Des “special relationships” de plus en plus lourdes

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Un rapport de la commission des affaires étrangères des Communes porte un regard plus que critique, – et nous dirions même lugubre, – sur les “relations spéciales” entre les USA et le Royaume-Uni. Sa recommandation symbolique est de ne plus utiliser ce terme (“special relationships”) tant il paraît désormais vide de sens. Bien qu’il reconnaisse que subsistent dans les relations USA-UK des domaines de très proche coopération d’un grand intérêt, le rapport se montre par contre très critique pour d’autres, comme ceux qui ont été établis avec la CIA pour le traitement “spécial” de certains prisonniers ou l’utilisation de la base de Diego-Suarez par cette même CIA. Le rapport est également très critique de la coopération, notamment sur l’Irak, établie entre Blair et Bush.

Extraits de l’article du Sunday Times du 28 mars 2010 sur le sujet.

«Britain’s special relationship with the US — forged by Winston Churchill and Franklin Roosevelt in the second world war — no longer exists, says a committee of influential MPs. Instead, America’s relationship with Britain is no more special than with its other main allies, according to a report by the Commons foreign affairs committee published today.

»The report also warns that the perception of the UK after the Iraq war as America’s “subservient poodle” has been highly damaging to Britain’s reputation and interests around the world. The MPs conclude that British prime ministers have to learn to be less deferential to US presidents and be “willing to say no” to America.

»The report, entitled Global Security: UK-US Relations, says Britain’s relationship with America is “extremely close and valuable” in a number of areas, particularly intelligence co-operation. However, it adds that the use of the phrase special relationship, in its historical sense, “is potentially misleading and we recommend that its use should be avoided”. It does not reflect the “ever-evolving” relationship between the two countries and raises unrealistic expectations, the MPs say. “Over the longer term, the UK is unlikely to be able to influence the US to the extent it has in the past,” the committee adds.

Notre commentaire

@PAYANT Barack Obama est passé par là… Les effets des quinze premiers mois de la présidence BHO sur les “relations spéciales” sont dévastateurs. Jamais les Britanniques n’ont ressenti avec autant de force l’indifférence, pour ne pas dire une certaine hostilité, d’une administration US pour le Royaume-Uni. Les rebuffades, les tensions, dont l’affaire des Malouines est l’exemple le plus vif, n’ont pas manqué. S’ajoute le soupçon d’une vindicte personnelle d’Obama contre le Royaume-Uni, en raison du traitement infligé par les Britanniques à son père, un militant kenyan pour l’indépendance, lors des événements menant à l’indépendance du Kenya dans les années 1950.

Le rapport cité est le premier document officiel de cette importance à proclamer la mort des “relations spéciales”. La commission des affaires étrangères des Communes a du poids. Son avis représente une position pas loin d’être officielle, et, dans tous les cas, assez proche du sentiment général du Foreign Office.

Il apparaît aujourd’hui très probable qu’une évolution en profondeur est effectivement en train de se faire chez les Britanniques, depuis le départ de Tony Blair, concernant les relations avec les USA. Cette évolution va sanctionner une désaffection sensible dans les politiques, surtout avec l’administration Obama, à un point où il apparaîtra que l’épisode Blair-Bush avec l’Irak aura plutôt été une exception dans l’évolution des relations entre les USA et le Royaume-Uni depuis la fin de la Guerre froide, qu’une norme durable comme l’aurait voulu Tony Blair. En fait, l’évolution actuelle reprend l’évolution commencée entre 1991 et 2001, puisque jusqu’au 11 septembre la politique britannique, même avec Blair, enregistrait une certaine prise de distance des USA (traité de Saint-Malo avec la France en décembre 1998). Mais aujourd’hui, à cause des conditions générales de crise, l’évolution devrait aller beaucoup plus loin, notamment parce que les Britanniques n’ont plus les moyens de tenter de garder des liens solides avec les USA tout en se rapprochant de certains pays européens, surtout avec la France au niveau de la sécurité.

La crise, autant que les conditions générales de chaos grandissant, compromettent tous les projets à tendance hégémoniste du monde anglo-saxon qui sous-tendaient manifestement le projet “blairiste”, appuyé sur des conceptions “néo-impérialistes” (ou “néo-impériales”) colorées d’interventionnisme humanitaire. Elle tend à conduire les uns et les autres vers un rapprochement des réalités stratégiques et géographiques. Il apparaît évident que cette évolution d’éloignement des USA, qui sera surtout marquée au niveau de la sécurité, sera compensée par la recherche d’un rapprochement avec la France (beaucoup plus que la recherche d’un renforcement d’une hypothétique politique de défense et de sécurité européenne en tant que telle).

Paradoxalement, cette question des “special relationships”, qui fut un des monstres du Loch Ness de la politique occidentale pendant des décennies, et notamment de la politique européenne, apparaît beaucoup moins importante aujourd’hui, alors que ces relations sont en voie de s’amoindrir peut-être décisivement, sinon de se dissoudre. Il y a à la fois une homogénéisation des relations internationales due à la globalisation, et un repli des conceptions sur la dimension nationale du à la crise. Le résultat est que telle alliance “spéciale” ou telle rupture d’une alliance “spéciale” a beaucoup moins d’effets généraux qu’elle n’en aurait eu il y a vingt ou trente ans. D’autre part, le cadre européen est lui-même brisé pour ce qui est de ses ambitions unitaires, brisé dans la cacophonie, le désordre, le déséquilibre, et les ruptures complètes de solidarité dues à la crise. Enfin, la crise, toujours elle, en ce qu’elle est la crise du “modèle anglo-saxon”, rend beaucoup moins rigides les conditions des alliances et des rapprochements. Le Royaume-Uni et la France peuvent plus aisément se rapprocher, hors du diktat triomphant du modèle anglo-saxon; et le Royaume-Uni peut d’autant mieux envisager de prendre ses distances des USA, pour les mêmes raisons.

Néanmoins, si cette tendance britannique a moins d’importance qu’elle n’en aurait eu il y a 20 ou 30 ans, elle pourrait déboucher sur certaines décisions spectaculaires, certainement après les élections générales britanniques du mois de mai. C’est certainement là qu’on devrait voir se concrétiser, si c’est le cas, cette rupture du cadre rigide des “special relationships”. Des décisions au niveau des armements et des propositions de coopération en matière de sécurité seront sans aucun doute envisagées d’ici la fin de l’année. A ce moment, on pourrait atteindre le seuil d’une évolution inconnue. Il est possible que ces intentions et ces décisions accélèrent brusquement, par leurs propres dynamiques pourrait-on dire, le processus de distanciement UK-USA en un processus qui ressemblerait à une quasi rupture des “special relationships”. Du coup, on pourrait se retrouver confrontés à une situation vraiment nouvelle: si cette dynamique se nourrit d’elle-même et dépasse le contrôle de ceux qui dirigent ce mouvement, l’événement devenu sans réelle importance redeviendrait important en introduisant des éléments tout à fait nouveaux en Europe.

La question intéressante à se poser, dans ce cadre où les événements acquerraient leur propre dynamique, est de savoir si la crise en général, autant que les conditions de désordre, ont eu suffisamment de force pour modifier la mentalité britannique et lui faire envisager des axes d’alliance ou de coopération complètement nouveaux. On pense notamment à un “axe” Londres-Paris (selon le point de vue anglais) se prolongeant vers l’Est, et, à notre sens, plus vers Moscou que vers Berlin…


Mis en ligne le 29 mars 2010 à 07H09