welthungerhilfe (World Hunger Aid), one of the country's largest aid campaigners.

»Post regretted that the G8 declaration on Africa “only mentions agriculture (in Africa) with one single phrase. In the face of more than 200 million people suffering from chronic malnutrition, of which 80 percent live on rural areas, this behaviour is scandalous,” Post added.

»According to the development watchdog Oxfam, the new G8 aid promise for Africa means at best “just three billion U.S. dollars extra in aid by 2010.”

»Previous to the Heiligendamm summit, Oxfam had shown that the G8 countries would miss their 2010 target on aid for Africa by 30 billion dollars. “Today's announcement may only close that gap to 27 billion dollars,” the organisation said Friday.

»Other activists criticise the ambiguity of the G8 statement, which does not set a clear timetable for the allocation of the new promised assistance, nor does it define how much of the sum would truly be fresh aid.

»The Irish rock musician and anti-poverty campaigner Bono described this ambiguity as “a deliberate language of obfuscation. It is deliberately misleading. I am exasperated,” the U2 frontman said.»

Que dit le FT? Le journal anglo-saxon est tout à sa joie extatique de voir enfin les USA regagner le reste du monde dans la lutte titanesque contre le réchauffement climatique. Bien qu’il se juge obligé de parsemer son dithyrambe de conditionnels divers concernant l’extrême relativité de l’engagement US, – et l’on sait ce que cela signifie en termes de pinaillages, de conflits sans fin, de retardements, jusqu’à menacer de paralysie l’action des autres partenaires, – le FT ne fait là que satisfaire à son obsession de l’alignement transatlantique, Bush ou pas Bush. En prime, il nous annonce que Merkel est le nouveau héros, l’héroïne désormais de l’Europe continentale, la seule qui sera admise à discuter sérieusement avec les autorités britanniques détentrices de toutes les clefs du paradis transatlantique.

Tout de même, pour la bonne bouche et pour faire bonne mesure…

«Angela Merkel has good reason to be pleased with the outcome of the meeting of the Group of Eight leading countries she chaired this week. Her reputation as an effective conciliator and a determined negotiator has gained in lustre. Under her m=guidance, the G8 summit marks a turning point on tackling climate change. Whether George W. Bush meant what he signed is unclear. But this meeting marks the end of the beginning of the global debate. The US is now at last engaged.

»The communiqué’s salient point is that the G8 agreed to begin talks this year on a successor to the Kyoto treaty, due to expire in 2012. Any such successor will be negotiated under the auspices of the United Nations. It will also surely have objectives for emissions of greenhouse gases, along with measures to achieve them. In both respects this marks a transformation for US policy.

»Mr Bush has abandoned the positions on which his administration stood: Kyoto is buried and forgotten; and man-made climate change is a myth or, if no myth, requires no global limits on emissions. Now we discover that climate change is not a myth, after all; limits are indeed to be on the table; and a successor to Kyoto is to be negotiated. This truly is a Damascene conversion.

»It is right to be suspicious. Mr Bush may not mean what he has said…»

Ainsi en sera-t-il de la devise du G8 : “it may not mean what it has said…

Il y a des “succès” dont on se passerait bien

Que retenir de ce sommet? Deux choses essentiellement.

La première est l’urgence où se sont trouvés les dirigeants mondiaux d’affirmer que ce sommet était un succès, voire un triomphe. Il ne l’est évidemment pas et il est exactement le contraire mais là n’est pas le problème dans ce cas. Mis à part les cas de gloriole personnelle (il est bon que Merkel donne vraiment l’impression de ce qu’on dit qu’elle est : une médiocre tâcheronne transformée en brillante inspiratrice de la cohorte civilisée pendant au moins six mois-un an, pour le temps de ses présidences UE et G8), il reste la question de savoir pourquoi ce sommet devait apparaître comme un succès bien plus qu’un autre. La raison vient aisément sous la plume : parce que les sujets de discorde qui y furent traités sont à la fois graves et urgents. Il fallait donc donner une forte impression de succès pour dissiper cette impression.

La stratégie de l’apparence du succès fut concentrée sur la question climatique. Dans ce cadre, tout fut concentré sur un seul point : la présence de la signature US aux côtés de celles des autres dans un document qui dit à peu près, — on résume mais à peine : la crise climatique existe, il faut lutter contre elle. Tout le monde s’engage donc à faire quelque chose. Le reste suivra comme il peut. C’est la formule du général à l’envers. Ce n’est pas “l’intendance suivra” mais plutôt “la politique suivra ”, — car le reste dépend des décisions politiques, l’intendance étant l’unanimité virtualiste et médiatique du sommet, — et cela, la décision politique, ce n’est non seulement pas assuré mais c’est la probabilité du contraire. La valeur du communiqué est à peu près nulle par le manque d’engagement détaillé qui le caractérise alors que tout se trouve dans ces “détails”. Comme l’écrit justement le Guardian du 8 juin : «The devil, however, is in the absence of detail.»

La deuxième chose à noter après le G8, que des Allemands mal intentionnés ont baptisé : sommet de Scheinheiligendamm (“sommet de l’hypocrisie” au lieu de sommet de Heiligendamm), est que le succès et l’unité présentés à l’issue de ce G8, non seulement dissimulent à peine une situation notablement aggravée mais, pire encore, promettent une aggravation de cette situation. Aucun problème n’a été résolu, aucune décision sérieuse n’a été prise. En même temps, la nécessité d’unité a plutôt orienté l’évolution des protagonistes vers une tendance minimaliste et antagoniste qui aggravera encore plus le traitement des problèmes par rapport à ce qu’il était possible de faire avant la “success story” du G8. L’exemple le plus significatif est celui de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le site WSWS.org observe, le 9 juin : «The SPD environmental expert Hermann Scheer even declared that the agreement was an obstacle to climate protection. “The global search for consensus prevents rapid action for climate protection, because minimal compromises then become the accepted standard,” he told the Berliner Zeitung.» C’est exactement ce dont il s’agit. Avec l’“accord” du G8, les perspectives d’une lutte efficace contre le réchauffement, sur les bases d’un accord entre nations, USA compris, ont reculé quant à son efficacité.

D’autre part, les perspectives d’antagonisme et d’affrontement ont largement augmenté avec l’arrivée des USA, car les opinions publiques et nombre de nations, dont celles qui ont signé, n’accepteront pas longtemps d’être tirées vers le bas par les USA. Cela, sans compter les conflits à venir aux USA mêmes, où nombre d’Etats et de villes ont une politique complètement différente de celle de Washington, et alors que le Congrès veut restreindre l’autonomie de ces pouvoirs intérieurs à fixer leurs propres règles dans ce domaine.

Le “succès” du G8 ouvre en vérité la voie à des possibilités d’affrontement nouvelles, au contraire de ce qu’affirme la “narrative” virtualiste. Il n’y a pas rapprochement des points de vue, mais entrée dans l’arène d’au moins un acteur (avec d’autres peut-être s’ils jugent intéressant de se rapprocher des USA) dont la politique va être d’entraver une évolution conséquente et efficace.

La crise continue à galoper. Celle du climat, celle de l’aide et de la pauvreté, celle des flux financiers déstructurants et incontrôlés, celle des anti-missiles US en Europe (plus toutes celles dont, — ô surprise, — on n’a dit un mot, comme l’Irak et l’Afghanistan). Mais surtout, celle des directions des puissances lorsqu’elles entendent suivre une orientation commune, globale, une orientation qui plaise aux services de communication. Cette “réussite”-là du sommet du G8 va encore aggraver la situation dans les mois qui viennent.

Par ailleurs, dirait Joseph de Maistre, il est bon que ces “scélérats” poussent jusqu’au bout leur œuvre de destruction du système qu’ils servent, pour que toutes les illusions soient réduites comme elles doivent l’être.