Désamour de base (suite)

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Désamour de base (suite)


13 juillet 2002 — Quel vote, n'est-ce pas, — 15-0 au Conseil de Sécurité. Et sur quel sujet : la CPI et la position US. Unanimité, soulagement, vote de compromis et puis, au contraire, lorsqu'on observe les choses à distance, — absence complète, totale, absurde de la moindre perspective. Le vote du 12 juillet est bien un signe et un résumé de notre temps historique. Il s'agit d'un balbutiement politique, entre une puissance écrasante qui ''terrorise'' (terrorisme soft) les autres et n'arrive pourtant à rien réaliser précisément de ses objectifs, principalement parce qu'elle ignore quels sont ses objectifs ; et les autres qui, à force de céder, n'ont plus rien à céder et en arrivent être obligés d'envisager de ne plus céder.

Peu nous importe le fond du compromis, l'impunité ad vitam eternam accordée au GI de base de l'U.S. Army ou cette impunité ramenée à un an (pour les USA et quelques autres qui jouent les figurants), et pas du tout tacitement renouvelable comme le voulait l'ambassadeur Negroponte avec ses gros sabots. Ce qui compte, c'est :

• pour quel(s) principe(s) la fameuse ''communauté internationale'' si chère aux journalistes progressistes de base s'est déchirée, USA versus ROW (y compris les Britanniques, et plus qu'à leur tour), et a fini par céder en assez bonne partie aux Américains ; et, également et paradoxalement, a fini par faire céder les Américains sur un de leurs engagements fondamentaux ;

• les positions des uns et des autres dans cette bataille sans issue sinon une issue qui ne fait que préparer d'autres querelles, avec la remarque d'ores et déjà intéressante par son caractère exemplaire de la situation, que deux des principaux adversaires des USA furent le Mexique et le Canada, — autant pour l'ALENA.

Pour les USA, un principe fondé non pas sur la protection du principe de la souveraineté mais sur l'affirmation implicite de son caractère d'exceptionnalité

Quel(s) principe(s) ? On a déjà dit combien, sur le fond, et si l'on s'en tient à la rhétorique de pure apparence, la position américaine est loin d'être absurde et absolument condamnable. Les USA se posent en défenseur de la souveraineté. Ce n'est pas une cause si mauvaise. C'est surtout une cause qui mérite d'autres défenseurs. Il suffit d'aller à peine plus loin dans l'argument US et d'observer le comportement international des USA pour être complètement édifiés : défenseurs de leur souveraineté et nullement du principe si l'on voit comment ils traitent ce principe en ignorant systématiquement la souveraineté des autres, en la considérant comme nulle et non avenue.

Non, ce que défendent les Américains, c'est leur exceptionnalité derrière l'hypocrisie de l'utilisation de l'argument de la souveraineté qui leur donne un vernis d'objectivité. Certains, parmi les plus exaltés, le disent sans ambages. On cite le cas de Victor Davis Hanson, un de ces historiens militaires et militaristes américains et anglo-saxons qui sont en train de réduire en bouillie l'histoire en tant que matière intellectuelle d'étude. Dans un texte très actuel, du 12 juillet, Hanson ne nous l'envoie pas dire. Lui, il parle droitement. Il dit simplement que le débat est inutile parce que les USA, par leur être même, par leur exceptionnalisme qui les fait différents du reste, qui les rend non-comptable des éventuelles lois humaines, les USA échappent au débat terrestre, — period. Donc, ce n'est pas un principe acceptable que défendent les USA, c'est leur caractéristique, affirmée ex abrupto, d'être d'une matière (est-ce bien le mot ?) différente de la matière terrestre habituelle. (Dans l'extrait ci-dessous, Hanson parle du débat de Kyoto autant que de celui de la CPI, entendant par là, justement, que l'argument US vaut contre toutes ces choses internationalistes et supranationales, lesquelles sont à mettre dans le même sac, et ainsi la messe est dite.) :

« The arguments for and against are old — and lead nowhere because they involve the brutal truth of American exceptionalism that we cannot openly expound for fear of being dubbed chauvinistic, imperialistic, unilateralist, haughty, or far worse.

» Yet the United States in some ways by its very Constitution and Bill of Rights is above such laws enacted by international councils; its vast military ensures that it is not one among equals, but possesses might far above the collective resources of both its enemies and friends. It is rare for lethal military to be coupled with humane government, but such is the case with the United States — and its unusual position in historical terms should be so acknowledged. »

Cette bataille a montré les très fortes tensions qui traversent la ''communauté internationale'' et les limites de l'abdication du reste du monde face aux exigences US

Il n'empêche, — du point de vue de la politique terrestre, des bêtes choses du monde, l'administration GW a reculé dans une querelle devenue une épreuve de force à son initiative et dont elle ne doutait pas qu'elle en sortirait à son avantage exclusif. Elle a du en rabattre de sa prétention d'une immunité éternelle par rapport cette peste qu'est pour elle la CPI. Elle a du accepter un arrangement provisoire. Cela lui posera beaucoup de problèmes chez elle, et l'on gage que Hanson et ses amis neo-conservatives seront prompts à dire tout le mal qu'ils pensent de cet accord de l'ONU, qui sera probablement attribué à l'influence quasi-maléfique de Powell. Nous attendrons très vite parler à nouveau de cette querelle de la CPI.

Une analyse du site WSWS de ce jour met bien en évidence comment et dans quelle mesure, importante sans aucun doute, les Américains ont cédé. Mais l'on comprend également que ceux qui les ont fait céder, the Rest Of the World (ROW), n'ont aucune raison de triompher. L'exemption, même temporaire, du principe de l'action de la CPI qui trouve son fondement dans le fait que personne ne peut échapper à l'empire de cette action, est une inacceptable dégradation de ce fondement pour ceux qui en soutiennent le principe. C'est ainsi, et tout le verbe des diplomates n'y peut rien : lorsqu'on met en jeu des principes, le compromis est impossible puisqu'un principe est une chose inaliénable. Le compromis de New York n'est qu'un armistice temporaire et, là aussi, l'on reparlera bien vite du problème.

La bataille de New York a permis de mesurer les tensions existantes désormais au sein de la ''communauté internationale'', entre les USA et ROW, particulièrement entre les USA et l'Europe, également dans le cas de situations particulières étonnantes comme celle déjà signalée plus haut, entre les USA et ses deux voisins du nord et du sud. Pour les pays qui soutiennent la CPI, c'est également un problème grave de voir attaquer le principe sur lequel ils ont choisi d'asseoir leur légitimité et leur action, la loi internationale.

« The partial retreat by the Bush administration came after it became painfully clear that virtually every government on the face of the earth opposed the US position. Not only the Europeans denounced Washington’s arrogant insistence that its policies are above the law, but also Canada and Mexico and Costa Rica, speaking on behalf of other Latin American states, condemned this position.

» Canada’s ambassador to the UN Security Council Paul Heinbecker called for a public session of the Security Council in which representatives of nearly 40 countries chastised Washington.

» Heinbecker himself lashed out at the US proposal to permanently exempt US personnel from the court’s jurisdiction, declaring that Washington’s “proposed resolution perversely implies that in upholding the most basic norms of humanity, the ICC is somehow a threat to international peace and security.” The Canadian ambassador continued by implicitly drawing a rather unflattering comparison between Bush’s position and those of some infamous former heads of state. “We have just emerged from a century that saw the works of Hitler, Stalin, Pol Pot, Idi Amin and Slobodan Milosevic, and the Holocaust and the Rwandan genocide,” he said. “Surely, we have all learned the lessons of this bloodiest of centuries, which is that impunity from prosecution for grievous crimes must end.” »

De cette bataille de New York, on tirera des conclusions plus générales, voire des prévisions.

• Les plus mal à l'aise dans la bataille ont été les Britanniques, très partisans de la Cour et pourtant soumis, selon tous les témoignages, à des pressions terribles de la part des Américains. Les Britanniques poursuivent leur calvaire de tenter de continuer à exister en tant que tels tout en maintenant des special relationships impossibles avec Washington. La base parlementaire du parti travailliste, très ''humanitariste'' et qui tient beaucoup à la CPI, sort de cette affaire encore plus furieuse contre les Américains, encore plus braquée contre le pro-américanisme du Premier ministre. Le malaise des Britanniques sort renforcé de cette aventure.

• De façon plus générale et selon la même logique que l'évolution britannique, l'alignement systématique du reste du monde sur les divers diktat américains est en train d'atteindre ses limites. Il sera de plus en plus difficile de céder toujours plus aux Américains. L'arrangement de New York va alimenter plus qu'il ne les apaisera les diverses querelles en cours, dont celle entre l'Europe et les USA.

• Parmi les pays extérieurs, la France est, de plus en plus, le plus à l'aise malgré son absence de politique claire, simplement à cause des principes d'indépendance de sa politique. La France ne cède pas plus que les autres (d'autant qu'elle reste avec une position ambiguë sur la question de la souveraineté : il n'est pas certain qu'une atténuation de la pression du CPI contre la souveraineté du fait des exigences US soit un mal pour elle). Étant classée comme ''allié-critique'' insupportable et irrécupérable, la France est beaucoup moins l'objet de pressions des États-Unis. Elle se retrouve souvent, dans ces batailles, en leader naturel de l'opposition, sans se compromettre plus qu'à l'habitude.

• Pour GW, la reculade US de New York va rendre sa position intérieure encore plus difficile : par rapport à sa base extrémiste (neo-conservatives) élargie à d'autres tendances (ceux qui sont d'habitude contre la politique impérialiste et agressive des USA, sont hostiles aux organismes supranationaux) ; aussi bien, par rapport au Congrès, où il n'est pas sûr que le compromis de New York ne déclenche pas une opposition de la 25e heure, inattendue et dévastatrice.

• Le compromis a été passé également pour éviter la mise en pièce des missions de peace-keeping en cours, par retrait ou obstruction US. C'est un enseignement utile pour ceux qui se font l'avocat de systèmes de sécurité dégagés de l'emprise US, pour tenter d'éviter à l'avenir des missions de peace-keeping régionales dépendant des humeurs américaines, c'est-à-dire sans participation US.