Des ‘Néo-NAM’ aux BRICS

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Des ‘Néo-NAM’ aux BRICS

• Une exploration du phénomène de l’évolution du “reste du monde” autour de l’énorme événement de la guerre d’Ukraine (Ukrisis) impliquant la Russie et le bloc-BAO. • Appréciation de l’évolution des pays qui formèrent le mouvement dit du-NAM (Mouvement des Non-Alignés), qui se transforme en ‘Néo-NAM’. • La philosophie d’une telle dynamique est celle d’une sorte de neutralité mais il va de soi que la puissance de l’événement, sa spécificité, la référence russe, conduisent ces pays à “choisir un camp”. • Contribution : dedefensa.org et Humberto Márquez.

Le texte ci-dessous (« Rester hors des eaux troubles », dans ‘ConsortiumNews’ le 23 juin 2022) est d’un réel intérêt, autant par son contenu que par son exemplarité, pas nécessairement voulue, comme illustration de la difficulté d’usage des acronymes aussi bien que de l’ambiguïté des situations issues de la Guerre Froide et qui “explosent” littéralement à l’occasion de la guerre en Ukraine, – transformée ainsi prestement en une ‘Ukrisis’ qui fait trembler le monde sur toutes ses bases. Il détaille et  tente de définir le très puissant mouvement d’abstention qu’on constate dans nombre de pays disons “du Sud” pour satisfaire certaines sensibilités, – mais, comme dans tant d’autres occasions, “le Sud c’est bien plus que le Sud” ; mouvement d’abstention dans le cadre de la guerre en Ukraine, et essentiellement sinon exclusivement une abstention par résistance des appels des USA à dénoncer l’opération russe. (Encore, dans le décompte des votes à l’ONU rappelés dans le texte, le refus très majoritaire des sanctions antirusses parmi ceux qui ont voté la condamnation initiale de la Russie à l’ONU, constituant en soi et sans discussion un vote de défiance de la position des “parrains” de la motion proposée, n’est-il pas référencé.)

L’auteur présente cette évolution comme une “Tendance à un nouvel non-alignement”, – explicitement dès son sous-titre :

« Humberto Márquez rend compte de la nouvelle tendance internationale au non-alignement déclenchée par la guerre en Ukraine. »

Ainsi nous conduit-il à envisager un concept ancien, revisité et mis au goût du jour : le “Mouvement des Non-Alignés”, ou NAM (‘Non-Aligned Movement’ en anglais) devient le ‘Néo-NAM’, ou “nouveau Mouvement des Non-Alignés”. Cet acronyme modernisé commence à être effectivement employé, notamment par Pépé Escobar, qui utilise également l’expression de ‘Global South’, – notamment lorsqu’il écrit à ce propos le 25 février, désignant ce mouvement comme un « Mouvement des Non-Alignés gonflé aux stéroïdes » (texte laissé en anglais pour mieux présenter l’introduction des expressions et acronymes) :

« What Deng described then as the Third World – a Cold War-era derogatory terminology – is now the Global South. And the Global South is essentially the Non-Aligned Movement (NAM) on steroids, as in the Spirit of Bandung in 1955 remixed to the Eurasian Century. »

Pour notre compte, nous trouvons pour l’actuelle séquence l’expression de ‘Néo-NAM’ d’une façon explicite jusqu’à en faire un titre, sous la plume de Andrew Korybko, le 27 décembre 2021, dans ‘Modern Diplomacy’. Le titre, « The Neo-NAM: From Vision to Reality », est explicité dès la première phrase (également laissée en anglais) qui concerne paradoxalement un sommet Russie-Inde, – “paradoxe” puisque la Russie sous la forme de l’URSS était l’un des deux blocs sur lequel le NAM de la Guerre Froide refusait de s’aligner :

« The latest Putin-Modi Summit was a global geostrategic game-changer unlocking the potential for the two great powers to jointly assemble a new Non-Aligned Movement (“Neo-NAM”). »

Encore plus remarquable est le fait que ce texte de Humberto Márquez, qui est un journaliste et un expert d’origine vénézuélienne, nous décrit l’évolution vers les ‘Néo-NAM’ comme curieusement (?) caractérisée par des retraits successifs de tout soutien à la politique européaniste-américaniste. On l’a signalé, le texte de Korybko lui-même introduit cette ambiguïté puisqu’il met la Russie dans cette entente fondatrice de ce ‘Néo-NAM’... Les ‘Non-Alignés’ de la Guerre Froide l’étaient nécessairement par rapport à deux blocs constitués dans un monde bipolaire, sorte de “ni-ni” si l’on veut, – ni pro-US, ni prosoviétique. Ici, on nous présente les ‘Néo-NAM’ comme étant nécessairement “non-alignés” par rapport à un seul bloc, notre infamous bloc-BAO, et le premier d’entre ces “non-alignés” étant manifestement la Russie, qui est pourtant l’héritière de l’URSS et de son bloc. Il s’agit d’un acronyme commode mais un peu limite sinon ironique, un excellent instrument de communication, mais qui ne peut tromper personne par le procédé de l’étiquetage qui ferait plutôt emballage.

Du ‘NAM’ non-engagé et plus ou moins ”neutre” dans le monde nettement bipolaire de la Guerre Froide, nous passons à un ‘Néo-NAM’ nécessairement engagé dans un refus d’alignement qui implique que le statut de neutralité n’est qu’une oasis de passage et de circonstance dialectique car il faut songer à s’affranchir de l’unipolarité du bloc-BAO et de son argument de fortune infâme de la globalisation (littéralement comme l’on dit des élections : “globalisation, piège à cons”, – piège en l’occurrence tendue par des forces qui sont définies exactement par le qualificatif arbitrairement donné à ceux qu’elles veulent piéger). C’est ce qu’implique évidemment un expert argentin en géopolitique, Andrés Serbin qui fait la conclusion de l’article, et ce choix relativisant complètement le processus décrit par une citation où le ‘Néo-NAM’ qui est non-aligné pour éviter des “eaux troubles” (« Rester hors des eaux troubles ») finira, – à notre avis très rapidement, si ce n’est déjà fait, – par devoir “nager [naviguer] en eaux troubles”, et dans le sens qu’on comprend bien...

« Serbin a déclaré que pour les pays du Sud, et en particulier pour ceux d'Amérique latine, le conflit [en Ukraine] “offre des opportunités, pour le placement d'exportations énergétiques ou alimentaires par exemple, à condition que les accords et les équilibres nécessaires avec les puissances rivales soient maintenus”.

» “Mais si la confrontation s’intensifie et s’étend au-delà de l’Europe, il sera difficile de rester non aligné. Nos pays devront alors apprendre à naviguer en eaux troubles”, a-t-il conclu. »

Ce n’est donc qu’une question d’étiquette, et l’on doit bien comprendre que, comme l’expose Korybko, l’étiquette ‘Néo-NAM’ est inaugurée par un des deux pays cités, la Russie, qui est finalement le premier pays à s’être révolté avec violence contre l’alignement unipolaire. Le ‘Néo-NAM’ n’est pas un refus d’alignement comme s’il y avait eu un choix à cet égard, c’est une révolte contre le seul alignement imposé plus que proposé de l’emprisonnement dans le carcan unipolaire de la globalisation américaniste-occidentaliste. Définir autrement le ‘Néo-NAM’ est au mieux une gâterie, un tribut rendu au besoin d’objectivité apparente de nombre d’intellectuels et d’universitaires qui continuent à penser les relations internationales en termes idéologiques, fût-ce pour paradoxalement repousser ces termes.

Plus encore et pour nous confirmer dans notre jugement, à mesure que l’on se met à l’ouvrage de définir ces ‘Néo-NAM’, surgissent les rencontres et sommets, plus ou moins par téléconférences, des BRICS (sommet en téléconférence à Pékin, ce même 24 juin), où l’Argentine d’Andrés Serbin est conviée comme observatrice du fait de sa demande d’adhésion au groupe, et où l’on sait que la Chine qui invite tout ce beau monde entend proposer, – acquiescement acquis d’avance, – d’ouvrir les portes du groupe à d’autres pays, tous gens du ‘Néo-NAM’, ou du ‘Global South’ selon Pépé.

Les BRICS sont appelés, sans aucun doute, à tenir une grande place et à jouer un rôle essentiel dans les mois/les années à venir, avec diverses initiatives : par exemple, la mise en place d’une monnaie de réserve des BRICS, mais plus encore sans doute, la perception d’une sorte de contre-OTAN économique à l’heure où la guerre se fait d’abord par des moyens économiques (sanctions), – c’est-à-dire contre-OTAN économique, “mais pas que”... Tout cela, d’ailleurs, à l’heure où l’OTAN rêve de se globaliser bien entendu, ce qui dessine la nécessité de ce que doit être une contre-OTAN, dans l’esprit de la chose, hors de toutes cette sorte de structures qui sont les barreaux et les verrous de cette prison qu’est également l’OTAN ...

Bref, quelles que soient les étiquettes, nous retrouvons ces facteurs essentiels, qui, depuis le 24 février, ne quittent plus l’esprit des analystes disons “sérieux”, pas trop craintifs de leur ombre propre, capable de respirer et d’aligner cinq lettres sans consulter le dictionnaire de la bienpensance :

• l’“Opération Militaire Spéciale” (OMS) de la Russie en Ukraine est un événement absolument fondamental, qui dépasse largement le seul problème russo-ukrainien, comme celui des relations USA-Russie, comme celui de la sécurité européenne ; un événement que nous nommons Ukrisis, qui fait exploser son cadre régional et fait de sa signification historique un phénomène métahistorique de nature civilisationnelle absolument rupturiel de la piètre narrative globalisante et moralinesque du bloc-BAO.

• C’est toute la structure du monde hérité de la Guerre Froide qui se désintègre sous la poussée de cet événement-Ukrisis dont l’imprévisibilité tient essentiellement à son extraordinaire puissance tectonique qui dédaigne les catégorisations, qui affecte tous les caractères d’une civilisation pour les transformer radicalement, à coup d’un marteau de type-nietzschéen, – notamment les caractère de la psychologie, de la culture, du sociétal, et au-delà le caractère de la spiritualité fondamentale de l’espèce.

• Potentiellement, et malgré la formidable résistance de l’hyperpuissance du Système, la violence de cette guerre-Ukrisis au niveau de la communication (phobie antirusse quasiment génocidaire, réapparition du mythe nazi, etc.) implique, avec sa force symbolique absolument stupéfiante, que le “champ” de concentration de la postmodernité devient un champ de bataille, avec l’affiche alléchante et irrésistible d’un théâtre total, d’un affrontement total entre modernes comme on est modernistes et antimodernes comme l’on repousse la modernité considérée comme une peste de l’âme. Il s’agit de bien plus que de passer d’un monde unipolaire à un monde évidemment multipolaire, – ce qui sera fait bien entendu, dans la poussière des effondrements, mais comme une nécessité de passage, pour nécessité de rangement.

... Tous les événements, y compris le ‘Néo-NAM’, l’évolution des BRICS, etc., sont à considérer hors de tout étiquetage. Leur rôle implique une nécessaire participation à l’explosion générée par l’OMS russe en Ukraine, transformant une soi-disant “agression” en une Ukrisis qu’il nous faudra apprendre à définir, à comprendre, à observer, à tenter misérablement de mesurer alors qu’elle dépasse par son essence notre misère actuelle de capacité de mesure.

Nous constatons une fois de plus que les commentaires courants des événements en cours, même lorsqu’ils se situent dans un sens contestataire de l’ordre établi de la bienpensance, sont très largement dépassés par la puissance et le sens d’événements hors du contrôle humain ; ces “événements” que nous jugeons chargés d’une puissance et d’un caractère de “souveraineté spirituelle” dont les piètres outils pédagogiques de la modernité, effectivement piètres par volonté de subversion autant que capacité disponible des esprits, ne nous permettent en aucune façon d’en faire l’hypothèse. Il ne nous reste qu’à passer outre ces misérables consignes de la bienpensance de bénitier.

dedefensa.org

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Rester hors des eaux troubles

De nombreux pays du Sud en développement prennent leurs distances avec les acteurs de la guerre en Ukraine, profitant du débat sur le conflit pour souligner leur indépendance et ouvrir la voie à une sorte de nouveau non-alignement de fait par rapport aux grands axes de la guerre des puissances mondiales.

Les réunions et les votes sur le conflit aux Nations Unies et dans d'autres forums, la recherche de soutien ou de neutralité et les négociations pour amortir l'impact de la crise économique accentuée par la guerre sont les espaces où se déroule le processus de nouvel alignement, selon analystes consultés par IPS.

Une fois que les forces russes ont commencé leur invasion de l'Ukraine le 24 février, les Etats-Unis « ont activé et consolidé l'alliance transatlantique avec l'Europe pour affronter Moscou, et ont cherché à attirer des alliés en Asie, mais la situation y est plus compliquée », a déclaré l'expert argentin en négociation et géopolitique, Andrés Serbin, s'exprimant depuis Buenos Aires.

Serbin, auteur d'ouvrages tels que ‘l'Eurasie et l'Amérique latine dans un monde multipolaire’ et président de la coordination universitaire régionale de la recherche économique et sociale, estime que de nombreux pays asiatiques ne veulent aucun alignement qui compromettrait leur relation avec la puissance de ce continent, la Chine.

La rivalité entre les États-Unis et la Chine – partenaire commercial et investisseur grandissant dans de nombreux pays en développement – ​​alimente la distanciation des pays dits du Sud face au conflit en Ukraine, une priorité pour tout l'Occident.

Doris Ramirez, professeur de relations internationales à l’Université Javeriana  en Colombie, soutient que « désormais, les pays sont mieux préparés à prendre position et à voter dans les forums internationaux en fonction de leurs intérêts et non en fonction d'alignements idéologiques ».

« Les cas emblématiques sont l'Inde, qui ne va pas rompre ses excellentes relations avec la Russie, son fournisseur d'armes depuis des décennies, ou l'Arabie saoudite, désormais plus intéressée par ses relations avec la Chine alors que les États-Unis se retirent du Moyen-Orient », estime Ramirez, depuis Bogota où il travaille.

La lutte entre des nations idéologiquement alignées, – avec les États-Unis ou l'ex-Union soviétique, – a conduit en 1961 à la création du Mouvement des non-alignés (NAM), qui cherchait à rester à égale distance des blocs dominants tout en promouvant la décolonisation et la intérêts économiques du Sud.

Ses promoteurs étaient d'éminents dirigeants de ce qu'on appelait alors le tiers monde : Jawaharlal Nehru d'Inde, Sukarno d'Indonésie, Gamal Abdel Nasser d'Égypte, Josip Broz Tito de Yougoslavie et Kwame Nkrumah du Ghana.

Au fil des ans, le Mouvement des pays non alignés est passé à 120 membres, dont beaucoup étaient clairement alignés sur l'un des blocs. Bien qu'il existe toujours formellement, sa présence et sa pertinence ont diminué non seulement avec la disparition de ses dirigeants, mais aussi lorsque le bloc socialiste a cessé d'exister en tant que tel après la chute du mur de Berlin en 1989 et l'effondrement de l'Union soviétique.

L'invasion de l'Ukraine a été rapidement abordée par l'Assemblée générale de l'ONU, composée de 193 membres, qui a débattu et approuvé le 2 mars une résolution condamnant l'invasion par les forces russes et exigeant un retrait immédiat des troupes, réitérant  le principe du respect de la souveraineté et du territoire. l'intégrité de tous les pays.

Après 117 discours, le vote – pour, contre, abstentions et absences – reflété sur le panneau d'affichage au siège de l'ONU, est devenu un premier instantané du “Néo-Non-Alignement” – la décision de nombreux pays du Sud de ne pas souscrire au positions de Moscou ou de ses rivaux occidentaux, menés par les États-Unis et l'Union européenne.

La résolution a recueilli 141 voix pour, cinq contre (Biélorussie, Corée du Nord, Érythrée, Russie et Syrie), 35 abstentions et 12 absences.

« Il est difficile pour un pays de soutenir une invasion, il n'est pas possible de trouver au sein de l'ONU ou du droit international une formule pour la justifier », a déclaré l'ancien ambassadeur vénézuélien Oscar Hernández Bernalette, qui a été professeur à l'Université du Caire, en Égypte et à l’Université centrale du Venezuela.

Dès lors, poursuit-il, « pour ne pas rester dans l’orbite de Moscou ou de Bruxelles ou de Washington, s'abstenir de voter est une manière de faire preuve de neutralité ».

Sur les 35 pays qui se sont abstenus, 25 étaient d'Afrique, quatre d'Amérique latine (Bolivie, Cuba, El Salvador et Nicaragua ; le Venezuela n'a pas pu voter en raison de cotisations impayées) et 14 d'Asie, y compris des pays ayant une forte présence mondiale comme la Chine, l'Inde, le Pakistan et l'Iran, et les anciennes républiques soviétiques ou socialistes telles que le Laos, la Mongolie et le Vietnam.

Une deuxième résolution a été discutée et approuvée à l'Assemblée le 24 mars, pour exiger que la Russie, pour des raisons humanitaires compte tenu des pertes en vies civiles et de la destruction des infrastructures, cesse les hostilités.

Le vote a été pratiquement le même, avec 140 voix pour, les mêmes cinq voix contre et 38 abstentions, qui cette fois comprenaient également Brunei, la Guinée-Bissau et l'Ouzbékistan.

Une troisième confrontation a eu lieu le 7 avril, pour décider de la suspension de la Russie du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, composé de 47 États choisis par l'Assemblée générale, qui se réunit plusieurs fois par an à Genève.

Les détracteurs de Moscou recueillent alors 93 voix à l'Assemblée, mais 24 voix contre et 58 abstentions, preuve d'indépendance et critique du tissu d'alliances et d'institutions qui guident les relations internationales.

Cette fois, des pays qui se sont précédemment abstenus, tels les voisins de la Russie en Asie centrale, l'Algérie, la Bolivie, la Chine, Cuba et l'Iran, ont voté contre la proposition, et nombre de ceux qui avaient soutenu les précédentes résolutions, comme la Barbade, le Brésil, le Koweït, le Mexique , le Nigéria, l'Arabie saoudite, le Sénégal, la Thaïlande et les Émirats Arabes Unis, se sont abstenus.

Regrouper, mais autrement

Les forums et négociations bilatéraux et de groupe s'engagent sur de nouvelles voies à mesure que le conflit en Ukraine s'éternise, avec de nouvelles propositions d'ententes et d'alliances, mais aussi de nouvelles craintes.

L'impact de la guerre sur les marchés de l'énergie – ainsi que sur l'alimentation et la finance – a été immédiat et a ouvert la voie à de nouveaux réalignements. Ainsi, les États-Unis, alors qu'ils regardaient le prix du carburant augmenter dans leurs stations-service, sont allés à la recherche de plus d'approvisionnement en pétrole, du Moyen-Orient au Venezuela.

Washington a tenu deux sommets importants ces dernières semaines : un à Jakarta, avec 10 membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) intéressés à pérenniser leur relation avec les États-Unis tout en maintenant les liens tissés avec la Chine, et un autre à Los Angeles : le neuvième Sommet des Amériques.

Cette réunion triennale a été l'occasion pour les gouvernements de cet hémisphère de démontrer leur position indépendante et de s'abstenir de s'aligner automatiquement sur Washington. Outre les trois pays non invités (Cuba, Nicaragua et Venezuela), les chefs d'État de sept autres pays ont décidé de ne pas y assister, pour protester contre l'exclusion de leurs voisins.

Ce camouflet a marqué le sommet, au cours duquel Washington a à peine réussi à bricoler un accord sur la migration, les autres questions étant reléguées au second plan, tandis que les pays d'Amérique latine, toujours en manque de front uni, continuent de développer leurs relations avec des rivaux tels que la Russie et Chine.

Dans les Caraïbes, en Asie et surtout en Afrique, l'ancienne relation entre les anciennes puissances coloniales comme la France et le Royaume-Uni – qui affrontent Moscou en tant que partenaires de l'alliance atlantique – et leurs anciennes colonies s'estompe également.

« Le monde ne fonctionne plus de cette façon », a déclaré Hernandez Bernalette. « Pour de nombreux pays africains ou asiatiques, la relation avec de nouveaux acteurs économiques comme la Chine est beaucoup plus importante, en plus des liens, y compris militaires, avec la Russie. »

Cependant, les pièces détachées de l'échafaudage international suscitent également des craintes et des problèmes qui affectent gravement le Sud en développement, comme la possibilité d'une escalade du conflit entre la Chine et Taiwan, ou les pénuries de céréales résultant de la guerre en Ukraine et affectant pauvres importateurs en Afrique et en Asie.

Serbin a déclaré que pour les pays du Sud, et en particulier pour ceux d'Amérique latine, le conflit « offre des opportunités, pour le placement d'exportations énergétiques ou alimentaires par exemple, à condition que les accords et les équilibres nécessaires avec les puissances rivales soient maintenus ».

« Mais si la confrontation s'intensifie et s'étend au-delà de l'Europe, il sera difficile de rester non aligné. Nos pays devront alors apprendre à naviguer en eaux troubles », a-t-il conclu.

Humberto Márquez

• Humberto Márquez est à l’International Press Service (IPS) depuis 1999. Il a travaillé pendant 15 ans à l’AFP, dont 10 comme rédacteur en chef à Caracas, couvrant le Venezuela, les Caraïbes et les Guyanes. Il a également travaillé pendant plus de cinq ans dans la section internationale du journal de Caracas ‘El Nacional’.