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12 août 2002 — Lorsque Richard Perle prend la plume dans des journaux étrangers et se fait mielleux en même temps que dithyrambique pour louer Tony Blair, (... « who has shown extraordinary courage and leadership in defending Western values in the Balkans, in combating international terrorism and in the current confrontation with Saddam. »), — voilà doit nous mettre la puce à l'oreille. Ce n'est pas le style habituel de Perle, qui professe, à peine dissimulé, un solide mépris, à la fois sarcastique et terroriste, pour tout ce qui n'est pas américain (et israélien) et ne dégaine pas plus vite que son ombre, — du moins lorsqu'il parle business, c'est-à-dire politique (pour le reste, l'homme le plus charmant et le plus policé du monde, excellent faiseur de cuisine française et ainsi de suite ; ainsi est la nature humaine).
Perle a pris la plume et publié, le 9 août, dans le Telegraph. Ce texte doit être lu comme un bon exemple du désarroi d'un hawk, et, même, d'un ultra-hawk. Malgré ses manoeuvres courantes (voir l'affaire Murawiec), Perle n'est pas à l'aise. Il sent l'affaire, c'est-à-dire son plan d'attaque de l'Irak, suivi de l'Iran, ou/et de la Syrie, ou/et de l'Arabie, ou/et de tout ce qu'on veut, plutôt dans une phase dépressive. L'enlisement du projet, le peu de couleur de la plaidoirie assez morne quoique entêtée de GW pour la guerre, la formation soudain en pleine floraison d'une coalition nationale et internationale anti-guerre, — du républicain conservateur du Texas Dick Armey au chancelier SPD allemand Gerhardt Schröder, de l'archevêque de Canterbury au roi de Jordanie, — tout cela rend les affaires de plus en plus difficiles.
Ce texte de Perle dans le Telegraph est intéressant parce qu'il résume bien la position où est contraint cet inspirateur du War Party américain.
• Il parle de Saddam qui en est “réduit” à jeter « his last card: dividing America and Britain in the hope that the former will be unwilling to act alone to remove him from office » (allusion aux appels irakiens pour que les Britanniques jouent aux conciliateurs avec les USA). On comprend aussitôt que la parabole vaut pour Perle : tout son article est bien une de ses « last cards » puisqu'il vient, dans les colonnes du Telegraph, demander à Tony Blair de tenir ferme auprès de GW Bush. (En passant, nous apprécierons également ceci, a contrario en un sens : cette démarche de Perle montre bien que les diverses indications sur l'exaspération des Britanniques à l'encontre des Américains et les hésitations grandissantes de Blair sont aujourd'hui très sérieuses.)
• Un autre aspect du texte est intéressant. Lorsqu'il mentionne que les Irakiens suggèrent à Blair de faire pression à GW pour ne pas attaquer, Perle se récrit aussitôt en réaffirmant la détermination de GW. (« He [Saddam] underestimates President Bush ... I have no doubt he would act alone if necessary. ») Aucun doute là-dessus : cette phrase, à lire à contre-sens, exprime aussi bien les doutes de Perle que GW ait effectivement cette détermination ; s'il n'y avait ce doute, il ne viendrait pas quémander le soutien renouvelé de Blair, notamment pour renforcer la détermination de GW. Cela doit nous dire également ce qu'on pense exactement de GW chez les ultras-hawks de son administration, et, sans doute, la faiblesse conceptuelle de la détermination de GW.
• Tout le texte est baigné de l'analogie entre Saddam et Hitler, et entre notre temps et Munich-1938. Venant d'un homme qui se pique de réalisme stratégique, s'adressant à des gens (les Britanniques) réputés pour cette même vertu, cette analogie est une insulte pour la pensée, rien de moins, dont nous devrions être las de seulement devoir la subir. C'est un signe sûr de l'hystérie complète du jugement, de présenter comme analogiques deux événements historiques aussi différents en puissance de toutes les sortes, en influence, en capacité de changer l'histoire, que sont Saddam et Hitler. Même si l'on est un adepte de la propagande type-maskirovska, comme Perle, il est indigne et lassant d'insister à ce point, sur ce point qui est si complètement une grossière propagande. Perle, qui n'est pas bête, en deviendrait stupide. Il ne prend même pas garde à l'artifice d'au moins respecter la logique de cette apparence dont il veut nous convaincre. En même temps qu'il appelle aux armes en disant qu'aujourd'hui, c'est aussi grave que Munich-1938, il nous décrit, pour nous encourager à y aller, un Saddam complètement épuisé et réduit à pas grand chose. Oui ou non, Saddam est-il Hitler-II ou est-il ce pauvre petit dictateur avec une armée en lambeaux, qui liquide tous ses généraux, qui ne peut compter sur personne et ainsi de suite ? Cela a-t-il à voir avec Munich-1938, ou bien avec la réalité ? (« Opponents of pre-emption, like those who argued against liberating Kuwait in 1991, tend to overestimate Saddam's support in Iraq and the region, as well as the competence, morale and ultimate loyalty of his army. [...] As for their competence, the Iraqi force today is a third of what it was in 1991, and it is the same third, 11 years closer to obsolescence. »)
Dans cette confusion d'un esprit intelligent aveuglé par l'hystérie d'une passion partisane, on trouvera encore plus le signe que le parti des ultra-hawks, aujourd'hui, à Washington, est sur une ligne de retraite agressive marquée par le désarroi. Cela ne présage rien quant à l'issue, — guerre ou pas ? De ce côté, tout est toujours possible. Par contre, cela nous conforte dans le jugement de type tactique qu'en ne parvenant pas à enchaîner directement sur l'attaque contre l'Irak à partir de l'Afghanistan (attaque contre l'Irak en janvier-février 2002), les ultra-hawks ont perdu leur meilleur carte, qui était celle du rythme et de l'évidence. Aujourd'hui qu'on a eu le temps de penser, la situation est très différente.