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4919• Un journaliste russe d’un “média d’État” (vous comprenez quoi en penser) fait un portrait sur le vif de l’atmosphère d’intense vérité régnant à l’Ouest à propos de la Russie. • Notre guide : Fukuyama. • Contributions : dde.org & Petr Akopov.
L’analyste Michael Brenner nous confiait récemment qu’il avait décidé de cesser de rédiger et de distribuer régulièrement, à destination d’une liste assez conséquente de lecteurs réguliers qu’il connaissait souvent personnellement, une analyse complète de la situation générale crépusculaire de ce temps des ténèbres de l’esprit. Il a jugé cet effort devenu inutile, ayant constaté chez nombre de ses interlocuteurs les ravages de la communication du simulacre qui nous sert de cadre de vue politique et économique. C’était, expliqua-t-il, comme vouloir percer une barrière spatiale et temporelle inviolable pour tenter de pénétrer dans un autre monde...
« ...En fait, j’ai découvert que [règne] un nihilisme intellectuel et politique. Alors, on ne peut apporter aucune contribution pour essayer de corriger cela simplement par des moyens conventionnels. J'ai donc senti pour la première fois que je ne faisais pas partie de ce monde, et bien sûr, c’est aussi la conséquences de ces tendances et de ces attitudes qui sont devenues omniprésentes dans le pays dans son ensemble, en quelque sorte au fil du temps. Et donc au-delà d'être simplement en désaccord avec le consensus, j'étais devenu totalement aliéné, exclu, et j’ai décidé qu'il n'y avait aucun intérêt à continuer à distribuer ces choses, même si je continue à suivre les événements, à y penser et à envoyer des commentaires plus courts à des amis proches. »
On voit à qui l’on a à faire. Par bonheur, Brenner ne pose pas complètement la plume et il nous revient régulièrement pour quelques nouvelles réflexions sur les ténèbres crépusculaires, baignés d’une lumière complètement noire et vide, qu’une immense complicité inconsciente dans le chef d’élites entraînées dans le vide de la zombification nous impose. Il le fait notamment avec ses amis de ‘ConsortiumNews’ (CN), site historique de la résistance à la folie américaniste, et l’une des cibles privilégiées de la censure-Système. Dans un article de lui d’hier, sur CN bien sûr, il revient sur les zombies-vides qui nous gouvernent... Quelques mots, comme ça, que nous reprenons pour fixer l’ambiance, sous le titre d’une ironie nostalgique et méprisante (nous parlons pour ceux qui ont connu les années 1970) du « Dernier tango à Washington »...
Il parle certes de la narrative colossale servie pour les noces d’Ukrisis ! Énorme pièce montée dégoulinant la chantilly à la moraline, gavée de profiteroles au goût savoureux, elles-mêmes bourrées de mensonges caramélisés de toutes les couleurs, de toutes les saveurs, des mensonges, encore des mensonges, toujours des mensonges, – à qui s’en gavera le mieux, de telles profiteroles pour notre fête démocratique ! L’appétit est devenu un ogre qui vous dévore la liberté de l’esprit.
« L'Occident a habité un monde fantaisiste qui ne pouvait exister que dans notre imagination. Beaucoup restent bloqués dans ce mirage illusoire. Plus nous avons investi dans ce monde imaginaire, plus il nous est difficile d'en sortir et de faire l'ajustement - intellectuel, émotionnel, comportemental. [...]
» ... Les personnes qui comptent à la tête des gouvernements ne sont pas de pures machines à penser. Loin de là. Ce sont trop souvent des personnes d'une intelligence étroite, d'une expérience limitée dans les jeux à enjeux élevés de la politique du pouvoir, qui naviguent selon des données cognitives simplistes, obsolètes et absolument bienpensantes du monde. Leurs perspectives sont une sorte de patchwork de débris d’idéologie, de rogatons d’émotion viscérale, de résidus de précédents mémorisés mais inappropriés, de chicots de données d’opinion publique remâchées, de suçons de bric et de broc récupérés d’articles d'opinion du New York ‘Times’... »
On pourrait donc définir nos dirigeants, nos “vides-zombies”, – doublement zombies, si l’on veut, – comme des clochards qui font les poubelles de tous les excréments fabriqués par la communication au service du Système pour que la citadelle de la narrative, construite sans le moindre souci de la forme, de l’équilibre, de l’harmonie et de l’ordre, permette de composer un propos si mensonger et d’une si extraordinaire platitude, qu’il arrive parfois qu’on juge trop épuisant d’ennui, et trop vide enfin pour qu’on puisse vraiment le critiquer, le discuter, le défier, le démentir. (Ce fut le cas de Brenner, mais on voit qu’il s’est repris car l’on n’abandonne jamais une fois que l’on a regardé le “vide-zombie” au fond de ses yeux vides.)
C’est à ce carburant-là que fonctionne le bloc-BAO, depuis quelques années d’une façon si flagrante et si visible qu’on en devient honteux pour lui, et qu’il est effectivement si difficile de le réfuter qu’il arrive qu’on en baisse les bras, momentanément, le temps d’un trébuchement. (“Ce fut le cas de Brenner, mais on voit...”) C’est donc une immense bataille, non pas entre deux adversaires de même taille, de forces équivalentes, pleins d’acharnement l’un contre l’autre mais aussi d’un certain respect, comme l’on pouvait en avoir entre chevaliers ; mais une bataille immense contre un monde qui est un marigot gluant, collant, qui vous agrippe comme de la colle mêlée de boue et de merde, dans les mensonges de sa mollesse extrême de l’esprit, qui peut prendre les meilleurs, même pour un instant, qui vous fait douter de vous-même, avant de repartir car décidément c’est insupportable de laisser prospérer cette engeance de mauvaises herbes pleines du poison ultime !
Alors, voici de quoi vous remonter ! Pensez, cela vient d’un Russe, – donc, n’oubliez pas d’aller vomir avant de lire le texte. Il s’agit de Petr Akopov de RIA Novosti (“média d’État”), repris par RT.com (“média d’État”). Nous nous payons donc Francis Fukuyama, prestigieux philosophe de l’histoire future (« The End of History ») reclassé en propagandiste de sous-sol, richement doté et justement informé, devenu portier et parfait petit portefaix des dernières nouvelles en provenance du Système.
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Un débat surprenant a lieu en Occident : on discute de l'appel du président français Emmanuel Macron à ne pas humilier la Russie.
Le point ici n'est pas que la question en elle-même est ridicule, – de manière générale, l’Occident ne peut actuellement pas humilier notre pays. Parce que vous ne pouvez humilier que quelqu’un qui dépend de vous (et avec qui vous avez, sinon des valeurs communes, du moins un système harmonisé), mais rien de tel ne peut être dit des relations entre la Russie et ces pays aujourd'hui.
Non, les réactions à l'égard de Macron, – et Hillary Clinton a été la plus récente à soulever une objection, en disant que cette étape est déjà passée, – sont révélatrices du fait que les personnes qui s'opposent à lui vivent dans un univers parallèle. Ils ne sont même pas confrontés à la question de savoir s'il est possible pour la Russie de gagner, car ils sont sûrs qu’elle va perdre, ou même qu’elle a déjà perdu, et ils ne se soucient que de savoir dans quelle mesure elle a été vaincue, et combien il faut lui faire mal.
Les hommes politiques ne sont pas les seuls à en parler, il y a aussi des leaders d'opinion comme le philosophe américain Francis Fukuyama. Sa dernière interview accordée au journal allemand Die Welt est un exemple de l'accumulation de ces déclarations.
Il s'est rendu célèbre en 1989 pour avoir prophétisé “la fin de l'histoire” et l’avènement d’une ère de la marche triomphale de la démocratie libérale (c'est-à-dire littéralement toutes les nations du monde s’alignant sur l’Occident vers l’avenir radieux d’une humanité unie). Pour lui, il s’avère que faire des déclarations spéculatives et autodestructrices est une habitude. Et maintenant, Fukuyama, qui, soit dit en passant, est très apprécié à Kiev et a même été récemment engagé comme consultant par le Conseil national pour le redressement de l'Ukraine, coule à nouveau ses formulations politiques dans le marbre.
La première d’entre elles, cependant, il l’avait révélée en mars dernier, peu après le début de l’opération militaire russe. À l'époque, le professeur avait déclaré :
« Je pense que nous avons tous intérêt à soutenir [le combat de Kiev], car c'est l'ordre démocratique libéral au sens large qui est en jeu dans cette guerre. Ce n’est pas une guerre qui ne concerne que ce pays, l'Ukraine. Il s’agit en fait de la tentative de faire reculer toute l'expansion du domaine de la démocratie libérale qui a eu lieu après 1991 et l’effondrement de l’ancienne Union soviétique. »
Ainsi, il essaie maintenant de nous dire que le triomphe du libéralisme n'est pas un fait accompli. Le problème est que les Russes essaient simplement de défaire l’« inévitable », de remonter le temps et que l'Occident devrait se battre avec eux, gagner (par le biais de ses mandataires ukrainiens) et ensuite ramener l’humanité sur le droit chemin de l'histoire.
Début juin, Fukuyama était déjà convaincu que tout allait pour le mieux, que la Russie était pratiquement vaincue et qu'un nouvel ordre mondial était en train d’arriver (ou plutôt de revenir) :
« Oui. Ce nouvel ordre est en train de prendre forme. Il est le résultat de plusieurs années de lutte du camp démocratique occidental contre des régimes autoritaires, principalement contre la Russie et la Chine. Cette guerre est l’aboutissement de ce processus. La Russie court à sa perte. Elle a déjà subi une série de défaites sur le champ de bataille, et maintenant elle est sur le point d'être chassée du Donbass par l’armée ukrainienne. C'est un véritable désastre pour Poutine. Il s’avère qu'il n'est qu'un piètre dirigeant. Et pas seulement en tant que chef de guerre : C’est aussi une débâcle politique complète. »
Et de poursuivre [sans reprendre son souffle] :
« L'OTAN va certainement s’étendre en intégrant la Suède et la Finlande. Cela fait longtemps que l’Occident n'a pas été aussi uni. L’Allemagne a reconsidéré son Ostpolitik des 40 dernières années et fournit des armes lourdes à l’Ukraine. Les États-Unis ont réaffirmé leur rôle de leader dans le monde, perdu sous [l’ancien président Donald] Trump. L’Occident fournit une aide massive à l'Ukraine... La Russie aura beaucoup de mal à sortir de cet abîme dans lequel elle est tombée. Elle sera exclue de l’ordre mondial international comme la Corée du Nord. »
Si vous pensez que l'optimisme de Fukuyama est complètement déconnecté de la réalité, vous ne comprenez tout simplement pas sur quoi il se base. Et le professeur a une vision holistique du président russe :
« Poutine gouverne seul, sans aucune contrainte, de plus il est coupé des informations et des conseils d'experts. Il vit dans le monde de ses propres illusions. L'Ukraine en est un exemple. Tout ce dont il s'est convaincu à ce sujet est faux, mais il s'accroche fermement à ces illusions parce qu'il a créé une domination individuelle. En outre, il a clairement des problèmes mentaux. C'est une personne paranoïaque. Il n'écoute personne et se laisse guider par ses fantasmes. Cependant, il s'agit d'une menace courante dans tout pays autoritaire... »
Bien sûr, c’est exactement ce que nos propres “combattants anti-régime” russes, dont la plupart sont maintenant partis à l'étranger, disent depuis des années : Poutine est tout simplement un dictateur paranoïaque. Au cours de ses nombreux voyages à Kiev ces dernières années, Fukuyama a dû se faire répéter cela par ses amis ukrainiens et nos “émigrés politiques”.
Bien sûr, c’est exactement ce que nos propres “combattants anti-régime” russes, dont la plupart sont maintenant partis à l'étranger, disent depuis des années : Poutine est tout simplement un dictateur paranoïaque. Au cours de ses nombreux voyages à Kiev ces dernières années, Fukuyama a dû se faire répéter cela par ses amis ukrainiens et nos “émigrés politiques”.
Comment ne pas croire des personnes aussi bien informées, qui se contentent de partager les mêmes idées, lorsqu'elles parlent du “triomphe du libéralisme” ?
Le seul problème est qu'une telle “compréhension” n'a rien à voir avec la discipline de la science politique, – que Fukuyama, nous assure-t-on, représente. Croire que Poutine a “attaqué l'Ukraine” parce qu'il est “paranoïaque et coupé de l'information” n’est guère une approche très académique.
Peut-être Fukuyama préférerait-il quitter les tabloïds pour analyser l'histoire de la Russie, la situation de ses relations avec l'Occident, les processus géopolitiques modernes et les tendances en général. Après tout, ce genre de choses n'est pas à la portée d'un simple professeur de Stanford, qui préfère manifestement s'occuper de ragots plutôt que d'érudition.
Néanmoins, pourquoi devrions-nous nous intéresser à Fukuyama et à sa prochaine prophétie ? Il y a deux points d'intérêt ici.
Tout d'abord, nous assistons à la transformation d'un professeur - autrefois salué par l'Occident comme un oracle et un philosophe influent, – en un banal propagandiste qui, en outre, connaît mal la matière en jeu et n'a aucun sens du cours de l'histoire.
Malgré tout cela, – et c'est le deuxième point, – Fukuyama reste pour l'Occident une autorité et un penseur ayant des réponses à des questions importantes. Cela signifie que l'aveugle guide les aveugles.
C'est exactement la situation. George Soros, Fukuyama et d'autres gourous de la globalisation des années 1990 sont toujours recherchés, – pas tant par le public que par ceux qui définissent le discours, ceux qui façonnent l'agenda de l'Occident.
C'est à la fois un très mauvais et un très bon signe, d'un point de vue russe. Mauvais, parce que cela montre la faiblesse des niveaux d'expertise véritable et de poids intellectuel dont disposent les décideurs du monde atlantique.
La force, – et c'est une force énorme, – est toujours là, mais les niveaux d'intelligence sont au sous-sol de cette force. Dans une situation de conflit et de tension accrus, cette combinaison ne réduit pas, mais au contraire augmente les risques qu'un scénario de confrontation se transforme en un conflit ouvert.
Le bon signe, en revanche, est qu'une mauvaise compréhension de la Russie, des choses qui comptent vraiment pour nous et de nos objectifs stratégiques, – combinée à des élites qui parient sur notre défaite, – joue en notre défaveur dans son ensemble. Ainsi, les véritables “idiots utiles de Poutine” (comme l'Occident aime appeler les partisans d'un dialogue honnête avec la Russie) ne sont certainement pas l'ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder et l'ancien dirigeant italien Silvio Berlusconi, mais plutôt Soros et Fukuyama.
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