Des troupes russes en Syrie ? Oui, certes… Euh, certes non

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Des troupes russes en Syrie ? «Une bombe», commentait une source à l’ONU, à l’annonce de la nouvelle. Celle-le ci était détaillée de cette façon sur Antiwar.com, le 19 mars 2012, sous le titre «Russian Anti-Terror Troops Deploy in Syria», à partir de sources US (FoxNews le 19 mars 2012, ABCNews le 19 mars 2012), qui reprenaient des sources russes, comme le précise le texte d’Antiwar.com

«A unit for Russian anti-terror troops has been deployed inside Syria, according to Russia’s Interfax news agency, a move which UN sources termed a “bomb” with the potential of serious ramifications on the ongoing civil war. The nature of the revelation and the scant details are somewhat curious. The troops were apparently on the Iman, which has been docked in Tartus for 10 days, and the report was headline news on the state-run RIA Novosti, but only in the Arabic-language version. Russian Defense Minister Anatoly Serdyukov has denied claims that Russian troops were operating on the ground in Syria, though he did confirm “advisers” were on the ground. The nature and size of the current deployment is not readily apparent.»

Le démenti quelques heures plus tard (la différence de date étant explicable par le décalage horaire), notamment par l’intermédiaire de Russia Today, le 20 mars 2012. La qualification de l’affaire est venue de Lavrov lui-même, comme étant des “fairytales” (au choix, selon l’état de fatigue où l’on se trouve : “contes de fée”, “histoires à dormir debout »).

«Foreign Minister Sergey Lavrov has rejected reports claiming that Russian warships visited Syrian ports. Lavrov said that such "fairytales" are aimed at disrupting the mission of UN-Arab League Special Envoy Kofi Annan. He also added that a Russian tanker had recently entered Tartus, Syria’s port city on the Mediterranean Sea, as part of an international anti-piracy mission. “The Defense Ministry has officially announced that a Russian tanker is currently visiting Tartus to supply fuel to Russian Black Sea and Northern Fleet ships that are working in the Gulf of Aden as part of counter-piracy measures, which also involve ships of the EU and NATO countries,” he said.

»According to a statement released by the Russian Defense Ministry: There are no Russian combat ships on missions off Syrian shores. The Iman auxiliary vessel (tanker) has been in the port of Tartus for the last 10 days with the task of providing supplies to the ships of the Black Sea Fleet and the North Sea Fleet that are currently protecting the navigation through the Bay of Aden. The crew of the Iman is manned by civilians with a security formation joined with them.

»Lavrov stressed that the tanker is capable of defending itself in the event of an attack by sea pirates. “Like any other civilian support vessel taking part in the counter-piracy operation, this tanker is carrying security units that will not allow pirates to seize this tanker or any other civilian vessel in the Gulf of Aden in the event of an attack,” he said. The Russian minister was responding to inaccurate Western media reports that a Russian military unit – with an anti-terror squad from the Russian Marines aboard – had pulled into harbor in Syria.»

Soit… Tout cela est de l’info-bidon, puisque les Russes tout ce qu’il y a de plus officiels le disent, mais dans un monde où, nous le savons bien, plus aucune référence soi-disant “objective” n’existe et où toute information est susceptible d’être une “info-bidon”, – ou, éventuellement, de ne pas l’être… (Dans ce dernier cas, après tout, puisqu’il semble, – mais qui peut être sûr de quoi que ce soit, n’est-ce pas, – que les informations initiales venaient de sources d’information russes, – Novosti et Interfax, mais uniquement, chose étrange là aussi, en arabe…) Qui pourra dire, avec certitude, le fin mot de cette histoire qui n’a pas tenu vingt-quatre heures et qui n’a pas fait la “une” des grands quotidiens d’information, occupés à des choses infiniment plus importantes.

Le point essentiel n’est pas, ici, de savoir d’où est venue précisément cette “information”, s’il s’agissait d’une erreur, d’une tentative de désinformation, d’une manœuvre de communication, d’une possibilité prise pour un acte réalisé et ainsi de suite. Sur ce cas-là, nous nous réfugions complètement dans la doctrine de l’inconnaissance qui est de ne pas faire dépendre le commentaire général de la connaissance d’un processus quasiment “inconnaissable” tant il est parcouru de manœuvres, d’intentions, d’intérêts, tout cela contradictoire et antagoniste. A ce point, aucun intérêt pour nous de débrouiller l’écheveau, ce qui nous importe est le résultat net par rapport au Système.

…Le point essentiel, après tout, est que la chose fut, pendant quelques heures, suffisamment crédible pour que des sources onusiennes s’exclamassent qu’il s’agissait d’une “bombe” ; ce qui n’est pas la même chose qu’une réaction consistant à dire : “c’est incroyable“ ou encore “ce n’est pas crédible”, ou encore “je n’y croirais que lorsque cela sera confirmé”, etc. Le fait est que les premiers commentaires, venus de sources ou chroniqueurs aussi différents d’opinion et de tendance que ABCNews, FoxNews, Antiwar.com, une source à l’ONU, ont été de prendre l’information pour du comptant, se bornant à relever telle ou telle étrangeté. Cela signifie que cette sorte d’information (troupes de combat russes en Syrie) est a priori perçue comme complètement acceptable et absolument possible. Cela signifie que l’attitude russe est de plus en plus perçue comme suffisamment dure pour qu’une telle décision soit prise, et c’est à cette lumière que certains interpréteront un échange entre Lavrov et des députés d’une commission de la Douma, la semaine dernière ; les députés interrogeant Lavrov sur les possibilités d’un engagement entre troupes US et troupes russes en Syrie, et Lavrov répondant froidement, à la-Lavrov, que ce n’est pas le but de la Russie, parce que ce n’est pas dans l’intérêt de la Russie, – pour l'instant, ajouterait-on ? Quoiqu'il en soit, là aussi, la possibilité nettement admise.

Dans RIA Novosti, le 20 mars 2012, sans perdre de temps, Konstantin Bogdanov essaie de débrouiller l’écheveau de cette affaire qui est un pur engagement de la “guerre nouvelle” de la communication. Il estime que c’est une manœuvre arabo-occidentale pour “isoler la Russie” en faisant passer ce pays pour un fauteur de guerre pro-syrien…

«Cependant, l’ambivalence du déploiement du groupe militaire américain autour de la péninsule arabique ne permet pas de déterminer clairement quelle sera sa cible. Cela pourrait être la Syrie, ce qui est même plus probable étant donné la situation internationale actuelle autour de Damas. Dans ce sens, l’histoire du pétrolier russe Iman tombe à pic. La position intransigeante de la Russie et de la Chine concernant la Syrie rencontre la résistance des pays occidentaux et des monarchies du Golfe.

»Il y a deux choses à noter dans la présence du pétrolier russe à Tartous. La Russie montre qu’elle ne s’est pas retirée de la région et n’a pas l’intention de partir, et ses adversaires font tout leur possible pour isoler Moscou en lui octroyant presque le rôle d’intervenant en faveur du régime de Bachar al-Assad. Ce n’est pas le premier cas de ce genre, et certainement pas le dernier: en Syrie, la partie d'échecs continue.»

Que Bogdanov ait raison ou pas dans son “décryptage”, comme l’on dit de cette affaire, qu’il se rassure bien vite… Faire passer la Russie pour “un fauteur de guerre” en croyant l’isoler est une intention absurde et qui n’aura pas la moindre efficacité. Nous ne sommes plus au temps où le fait de manifester des intentions belliqueuses était l’objet de l’opprobre générale, quoiqu’en écrive la presse-Système qui n’existe plus que pour débiter des sornettes virtualistes qui n’intéressent plus grand’monde et qui ne sont plus prise au sérieux par personne. Dans cette affaire, et même si la version Bogdanov d’un “complot arabo-occidental” est vraie, cela aura prouvé au moins deux choses : 1) que la Russie est perçue comme un pays dur en l’occurrence, qu’elle ne cédera sur rien, qu’elle est prête à aller aux extrémités guerrières, – et cela lui attirera, vue sa puissance, bien plus de respect et de considération de tout le monde, y compris du bloc BAO et du ministre Juppé, que de l’isolement ; 2) que si, effectivement, les arabo-occidentalistes ont mené cette manœuvre de désinformation, c’est qu’ils sont encore plus inconscients d’eux-mêmes et de la réalité du monde qu’on ne croyait, parce qu’ainsi ils arriveraient à se faire peur à eux-mêmes, en finissant par croire que la Russie est effectivement un peu trop sérieuse pour qu’on puisse continuer à envisager de faire n’importe quoi et à sa guise dans la région, au risque de plus en plus effrayant de provoquer le déploiement de véritables troupes russes en Syrie ou ailleurs dans la susdite région. Bogdanov a raison, la Syrie et le Moyen-Orient sont une vaste partie d’échecs ; eh bien, les Russes n’ont aucun intérêt à s’y faire prendre pour des joueurs timorés, alors que les échecs sont une spécialité presque spirituelle dans leur tradition.


Mis en ligne le 21 mars 2012 à 13H48