Des liens du sang en politique

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Des liens du sang en politique

Il se passe en France un évènement intéressant qui relève de l’anthropologie, de l’histoire, et de la politique: le divorce père-fille chez les Le Pen. Les liens du sang en politique ne sont pas rares mais il est peu courant dans une famille de voir un père faire succéder sa progéniture à la tête du parti qu’il a créé. Un monarque adoubant son fils, ou dans notre cas, un père amoureux sacrant sa fille.

Au départ, quand elle est enfant le père a un faible pour sa fille, sa petite chérie, qui «est un esprit avant d'être une femme» et dont «le regard reflète la clarté de son âme» comme le dit si joliment Hugo. La Fille séduit par sa vivacité, sa précocité. Le garçon, plus empoté, a besoin de plus de temps que sa sœur pour s’éveiller et d’un plus grand soin maternel. Il n’est considéré par son père qu’à partir du moment où il fait preuve de détermination, courage et ambition. Le père ne demande pas ça à sa fille, il lui suffit qu’elle soit vivante, intelligente et qu’elle satisfasse le sourire de son cœur. Avec l’âge le tableau change. La fille devient une femme de laquelle il faut s’éloigner, d’autant plus qu’elle aussi s’éloigne du père pour pouvoir calquer sa féminité naissante sur sa mère qui lui sert de modèle, chose qu’un père ne peut lui donner. Le fils suit un chemin semblable vers son père qui s’inquiète de ce qu’il fera plus tard, l’encourage, le bouscule, le met à l’épreuve pour être sûr qu’il ne restera pas en rade. Ayant perdu la joyeuse insouciance que sa petite fille lui prodiguait en compensation, il inculque des règles par lesquelles le fils doit réussir. Eduquer un garçon est moins amusant qu’une fille. Le Pen le sait, il n’a eu que des filles. Il ne pouvait suivre le chemin masculin. Son ambition de père ne pouvait s’exercer et se satisfaire que sur ses filles. Il espéra en Marie Caroline qui, pour échapper à une autorité qui l’aurait handicapée en tant que femme, le trahit et choisit de suivre (avec son mari), lors de la scission de 1998, Mégret, l’ennemi du clan... Jean-Marie le Pen révèle alors les dessous de sa conception familiale en parlant sur TF1 «des femmes qui ont l'habitude de suivre leur mari ou leur amant plutôt que leur père». Cette remarque montre que lorsque l’ambition d’un père ne peut s’exercer sur son fils, combien est trouble l’ambition qu’il projette sur sa fille. Dans l’ordre du désir paternel, la fille qui réussit, qui est capable d’occuper la place d’un fils absent, est idéalement celle qui devrait choisir de rester près de son père, de sacrifier sa féminité non à un mari, cet étranger, mais à ce père si familier. Ce que fit Anna la fille de Freud. C’est une occurrence que certains commentateurs ont relevé sans s’y attarder. Il le faut pourtant car elle signe l’ambigüité fondamentale de la relation père-fille lorsque cette dernière prend la place du fils, lorsque le père décide de propulser sur la scène du monde non le fils qu’il n’a pas, mais son « substitut féminisé ». Faisant cela, il se piège lui-même et il piège sa fille qui un jour ou l’autre devra couper ce lien discrètement incestueux. D’avoir institué sa fille fut l’erreur lourde d’un Jean-Marie préférant sa famille à ses amis. D’avoir accepté cet adoubement fut une erreur tout aussi lourde de Marine qui pourtant n’aurait jamais eu la force, en refusant ce rôle, d’infliger un camouflet à son dictateur de père. Elle n’avait pas le choix, même pas celui de proposer son concubin Louis Aliot à sa place. Elle avait compris qu’elle était le dernier homme de la famille après que Marie Caroline eût choisi de rester épouse d’un homme étranger en répudiant son père.

Marine va donc devoir gérer l’incestueuse relation officialisée en 2011, sachant que Jean-Marie ne pourra jamais pardonner une infidélité. Elle se trouve donc en situation de devoir s’opposer de plus en plus radicalement à son père, de le «tuer», si elle veut démontrer sa liberté, non seulement à son père (chose désormais mineure) mais à elle-même et à son électorat qui est un électorat plutôt «machiste», c'est-à-dire un électorat qui considère que le père, la parole du père a un poids plus grand que celle de la fille. Mais, en même temps, un électorat qui est, depuis déjà longtemps, imprégné des idées féministes qui répandent l’idée qu’une femme vaut un homme, voire lui est supérieure. Sinon comment juger l’engouement de millions de Français pour Marine? Cet engouement ira-t-il jusqu’à pardonner le meurtre du père qui pointe à l’horizon? Saura-t-elle incarner une inces-tueuse et s’en prévaloir?

Si enfin on tient compte du fait que la relation qui s’est réalisée entre père et fille est en résonnance avec les idées profondes du Front National exprimé un jour par Jean-Marie, selon lesquelles «Je préfère ma fille [ou ma famille] à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins à mes compatriotes, mes compatriotes aux Européens», on saisit dans toute sa puissance ce que lien du sang veut dire dans le clan Le Pen: Puisse la France être à l’image de ma famille et l’Europe aussi s’il doit y en avoir une, que les liens du sang soient maintenus et honorés et non boudés ou diabolisés, que l’identité française ne se dissolve pas dans ce vaste et étranger ensemble européen. Cela illustre aussi les dits et les non dits sur les récents évènements tels que le mariage dit pour tous, l’avortement de confort, la PMA et surtout la GPA qui ouvre la porte à une mixité sans frontière avant d’ouvrir celle de l’utérus artificiel, du clonage et des manipulations génétiques qui, qu’on le veuille ou non, sont l’avenir proche de l’humanité que nous prépare Google, du moins dans sa partie occidentale athée. De tout cela, le FN ne veut pas mais il lui manque le porte-parole, l’intellectuel profond et visionnaire genre Mélenchon, Sapir ou Todd qui propagerait le message avec chaleur. Il a certes déjà le secret Philippot qui par son homosexualité s’inscrit paradoxalement dans le futur inverti du FN, se nourrissant du «grand cadavre à la renverse» de la gauche louis philipparde et qui pourrait défendre ces idées sans passer pour raciste ou racialiste. Passer d’une relation incestueuse avec papa à une relation complexe et approfondie avec un homosexuel, c'est-à-dire un qui aime beaucoup sa maman, devrait être une épopée grandiose que la scène politique contemporaine ne nous a pas encore offerte. On verra. Quant à Marine, à qui manque la culture historique, la philosophie de l’histoire voire même sa métaphysique, elle aura du mal à abandonner les idées force de son père dont elle est imprégnée depuis son enfance. Elle sent qu’elle doit faire évoluer le FN, elle voit bien le piège inces-tueur qui est le sien, perçoit confusément les enjeux de l’actuelle autodestruction du monde, mais n’a ni les outils conceptuels pour les comprendre vraiment, ni surtout la hauteur d’esprit d’un grand politique, qu’il appartienne au passé façon de Gaulle ou dirige le présent comme Poutine. C’est tout le drame des partis de droite et de la droite extrême de ne plus pouvoir s’opposer à l’évolution délétère des mœurs promulguée en France par la gauche caviar, et en même temps proposer autre chose qui ne prenne pas exclusivement appui sur la frustration du plus grand nombre de « souchiens » pauvres submergés de migrants, délaissés par le soi-disant progrès, en leur proposant une version soft du Blut und Boden de nos voisins… Pour le coup, Jean-Marie a raison, à ces voisins, je préfère ma France et j’ai l’impression que ne suis pas le seul… surtout quand j’achève la lecture du livre «Le Hareng de Bismark»!

Voilà à quoi le FN, sa présidente et son vice-président sont désormais contraints, le piège dont ils ne pourraient sortir qu’à la condition de se dé-lepéniser, qu’à la condition de changer de Nom. Le Nom le Pen est maintenant l'obstacle le plus sûr à l’évolution du parti de Marine. Changer le nom serait moins tordre le cou au grand-père qui, habillé de rouge, invoque publiquement la statue Jeanne d’Arc qu’à conjurer l’inceste familial apparu au grand jour. Marine en est-elle consciente? A-t-elle réalisé que si elle veut devenir présidente de la France, elle doit, avec des idées anciennes (refus et diabolisation de l’étranger et de sa religion) défendre un projet neuf qui, pour l’instant, ne prend pas systématiquement en compte le caractère hautement toxique de la finance internationale dont Jacques Attali, ce gourou malfaisant, est l’(in)digne représentant… A plus forte raison maintenant que ce père, sans être un Goldmann Sachs apatride, un fraudeur expatrié à la Jean Claude Jünker, ou une paysanne arriérée née en Rda et recyclée en CDU-Volkspartei nostalgique des terres noires d’Ukraine ou des puits de pétrole de Bakou, couve en Suisse quelque lingots.

On attend la suite avec gourmandise.

Marc Gébelin