Des “indignés” pas sérieux

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Des “indignés” pas sérieux

Peter Schwarz était l’envoyé spécial à Athènes du site WSWS.org, site de la IVème Internationale (trotskiste). Il en ramène un article qui exsude la déception et l’exaspération (le 24 juin 2011). Il n’y a pas de “réelle démocratie” chez les “indignés” du Parc Santagma ; entendez par là qu’il n’y a ni organisation, ni objectifs, ni structures, ni desseins et programmes politiques, ni plan d’action et ainsi de suite. Ces gens-là ne sont pas sérieux.

C’est la première fois que WSWS.org attaque aussi violemment un mouvement populaire né des conditions de la crise, alors qu’il les a, jusqu’ici, systématiquement soutenus, comme on comprend que cela soit absolument naturel pour une organisation trotskiste. Bien sûr, il se glissait des critiques du manque d’organisation, de but politique, etc., mais la sympathie et le soutien prédominaient. Cette fois, l’attaque est violente, pleine d’une ironie dédaigneuse, presque de la colère devant ces “indignés” irresponsables et fort légers, qui ignorent les leçons dialectiques de l’histoire… En plus, le constat se termine par l’observation horrifiée que ces “indignés” irresponsables commencent à introduire, dans la profusion de slogans et autres mots d’ordre désordonnés, certains qui font référence à la nation, le nationalisme, etc., donc avec un relent de populisme national, – ce pêché capital, pour couronner le tout, d’ignorer les vertus de l’internationalisme.

Voici un extrait du texte…

«It is not easy to report on the “Indignants”, the protesters in Athens’ Syntagma Square. We spent almost an hour trying to find someone responsible who could tell us about the goals and character of the movement, without success.

»First, we went to a stand with a sign in big letters reading “information”. But as it turned out, this was merely providing technical advice on creating and organizing new committees. We were referred to another stand, where in turn we were sent to the press centre of www.real-democracy.gr. We thought we had reached our goal, but a woman there told us that nobody had the authority to act or speak on behalf of the movement, not even members of the Steering Committee. The press centre was merely tasked with recording the daily discussions and decisions of the Steering Committee and the “Popular Assembly“ and putting them online.

»The composition of the Steering Committee changes daily—once it was 50-strong, another time 500. If we wanted information, we should consult the web site, which also contains many contributions translated into other languages. We could interview individual members of the movement, but these only spoke for themselves, she said.

»There was no one willing to provide information about the objectives and purpose of the movement, and take responsibility for this. This game of hide and seek is not a coincidence. It is justified by reference to the principle of “genuine” or “direct” democracy, according to which the people take decisions directly, without the mediation of political representatives or parties. In fact, it serves to hide the real political objectives of the Indignants.

»The so-called “Popular Assembly”, which takes place every evening at nine on Syntagma Square, proves to be a farce on closer inspection. What some of the pseudo-lefts celebrate as the reincarnation of the Russian Soviets in fact rather resembles Speakers Corner in London’s Hyde Park. There is an indescribable din. The audience comes and goes. The speakers are drawn by lot. They are given just 30 seconds, and may not identify themselves as representatives of political tendencies.

»Under these circumstances, a serious debate over political perspectives is just as impossible as taking a truly representative vote. Such things are unwanted. All those who find themselves accidentally on the square can raise their hands to vote. There are neither elected representatives nor mandated delegates. This offers plenty of opportunities for infiltration and manipulation…»

…Nous avons poursuivi la citation jusqu’à cette phrase : «…This offers plenty of opportunities for infiltration and manipulation». On y trouve la contradiction fondamentale de ce texte, et l’explication, non moins fondamentale, de l’incompréhension du militant-journaliste, de la IVème Internationale trotskyste, de tout ce qui est d’obédience marxiste, de tout ce qui est mouvement de partie prenante, tous horizons politiques, dans les grands remous politiques et sociaux du XXème siècle, et ainsi de suite… Peter Schwarz nous décrit une immense non-organisation, un tourbillon de désordre, une agitation sans queue ni tête, etc., – puis il s’indigne enfin, conformément au mot d’ordre du jour (Indignez-vous!), devant un pêché capital de plus pour toute organisation qui devrait être à finalité révolutionnaire : “Cela permet nombre d’opportunités pour des infiltrations et des manipulations”. Comment veut-il qu’on puisse infiltrer et manipuler ce qui n’existe pas puisqu’il vient d’enrager pendant plusieurs paragraphes sur l’absence complète de structures, d’organisations, etc. ?

Ainsi sont bien signifiés les contradictions, et partant le désarroi, de tous ces mouvements et organisations qui ont joué et jouent encore, mais temporairement, un rôle antiSystème, au nom de thèses, d’organisations et de conceptions d’un monde dépassé, – celui du XXème siècle et de ses luttes idéologiques, où la croyance existait dans les vertus décisives de la prise de pouvoir, du renversement du régime capitaliste, etc., de la révolution en un mot. Cela fut fait effectivement dans certains cas, la prise de pouvoir, le renversement du régime capitaliste dans certaines circonstances et pays, bref la “révolution”, – mais pour nous donner quoi ? Rien d’autre que de nouvelles situations, souvent oppressives et totalitaires et, au bout du compte, des circonstances insupportables qui servirent indirectement de faire-valoir au Système en général, jusqu’à susciter dans l’esprit le soupçon au moins d’une complicité involontaire, – “objective”, comme ils disaient, – quand on voit le résultat général. La méthode révolutionnaire est aujourd'hui complètement dépassée, après avoir fait la preuve de ses insuffisances souvent sanglantes.

De tels conceptions s’avèrent incapables de comprendre les nécessités que la surpuissance, l’omniprésence du Système, etc., imposent aux mouvements de résistance et de révolte. L’absence d’organisation et de programme politique de la résistance et de la révolte est une vertu per se. Le texte estime que cette inorganisation et cette absence de programme politique font le jeu des directions politiques, du Système en général, et nous dirions que c’est exactement le contraire. L’existence d’une organisation et d’un programme politique permet justement “infiltrations et manifestations”, sinon corruptions diverses. Leur absence fait peser au contraire une pression psychologique et une menace diffuse et insaisissable, sur les directions politiques ; elle accroît leur angoisse, diffuse le sentiment du désordre et l’inconnu des circonstances déstabilisantes, bref joue un rôle déstructurant du Système en son entier, d’abord par le biais essentiel de la psychologie. C’est là la seule, l’unique et l’irrésistible marche à suivre, devant la surpuissance du Système qui interdit toute attaque frontale et au constat qui doit être fait du déroulement parallèle du processus d’autodestruction du Système. Cette dynamique d’autodestruction doit être accentuée par des poussées déstructurantes quasiment invincibles parce qu’il n’existe aucun biais par lesquels on peut les “infiltrer et les manipuler”, et donc les diviser et les annihiler selon les bonnes vieilles méthodes des affrontements classiques et complètement dépassés du XXème siècle. Les trotskistes de WSWS.org n’ont rien compris à cet égard, et ils ne sont pas les seuls, parmi ceux qui s’opposent au Système depuis des années, et notamment depuis 9/11 ; ils n’ont pas compris qu’il n’importe surtout pas de proposer un système à la place du Système, – vieille rengaine catastrophique du domaine, – mais qu’il importe de se constituer en un système antiSystème qui n’a besoin d’aucune élaboration précise, dont la devise est et doit être une sorte de “delenda est systema” brutal et sommaire, – et, pour le reste, on verra après… Mais évidemment, l’explication est que tous ces concepts de lutte dépassés s’appuient sur la raison pour organiser leur lutte, la même raison subvertie qui a enfanté le Système monstrueux contre lequel ils prétendent lutter ; les mêmes causes engendrant les mêmes effets, certes...


Mis en ligne le 28 juin 2011 à 09H48